Ayayi Togoata APEDO-AMAH « L’éducation nationale
Publié le 4 juillet 2013 par
Au moment où le pouvoir prépare activement les assises de l’éducation nationale, nous avons approché un acteur clé de l’enseignement togolais.
Ayayi Togoata Apédo-Amah n’est plus a présenté. Connu pour son franc-parler, notre interlocuteur est un universitaire et connait bien les maux qui minent ce secteur pour y avoir travaillé.
Il nous livre sa lecture de ces assises annoncées à coup de renfort publicitaire dans le but de détourner du peuple au moment où se prépare la fraude électorale.
TOGO INFOS : Dans son message, à l’occasion de la fête du 27 avril 2013, le chef de l’Etat a annoncé l’organisation des assises nationales de l’éducation. En tant que acteur du secteur de l’éducation, comment appréciez-vous cette annonce du chef de l’Etat Faure
Gnassingbe ? Les travaux préparatoires des assises ont même déjà démarré…
Ayayi Togoata APEDO-AMAH : Faure Gnassingbe fait du dilatoire comme à son habitude. Incapable de trouver une solution à un problème posé qui engage la vie de la nation, il esquive, il reporte la solution à une date indéterminée puisqu’il sait que les travaux vont s’étirer en longueur. Il s’agit d’une fuite en avant, d’un acte irresponsable. Croit-il que les étudiants, les enseignants et tous les fonctionnaires vont attendre les résultats de ces assises pour exiger des bourses et des salaires décents pendant que les voleurs de la République continuent à piller le pays en toute impunité ?Cette annonce est à mettre sur le compte de la démagogie : il faut détourner l’attention des acteurs de l’éducation nationale pendant que se préparent des élections législatives frauduleuses avec la complicité d’une certaine « opposition » plus préoccupée par les postes à occuper que de changement démocratique. Faure Gnassingbe avoue une fois de plus son incompétence notoire dans son marigot politique qui est une médiocratie.
TOGO INFOS : Quel diagnostique faites-vous de l’éducation nationale togolaise en tant qu’enseignant-chercheur ?
Ayayi Togoata APEDO-AMAH : L’éducation nationale togolaise est malade depuis longtemps parce que les Gnassingbe père et fils ont voulu qu’il en soit ainsi. Aussitôt que le peuple togolais a mis fin au régime du parti unique, le régime militaro-fasciste du clan Gnassingbe s’est senti menacé parce que l’école constituait un élément clé de son appareil de propagande et de manipulation. L’école togolaise était pour les ennemis du peuple togolais le lieu du décervelage qu’ils appelaient « animation politique », exercice stupide et débile qui consistait à diviniser le dictateur médiocre et sa mère. Le dictateur voulait laver les esprits des Togolais en se faisant passer pour le dieu de la terre. Des chants aux paroles imbéciles accompagnés de trémoussements lascifs des reins détournaient élèves et enseignants des cours, car ces bêtises étaient plus importantes aux yeux des propagandistes incultes et médiocres que les mathématiques, la littérature ou la physique-chimie ! Il va sans dire que les récalcitrants étaient durement sanctionnés quand ils ne disparaissaient pas tout simplement.
L’école que les cancres politiques voulaient transformer en usine à fabriquer des moutons dociles et bêlants, a été le fer de lance de la révolte contre la dictature militaire. Cet effet boomerang a littéralement assommé Eyadema et ses manipulateurs. Puisque les établissements scolaires et surtout l’université étaient devenus des bastions de l’opposition à la dictature et de revendication de la démocratie et des droits de l’Homme, il fallait punir cette jeunesse qualifiée d’« ingrate » et de « manipulée ». Pendant que les antidémocrates sacrifiaient l’enseignement, ils n’ont jamais cessé de recruter dans l’armée budgétivore au grand dam des Togolais soucieux du développement de leur pays. La priorité du recrutement mettait le militaire au-dessus des médecins et des enseignants condamnés au chômage alors que les écoles et l’enseignement universitaire manquaient cruellement d’enseignants. Pire que cela, dans les années 1990, des enseignants contractuels du secondaire qui réclamaient des arriérés de douze à dix-huit mois de salaires ont été jetés sans ménagement, de la façon la plus criminelle et indigne, à la rue et remplacés par des bricoleurs à la science très approximative. Le niveau de l’enseignement venait de subir un grave attentat dont l’école togolaise ne s’est toujours pas remise au jour d’aujourd’hui.
TOGO INFOS : Pensez-vous que ces assises pourront contribuer à trouver réellement des solutions aux maux qui minent le secteur de l’éducation ou est-ce tout simplement une de ces multiples rencontres auxquels ce régime a habitué les Togolais ?
Ayayi Togoata APEDO-AMAH : Il n’en sortira rien du tout. D’abord qui sont les personnes cooptées pour faire ce travail ? Est-on sûr qu’elles ne font pas partie des problèmes de l’éducation nationale ? Le régime y possède ses hommes liges et ses cancres qui font la pluie et le beau temps et qui sont quasiment inamovibles malgré leur incompétence criarde. Le militantisme et le népotisme ont toujours été les maux de l’administration togolaise. Sont-elles capables de penser l’éducation en tant qu’intellectuelles et non pas en tant que simples techniciennes ? Ensuite est-ce que le gouvernement lui-même possède une politique de l’éducation ? La réponse est tout de suite non. On ne pond pas une politique de l’éducation comme on organise un pique-nique à la plage. Une vraie politique de l’éducation est l’œuvre de stratèges du développement qui la déterminent en fonction du type de développement que l’on veut impulser. Les dirigeants autoproclamés de notre pays n’ont jamais eu de vision stratégique. Je ne vois personne de cet acabit parmi les mange-mil qui grouillent autour de la mangeoire nationale. Ça ne s’improvise pas. Point de projet de développement, point de projet d’éducation. Les deux vont ensemble comme le tenon et la mortaise. J’en veux pour preuve la façon dont le gouvernement togolais a été contraint, sur ordre de la France coloniale et colonialiste, de s’embrigader dans le système LMD. L’éducation nationale est totalement déconnectée de l’économie et du pays réel. C’est du bricolage, de l’amateurisme. C’est un aveu d’un gouvernement sous-développé attaché à développer le développement du sous-développement. Pauvre Togo !
TOGO INFOS : Depuis plus d’une décennie, l’enseignement supérieur fait l’objet de remous chaque année académique, malgré des accords signés entre les acteurs et jamais mis en application dans sa totalité. Souvent étudiants et autorités se rejettent la responsabilité dans ces situations. Que faire pour ramener la sérénité sur nos campus pour que les apprenants puissent s’atteler à leurs études au lieu de recourir à des manifestations ?
Ayayi Togoata APEDO-AMAH : Je ne possède pas de baguette magique, mais ce qui est sûr, c’est que la crise est partie pour durer longtemps du fait de l’incapacité de l’Etat à faire face à ses responsabilités. N’ayant pas de politique de développement, la dictature est incapable de trouver des moyens pour créer des richesses, donc des ressources de plus en plus importantes pour satisfaire les vagues d’étudiants qui débarquent chaque année de plus en plus nombreux à l’université. L’Etat est d’autant plus sollicité que le gouvernement a clochardisé les parents d’élèves et étudiants qui se retrouvent dans l’incapacité d’assumer les charges de l’éducation de leurs enfants. La crise universitaire est d’abord la crise des parents clochardisés dont les salaires n’ont pratiquement pas évolué depuis une trentaine d’années alors que les produits de consommation ont été multipliés par dix !
TOGO INFOS : On parle de plus en plus de la fuite des enseignants togolais vers l’extérieur et de la baisse du niveau. Comment y remédier ?
Ayayi Togoata APEDO-AMAH : Tout est lié ! Il faut impulser une politique de développement génératrice d’emplois et de richesses. Tant que le chômage constituera un scandale dans notre pays et que les salaires seront aussi dérisoires, la fuite des cerveaux sera un exutoire pour les diplômés togolais. Il s’agit d’une perte sèche pour l’Etat qui a investi dans la formation de cadres et qui se trouve incapable de les utiliser. D’autres pays qui n’ont pas dépensé un sou pour les former en tirent profit à notre place. L’incompétence de ce régime est un véritable scandale et une insulte à l’intelligence des Togolais. Le niveau de l’enseignement pâtit toujours de la démotivation des enseignants mal payés et méprisés et des politiques criminelles du pouvoir de fait. Encadrer une classe de vingt élèves n’a rien à voir avec l’encadrement d’une classe de cent cinquante élèves d’un collège ! Il faut donner la priorité du recrutement aux enseignants au détriment des militaires. Le Togo n’est pas entouré de pays ennemis. Ou bien serait-ce le peuple l’ennemi des antidémocrates ?