La RDC à l’heure des choix difficiles : Quels
La RDC à l’heure des choix difficiles : Quels partenariats stratégiques avec les USA et la France face à la montée des périls ?
Par le Professeur Mwayila TSHIYEMBE
Institut panafricain de géostratégie de Nancy
Introduction
La Fédération des Congolais de l’Etranger (FCE), remercie les experts réunis cet après-midi du 28 février 2009, ainsi qu’à travers eux, nombre des Congolais de l’étranger et de l’intérieur qui, à travers la presse et l’internet, les manifestations publiques et les marches de protestation, ont pris part, à un titre ou à un autre, au débat suscité par le discours du président Nicolas Sarkozy devant le corps diplomatique et le plan Cohen, ancien sous-secrétaire d’Etat adjoint aux affaires africaines, sur la restructuration et le partage des ressources dans la région des Grands Lacs.
Permettez-moi de préciser que l’objet de notre débat n’est pas de ressasser ces propos, étant donné d’une part, la récusation du plan Herman Cohen par la Maison blanche; d’autre part, le rejet par le président Sarkozy, de toute velléité de balkanisation de la RDC imputée à son plan par les critiques. D’ailleurs, dans une interview accordée aux quotidiens congolais, il a réaffirmé que « la souveraineté de la RDC et l’intangibilité de ses frontières sont des principes sacrés. Si un pays continuera de se battre pour garantir leur plein respect, ce sera bien la France ».
En effet, le ressentiment légitime, exprimé ça et là par les Congolais, ne doit pas nous aveugler, au point d’ignorer que le soutien de la France au Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas manqué à notre pays et qu’il est à l’origine des résolutions réaffirmant avec fermeté la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC, et demandant le retrait des troupes étrangères de son territoire. Il en va de même de la contribution de la France aux engagements militaires de l’Union européenne en RDC, notamment en Ituri (Opération Artémis) et à Kinshasa (Opération Eufor).
L’enjeu du débat
Si la FCE a pris, une fois de plus, l’initiative de ce débat, c’est pour l’articuler autour du postulat suivant : avant d’être l’affaire des amis du Congo, l’avenir de la RDC est d’abord l’affaire des Congolais. C’est à eux qu’il incombe la responsabilité de définir les intérêts vitaux de la RDC, y compris les termes de la coopération avec tel ou tel pays amis, à la lumière des intérêts ainsi définis.
Il s’agira alors de définir les intérêts de la RDC (1) ; les partenariats stratégiques (2) ; l’outil diplomatique de la RDC (3) ; la nature des partenariats stratégiques avec les Etats-Unis et la France (4)
1. Définition des intérêts
Il existe deux catégories d’intérêts vitaux de la RDC : les intérêts vitaux non négociables et les intérêts vitaux négociables :
- Entrent dans la catégorie d’intérêts vitaux non négociables, le territoire, la population, le pouvoir politique ou la capacité des congolais de se gouverner eux-mêmes, la diversité culturelle, ethnique, identitaire et biologique. Ces intérêts vitaux doivent être protégés et défendus par tous les moyens, parce qu’ils sous-tendent l’identité, la souveraineté sinon l’existence de la RDC en tant qu’Etat membre du concert des nations.
- Par intérêts vitaux négociables, il faut entendre les ressources minières, agricoles, aquatiques, forestières, énergétiques etc., dont la transformation en richesse matérielle accessible à la majorité des Congolais, exige du leadership sociétal une politique de création des richesses qui soit anticipative, innovante et compétitive.
2. Définition des partenariats stratégiques
C’est à ce niveau de pilotage stratégique de l’Etat, que se pose un triple questionnement : avec qui négocier ces intérêts vitaux? A quel prix ? Pourquoi faire ?
- Avec qui négocier ces intérêts vitaux ?
C’est ici qu’il sied d’exiger que l’imagination soit au pouvoir, pour détecter et cibler les partenaires publics ou privés, parmi les meilleurs dans le monde dans tel ou tel segment, avec lesquels la RDC peut signer un accord formel de coopération ou d’investissement direct, dont l’objectif de réaliser une communauté d’intérêts ou les intérêts mutuellement avantageux.
- A quel prix ?
Les ressources susmentionnées ont une valeur intrinsèque et une valeur marchande. Or l’histoire de la décolonisation atteste que les pays qui n’ont pas rompu avec la logique de l’économie des comptoirs, ont perdu la bataille la de l’excellence, la plus-value ou la valeur ajoutée étant liée à l’industrialisation ou à la transformation de ces matières premières en produits finis. Dès lors, le cap de l’industrialisation ou de la transformation doit être le prix à payer pour engager un partenariat stratégique avec la RDC.
- Pourquoi faire ?
La vitalité de ces intérêts réside dans le développement durable, c’est-à-dire la capacité que leur transformation en richesse accessible, confère à l’Etat et à la société congolaise, de satisfaire les besoins essentiels des Congolais d’aujourd’hui, tout en préservant la possibilité des générations futures à satisfaire les leurs, dans le respect de l’environnement.
Aux intérêts stratégiques s’agrègent les infrastructures de base sans lesquelles, à l’intérieur des provinces et des villes, la mobilité réduite des opérateurs économiques, de la main d’œuvre, du capital, des technologies, des biens et services, risque de paralyser tout effort de développement.
Cette bataille des infrastructures fait partie des chantiers ordonnancés par le gouvernement de la 3ème République, dont une infime partie fait l’objet d’un accord entre la RDC et la Chine. Toutefois, l’opacité qui entoure cet accord, ne permet pas dire s’il s’agit d’un contrat de droit privé ou de droit public, d’un investissement direct ou d’un simple troc, d’un partenariat gagnant/perdant ou gagnant/gagnant.
3. Quel outil diplomatique détient la RDC ?
Il est des pays dans le monde qui n’attirent l’attention de personne et dont on ne fait pas grand cas. Dieu merci, tel n’est pas la situation de la RDC dont l’attractivité est devenue au fil des temps un goulot d’étranglement, au lieu d’être un outil diplomatique de première main.
En effet, héritée de l’Acte de Berlin, l’attractivité géopolitique du Congo autant que les ressources la sous-tendant, a débouché sur la création d’un Etat espace (Etat indépendant du Congo, 1885) voué aux critères de la liberté de commerce, c’est-à-dire le multilatéralisme ou la globalisation avant la lettre, qui triomphe aujourd’hui, faisant fi des royaumes et empires qui présidaient la destinée des peuples en cause.
De cette géopolitique du 19ème siècle est né un lien dialectique indéfectible : le monde est déjà au Congo et le Congo fait partie du monde global. Cette spécificité est la variable structurelle de la « diplomatie de la porte ouverte sur le monde », pratiquée avec maestro par le régime de Mobutu jusqu’à sa décrépitude, bien que la guerre froide ait confiné la RDC dans le camp occidental.
Cependant, lorsque l’effondrement du mur de Berlin (1989) et la disparition de l’URSS (1991) mettent fin de la compétition Est-Ouest, la déliquescence du Zaïre suivie des guerres de l’Est (guerres d’agression/libé ration), empêche la RDC de tirer profit de nouvelles opportunités créées par la globalisation.
Et ce, d’autant plus que du nouvel ordre structurant la région des Grands lacs, avec la bénédiction des Etats-Unis, la RDC en est la première victime jusqu’à la caricature, parce qu’elle bascule du pôle structurant au môle vassalisant de nouveaux maîtres régionaux : le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola, le Zimbabwe, la Namibie.
Par conséquent, au lieu d’avoir peur de cette attractivité et de verser des torrents de larmes, les élites et les dirigeants congolais doivent en faire un facteur de paix et de progrès économique. Pour qu’il en soit ainsi, la RDC ne doit plus subir passivement ses effets, elle doit faire des choix difficiles dans le champ des possibilités. Sa « diplomatie de la porte ouverte sur le monde[1] », doit être relookée et dotée des capacités d’agir (compétences humaines et moyens matériels et financiers).
4. Quels partenariats stratégiques avec les Etats-Unis et la France ?
A la différence des guerres idéologiques d’antan, la montée des périls des guerres économiques, risque de mettre fin à l’existence de la RDC, en tant qu’Etat souverain, à l’instar de l’Union soviétique et de l’ex-Yougoslavie. Car, il s’agit d’une guerre totale de par sa stratégie de terre brûlée, ses ingrédients (massacres, viols, destruction des villes et des villages, zones de non-droit, pillages des ressources) et ses acteurs (Etats, multinationales, seigneurs de guerre ou marchands de violence, trafiquants de drogue et d’organes humains, braconniers, etc.)
Cette nouvelle donne doit imprégner l’approche décisionnelle des élites et du leadership congolais, en vue de minimiser les risques et d’optimiser les opportunités. Et ce, à partir de deux partenariats stratégiques prioritaires : militaire et industriel.
- Le partenariat stratégique militaire
Face à la montée des périls des guerres économiques, la RDC, tel Gulliver au pays des Lilliputiens qui veulent sa peau, est un géant au pied d’argile, dépourvu de capacité de défense et de sécurité, dissuasive et crédible, nommée armée républicaine.
Il va de soi que doter la RDC d’une capacité militaire est une priorité des priorités, parce qu’elle conditionne la défense et la sécurité de la démocratie (valeurs, institutions) , de l’intégrité du territoire, des personnes et des biens.
Rappelons que de tous les facteurs de puissance connus, le seul qui a changé au cours de ces dernières années en faveur du Rwanda, de l’Ouganda, de l’Angola, candidats au leadership régional, est le facteur militaire, le maréchal Mobutu ayant dépecé son armée.
Alors, quel est l’état de l’offre de la capacité militaire ? Le besoin d’une armée républicaine, coïncide avec la demande des Etats-Unis, sous le gouvernement Bush, d’installer en Afrique, un commandement opérationnel de lutte contre le terrorisme appelé AFRICOM. Cette main tendue n’a pas trouvé preneur et le siège de l’AFRICOM a été installé à Stuttgart (Allemagne).
Partant du principe que « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts », l’intérêt vital de la RDC commande que les autorités congolaises profitent de l’élection du président Obama, pour examiner l’opportunité d’un partenariat stratégique militaire, inscrit dans une approche gagnant/gagnant (AFRICOM contre une armée républicaine[2] professionnelle, polyvalente, flexible, mobile, tournée vers la stratégie de projection des forces sur les théâtres internes (neuf frontières), un espace éclaté aux allures d’un sous-continent (2.345.000Km² ), phagocyté par les dynamiques centrifuges du dedans et du dehors.
En outre, l’installation de l’AFRICOM en RDC, restituera à ce pays, son rôle de pôle structurant l’Afrique médiane[3], perdu avec l’effondrement du Zaïre et sa satellisation régionale. En effet, si la RDC devient un brasier, les USA ne pourront pas faire du golfe de Guinée le sanctuaire de plus de 25% de leurs approvisionnements pétroliers.
La France, est l’autre ami traditionnel de la RDC, disposant d’une politique de défense et d’une industrie militaire propres. Depuis l’élection du président Sarkozy, son offre de coopération militaire est encore en gestation, suspendu aux choix ultimes entre sa volonté de rupture et sa politique de rationalisation des forces pré-positionné es et des accords de défense en cours en Afrique.
Cependant, l’intérêt de la RDC est d’associer la France à ce partenariat stratégique militaire, notamment en matière de maintien de l’ordre (la police nationale) et de la sécurité civile. Et ce, pour deux raisons au moins. Primo, en réintégrant l’OTAN, depuis l’élection du président Sarkozy, la France participe de plein gré à la guerre contre le terrorisme aux côtés des Etats-Unis. Secundo, la RDC est une variable structurelle de la Francophonie, qui est l’un des axes de visibilité de la France dans le monde.
- partenariat stratégique industriel, technologique, économique, financier
La deuxième priorité des priorités pour la RDC, est le développement durable dont l’enjeu est de mettre fin à la paupérisation exponentielle de la majorité des Congolais, toutes catégories confondues, par la création des richesses.
Pour ce faire, l’industrialisation de la RDC doit être l’horizon des partenariats stratégiques. La RDC doit obtenir des Etats-Unis et de la France qu’ils jouent le rôle des nations cadres, chargées de booster non seulement les investissements directs américains et français, mais également les investissements directs internationaux de leurs alliés de l’ALENA, du Mercosur, de l’Union européenne, du G8, de l’ASEAN, y compris les institutions financières internationales (FMI et Banque mondiale).
L’intérêt supérieur de la RDC commande que leurs investissements directs internationaux, soient orientés vers l’industrie lourde (transformation des matières premières), l’industrie d’équipements, l’industrie légère (transformation des produits de l’industrie lourde en produits finis ou semi-finis), l’industrie extractive, l’industrie électrique et électrotechnique, l’industrie chimique et agro-alimentaire etc.
D’autres secteurs d’investissement prioritaire sont : l’énergie (barrage d’Inga et les micros barrages sur les rivières, le pétrole de Moanda et de lac Albert, le gaz du lac Kivu) ; l’eau potable (villes et les campagnes) ; l’agriculture (vivrière et d’exportation) ; les ressources minières et forestières ; l’éducation (l’enseignement universitaire et professionnel) ; les infrastructures de base (routes, rail, ports, transport fluvial et lacustre, télécommunication etc.) ; les petites et moyennes entreprises (accès au crédit, aux nouvelles technologies, aux outils modernes de management etc.).
Par ailleurs, la RDC doit agir de telle sorte que le cofinancement d’une partie de ces secteurs industriels, se fasse, s’il y a lieu, dans le cadre d’intégration régionale, CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale), SADC (Communauté de Développement de l’Afrique australe), CEPGL (Communauté Economique des pays des Grands lacs). A titre d’illustration, la CEPGL a ciblé des projets d’intérêt régional devant attirer les entreprises mixtes tels que :
- Energie Grands Lacs,
- Institut de recherche agronomique et zootechnique,
- Société internationale pour l’électricité des Grands lacs,
- Banque de développement des Etats de Grands Lacs,
- Bassins transfrontaliers de développement,
- Projet d’exploitation de gaz méthane du Kivu,
- Programme d’amélioration des infrastructures régionales
- Un fonds spécial pour la reconstruction de la région des Grands lacs
Que conclure ?
Somme toute, la RDC est un chantier à ciel ouvert à l’investissement international direct, public ou privé, même s’il est fondé que le gouvernement congolais fasse le choix de ses partenariats stratégiques privilégiés avec des nations cadres, selon la hiérarchisation de ses intérêts vitaux et des secteurs prioritaires.
Toutefois, aucun pays ami ne peut, à lui tout seul, s’arroger le monopole de l’investissement international public ou privé en RDC. Quand bien même il le souhaiterait, il n’en aurait pas les moyens, la RDC étant un pays où tout est à construire.
Par ailleurs, cette mobilisation générale des investissements publics et privés étrangers, ne peut être couronnée de succès que si la RDC assume sa part du fardeau. Au lieu de se présenter les mains vides et d’implorer la commisération des partenaires, les dossiers doivent être bien préparés et bien ficelés, les petites et moyennes entreprises congolaises mobilisées, les gouvernements des provinces et la société civile associés.
Parallèlement à cette mobilisation, l’intérêt supérieur du Congo commande que soit mis fin à une gestion médiévale des affaires publiques et à l’insécurité juridique qui tétanisent le pays.
Outre la modernisation de la fonction publique centrale, provinciale et locale par l’acquisition des outils modernes de mangement public (nouvelles technologies, simplification des procédures, rémunération correcte des agents publics, sanction judiciaire contre les fraudeurs, valorisation de la compétence et promotion par mérite) ; les adaptations du code des investissements, du code minier et du code forestier à l’évolution du monde et des intérêts du Congo ; l’adhésion et l’harmonisation du droit des affaires congolais, selon le standard international de l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) ; la modernisation de la RENAPI (Agence nationale pour la promotion des investissements) en vue de la rendre plus performante. Pour ce faire, elle doit être dotée de nouvelles technologies de communication et de collectes des données, des ressources humaines plus qualifiées et des moyens financiers à la hauteur de l’ambition affichée, etc.
Prof. Mwayila TSHIYEMBE
Président de la FCE/France