Notes de lecture - Histoire de la philosophie
Notes de lecture - Histoire de la philosophie africaine
Livre III Les courants de pensée et les livres de synthèse Par Grégoire Biyogo
L'Harmattan 2006 209 pages La révolution silencieuse de la pensée africaine
Patient, tout attaché à présenter les grands courants de pensée, la philosophie particulière des philosophes, les ouvrages de synthèse dans une perspective historico-critique, le livre III est un manuel de philosophie qui sera utile dans le cadre de l'enseignement, de la recherche et de la connaissance des principaux problèmes de la philosophie africaine moderne et contemporaine. L'ouvrage de Grégoire Biyogo, professeur de philosophie à l'Université Omar Bongo du Gabon, présente les courants de l'ethnophilosophie, la critique de l'ethnophilosophie, la critique de la critique de l'ethnophilosophie avant d'examiner les principaux ouvrages de synthèse de la philosophie africaine et sa conquête de la modernité.
Ecrit dans un style philosophique qui dialogue aussi bien avec Derrida que Rorty, ce texte laisse aussi voir la révolution silencieuse d'une pensée qui trace de nouveaux chemins et se fait une place au sein même de l'histoire générale de la philosophie. La philosophie africaine comporte quatre périodes : la période la plus longue, correspondant à la période antique, va de l'Ethiopie aux empires africains en passant par l'Egypte pharaonique. Puis la seconde période équivalent à un moment de transition part de la période copto-islamique dans les empires africains au philosophe ghanéen Guillaume Amo au 18e siècle. Ensuite, la troisième période - celle de la modernité - commence en 1945 avec La philosophie bantoue de R.P Tempels jusqu'à 1993, avec la publication de la thèse de Godefroy Bidima, Théorie critique et modernité négro-africaine, tandis que la quatrième période va de 1993 jusqu'à nos jours, avec plusieurs sous-courants internes. La Renaissance afro-américaine, la Négritude, l'art Nègre et la critique philosophique qui en a été faite constituent les sources de la renaissance philosophique africaine moderne.
Cest pourquoi l'auteur présente rapidement la philosophie du Ghanéen Anton Wilhelm (Antoine -Guillaume) Amo. On identifie sept courants : le courant ethnophilosophique (Placide Tempels et Alexis Kagamé, le courant de la déconstruction de l'ethnophilosophie et de la modernité (Fabien Eboussi-Boulaga, Marcien Towa, Paulin Hountondji), la critique de la critique de l'ethnophilosophie (Luluabourg, Fouda ), le paradigme de la traversée (Godefroy Bidima), le courant de la postmodernité (Ouattara), le courant néopragmatiste et ironiste. De l'existence d'une ontologie bantoue L'ouvrage de Tempels en vient à valider l'existence d'une ontologie bantoue, contre la théorie de la tabula rasa et l'idéologie de la différence alors dominantes, véhiculées par des penseurs comme le premier Lévy-Bruhl - celui d'avant Les Carnets - à l'égard de ce que l'on a appelé les peuples sauvages. Entreprise alors audacieuse que celle tempelsienne, affirmant sans ambages que les bantu 'parlent ontologiquement '. Le contexte de l'essor du relativisme culturel lévi-straussien et celui de la récusation générale des idéaux racistes et hégémoniques de la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec la capitulation du nazisme ont favorisé l'émergence de l'oeuvre du missionnaire belge. Tempels place la force au centre de l'ontologie : 'La force est la cause finale supérieure, la norme ultime, la notion fondamentale.' Dans la deuxième partie du livre, l'auteur examine les grandes synthèses de la philosophie moderne écrites par Hountondji, Diagne, Dieng et Goma-Binda entre 1976 et 1994 et la naissance de la modernité. Avec Sur 'La philosophie africaine' (Maspero, 1976, rééd Yaoundé Clé 1980), le philosophe béninois Paulin Hountondji, spécialiste de Husserl et disciple de Louis Althusser ; travaille à la destruction de l'ethnophilosophie. Son livre a constitué un événement intellectuel et philosophique d'abord par la nouveauté de sa langue, par la qualité de sa documentation et de son érudition et par la rigueur de sa démarche. On est en présence d'un texte pionnier, dont le double mouvement a été de créer un champ de recherches et de l'élever au rang universitaire, puis de le mettre à l'épreuve d'une grille de lecture althussériano-husserlienne. Aux formulations critiques et philosophiques qu'en font Towa et Eboussi-Boulaga, Hountondji s'avise d'en étendre la portée, l'élargissant à tous les travaux de l'ethnographie occidentale comme africaine. Il prend acte de la critique politique de Tempels amorcée par Aimé Césaire dans Discours sur le colonialisme pour en tirer toutes les conséquences décisives sur les dérives du discours ethnophilosophique en Afrique : la confiscation de la créativité théorique et l'adoubement involontaire ou volontaire de l'intolérance politique des partis uniques, avec leur unanisme et leur totalitarisme.
Pathé Diagne se livre à une critique féroce de l'Europhilosophie dans son livre : L'Europhilosophie face à la pensée du Négro-Africain (Sankoré Dakar, 1981). Il s'en prend à l'europhilosophie qui est la réduction mimétique de l'acte de philosopher à la référence européenne. Il récuse le caractère extraverti de la philosophie africaine et son écriture européocentriste, tant elle est dénuée d'enquêtes de terrain et d'une véritable heuristique. Les jalons d'une histoire de la philosophie africaine L'apport d'Amady Aly Dieng dans Contribution à l'étude des problèmes philosophiques en Afrique Noire (Nubia, paris, 1983) est essentiellement sa lecture actualisée des problèmes de la philosophie africaine du point de vue méthodologique, épistémologique et politique. A l'inverse des ouvrages de Hountondji et de Pathé Diagne, qui sont des bilans sectoriels, cet livre entreprend de faire l'état des lieux des débats, par des discussions informées, sans faire l'économie de l'arbitrage des controverses. Il s'agit donc d'une contribution stimulante et importante. Publié en 1982, l'ouvrage de Dieng a des conclusions qui depuis plus de 20 ans, n'ont pas perdu l'actualité. Ce penseur fait partie des intellectuels africains les plus dérangeants, qui entend guérir la philosophie africaine de son péché légendaire : l'esprit de chapelle. De même a-t-il permis de repenser et de réécrire la philosophie avec le souci de la rendre accessible au plus grand nombre. Ngoma-Binda a posé les jalons d'une histoire de la philosophie africaine dans son ouvrage La philosophie africaine contemporaine. Pensée et pouvoir (Kinshasa, Kinshasa, Thèse de doctorat, 1985).
Son livre La philosophie africaine contemporaine. Analyse historico-critique, (Facultés catholiques de Kinshasa, 1994) est une contribution décisive. Elle est remarquable à plusieurs égards par son caractère classificatoire et son effort de mise en perspectiviste des courants de pensée. Elle reste un livre majeur d'initiation à la philosophie africaine stricto sensu. Au terme de la réévaluation des ouvrages de synthèse de la philosophie africaine, il apparaît que chacun d'eux constitue une contribution spécifique. Critique méthodique, méticuleux et politique du dogmatisme des philosophes tempelsiens comme des kagamistes, Hountondji, auteur de Combats pour le sens, a mis un accent particulier sur la nécessité de produire une philosophie qui sache énoncer rigoureusement son objet et sa définition. Sa critique s'est focalisée sur l'ethnophilosophie qui menace sans cesse d'aliéner la philosophie. Avec Hountondji, la philosophie prend acte des révolutions de la science et se révolutionne elle-même de ce fait ; il a ouvert la voie à la recherche philosophique universitaire. Pathé Diagne a insisté sur la nécessité de mettre au fondement de l'activité philosophique et plus généralement de la recherche scientifique en Afrique, le travail patient, rigoureux et critique de l'enquête de terrain, afin de produire des connaissances fiables. Avec Amady Aly Dieng, les philosophes africains sont invités à faire le bilan de leurs recherches afin de poursuivre avec plus de rigueur et de pertinence leur entreprise. Dans sa version ethnophilosophique, la philosophie africaine reste tributaire de la Négritude et constitue une pensée réactionnaire. A l'inverse, la version critique est à encourager. Un tel travail est constitutif de l'héritage du marxisme, qui mieux que les autres champs de recherche a fait avancer les recherches philosophiques. Le matérialisme historique peut jouer le tout premier rôle dans les discussions actuelles sur la philosophie africaine. La recherche de Ngoma-Binda vient systématiser pour la première fois les types de travaux amorcés par Smet dans le cadre de l'histoire de la philosophie comme de philosophe politique. L'ouvrage se termine sur quelques développements sur le néo-cartésianisme de Cheikh Anta Diop. Espérons que ce travail pionnier suscitera des discussions fructueuses.
Amady Aly Dieng,