Notes de lecture- Par Amady Aly Dieng Bilan
Notes de lecture- Par Amady Aly Dieng
Bilan critique de la littérature négro-africaine
Les étudiants organisés au sein de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) tenaient les 5 et 6 juillet 1962 pour la première fois à Paris un séminaire sur les relations entre la littérature négro-africaine d’expression française et la politique. Mais il était du devoir des intellectuels africains, même partagés entre différentes convictions idéologiques, religieuses et philosophiques, mais réunis autour de mots d’ordre d’indépendance et d’unité de l’Afrique, de faire un bilan critique de la littérature négro-africaine.
La littérature négro-africaine d’expression française ne pouvait naître qu’avec la mise en place d’institutions coloniales après la conquête militaire de la fin du 19e siècle. Les premiers intellectuels négro-africains d’expression française furent d’abord ceux nourris dans le sérail de l’Ecole Normale des instituteurs William Ponty. Et les premiers qui s’essayèrent à la littérature furent issus pour la plupart de ce milieu : leurs œuvres, tout en attestant certaines qualités littéraires, présentent surtout un intérêt ethnographique suggéré habilement par des maîtres plus soucieux de connaître certains traits culturels africains qui servissent à leur assurer une meilleure prise sur la psychologie du Noir que de curiosité scientifique.
Ainsi, naquit une première génération d’écrivains, honnêtes au demeurant, mais se prêtant à leur insu à une expérience de création littéraire dirigée. Parmi eux, les plus connus sont : Dim Delobson en Haute Volta, Paul Hazoumé et Maximilien Quenum au Dahomey, Mapaté Diagne et Abdou Salam Kane au Sénégal et Mamby Sidibé et Moussa Travélé au Soudan. Ils inaugurèrent depuis 1916 la tradition qui fonda le négrisme intellectuel, point de départ d’une valorisation naïve et assez idyllique d’une Africa portentosa. A leur suite, l’Europe et l’Occident chanteront le bon nègre, malheureux objet d’une curiosité malsaine. Peu de poètes parmi ces auteurs, parce que la poésie ne peut naître sur commande, parce que l’expérience poétique doit être une expérience vécue, pensée et élaborée et surtout sincère. Par contre, beaucoup d’écrivains à l'écriture ethnographique s’expriment à travers l’essai, le roman, le théâtre, le conte ou le recueil de proverbes. Une poésie africaine indépendante, africaine et universelle Le grand tort d’Aimé Césaire a consisté à identifier sa situation de militant communiste d’origine martiniquaise, et dont le pays possédait ses conditions propres, avec celles des communistes français dont les luttes quotidiennes sont motivées par des exigences internes particulières. Dans ce magnifique bréviaire de haute conscience et de connaissance poétique qu’est le Cahier d’un retour au pays natal, la réalité anti-impérialiste et ses options ultimes restent très diffuses, voire confuses (Condotto Nene Khaly Camara, Conscience nationale et poésie négro-africaine d’expression française). Edmond Ferly passe en revue la poésie de Jacques Roumain, René Depestre, Aimé Césaire, Guy Tirolien, Albert Béville (Paul Niger). Il dira seulement que chez Edouard Glissant, jeune écrivain et poète martiniquais, il préfère le romancier d’autant plus qu’avec la Lézarde on a eu enfin le premier roman révolutionnaire des petites Antilles Henri Lopes traite des problèmes d’expression et du public ainsi que de ce que doit être une poésie africaine. Celle-ci doit être indépendante, africaine et universelle. Cheikh Aliou Ndao traite des écrivains transplantés et des écrivains d’Afrique noire. Il commence par regrouper trois pays en prenant dans chacun un poète nègre qui sera la somme de toutes les douleurs de ses frères et se fera leur trompette. Cuba nous a donné Nicolas Guillén, ce grand poète, démocrate et ennemi des dictatures. Jacques Roumain est un marxiste haïtien, c’est pourquoi sa poésie épouse l’action. La poésie de Langston Hughes est un miroir de souffrance. Avec les Aimé Césaire et Léon Gontran Damas, il s’agit aux Antilles d’un refus des valeurs dépréciées de l’Occident et l’affirmation de tout un passé. C’était le retour aux sources. En Afrique noire, la lutte anticolonialiste dans la poésie ne se découvre pas chez les poètes de la première génération. L.S. Senghor a parlé de la doctrine de l’art pour l’art. En tout cas, c’est en vain que l’on chercherait dans son œuvre une note combative ou anti-impérialiste. Certes, sa poésie prend position de temps à autre sur des événements tels que la fusillade de Thiaroye. La poésie de David Diop a les racines profondément nourries par le combat anticolonialiste et la haine de l’oppression. Les Senghor, les Birago Diop, les Bernard Dadié, n’ont chanté l’Afrique qu’aux accents de la kora et du khalam. La contribution remarquable de Mustapha Bal : L’homme noir dans la poésie a été publiée dans La Pensée (juillet 1963) par Pierre Boiteau.
L’expérience de Laye Camara est malheureuse Claude Deglas a choisi d’examiner les problèmes généraux du Roman nègre. René Maran est le père du roman négro-africain avec Batouala (Prix Goncourt 1921), son exemple resta isolé cependant jusqu’à la fin de la guerre 1939-1945. L’école littéraire William Ponty, si elle a produit des essais de facture ethnologique et a opéré des incursions dans le domaine du théâtre, est restée toutefois avare de romans. C’est surtout par le conte que les négro-africains aborderont la littérature en prose : c’est un genre que cultivaient avec bonheur les élèves de l’Ecole Normale William Ponty. Mais on retiendra surtout, dès 1949, le nom de Birago Diop, auteur des Contes d’Amadou Koumba et celui de Bernard Dadié, le poète. Birago Diop également a taquiné la muse.
Mises à part les œuvres isolées d’un Abdoulaye Sadji ou d’un Ousmane Socé Diop dans l’immédiate période de l’après guerre, il faut attendre en 1955 le roman de Laye Camara L’enfant noir pour voir un noir africain recueillir l’héritage du Guyanais René Maran. On cherchera vainement dans L’enfant noir ou Le regard du roi un écho de la conscience historique ou à venir que pouvaient avoir l’Afrique et les Africains. L’expérience de Laye Camara est malheureuse.
Abdoulaye Sadji continue avec plus ou moins de fortune à peindre des aspects de la vie sénégalaise : c’est Nini qui pose le problème du métissage des blancs et des noirs et celui de son insertion dans la société, ce sera plus tard Maïmouna qui s’efforcera de brosser un tableau de vie dans une cité africaine, Dakar, à travers des conflits de sentiments et des préjugés sociaux nés au contact de la civilisation occidentale. Camara Khaly considère que Ousmane Sembène est le premier à avoir assimilé la technique du roman en écrivant, tout au contraire de ses aînés Sadji et Socé. Ces deux auteurs subiront des critiques. Mustapha Bal reprochera à l‘auteur de Maïmouna d’avoir ignoré la dimension psychologique et sociologique du roman. Pour lui Nini n’est ni un roman, ni un récit, mais un violent réquisitoire qui sue la haine et le racisme contre les métis. Cheikh Aliou Ndao ne manquera pas de répondre aux critiques de Mustapha Bal dans L’Etudiant sénégalais (octobre 1964). Il rappellera que ‘toute l’action de Abdoulaye Sadji n’a jamais eu qu’un seul but : la défense de l’homme noir’. Cheikh Ba considère que Maïmouna, malgré la simplicité et la clarté de son style, peut être un livre de chevet pour ceux qui sont à l’aise et qui essaient de s’accrocher avec nostalgie au passé.
Il faudrait beaucoup plus pour un révolutionnaire. Sembène Ousmane apporte au roman une dimension nouvelle Ousmane Camara pense que Karim est un livre superficiel. En effet il n’y a aucune profondeur dans l’analyse, aucune réflexion : on ne trouve rien sinon un tableau schématique de ce que pouvait être la société sénégalaise entre les deux guerres. Ousmane Socé ne voit des femmes sénégalaises que l’extérieur ; il ne va pas au-delà des croupes qui se trémoussent un soir de tam-tam ; il passe totalement à côté du problème de la condition sociale de la femme. Camara conclut ainsi : ‘Karim, enfin est mal écrit parce que son auteur semble n’avoir à sa disposition que les clichés à bon marché. Tout cela fait qu’en feuilletant Karim, il ne s’en dégage que la senteur persistante de moisi qui s’attache à ces vieilles choses désaffectées qu’on avait oublié depuis fort longtemps dans un sombre débarras.’ En lisant Sadji ou Socé, on avait plutôt l’impression de suivre une longue suite de récits sans variation de cadres ni d’atmosphères africains. De plus, Sembène Ousmane apporte au roman une dimension nouvelle qui le rattache aux préoccupations du siècle ; du Docker noir aux Bouts de bois de Dieu, cet autodidacte qui a connu d’expérience les problèmes matériels et sociaux du Noir en parsèmera ses livres. Avec Mongo Béti et Ferdinand Oyono, l’expression romanesque vise à plus de grandes ambitions : ce sont des universitaires qui, d’emblée, s’attachent à dominer leur sujet au point de sacrifier l’action munitieuse comme c’est le cas chez Béti ; très souvent chez eux, l’intrigue est mince. F. Oyono possède des qualités certaines de conteur et d’humoriste, alors que M. Béti demeure ennuyeux et confus à vouloir trop bien faire. Aimé Gnaly examine les romans de Mongo Béti comme Ville cruelle, Le roi miraculé, Mission terminée. Elle analyse les romans de Ferdinand Oyono comme Une vie de boy, Le vieux Négre et la Médaille. Joseph Van Den Reysen reproche à F. Oyono de faire parler à ses personnages un langage inutilement ordurier.
Son roman Le Vieux Nègre et la Médaille se laisse lire sans ennui. Mais il est superficiel, Mame Pathé Diagne a fait des remarques sur Chants d’ombre et Hosties noires de Léopold Sédar Senghor. Sa poésie n’est ni sans charme ni sans beauté ; elle est imprégnée d’une certaine réalité africaine mais le public qu’elle sollicite et par la forme qu’elle emprunte a abouti à reléguer l’Afrique vraie et sa poésie authentique au rang de prétexte. Dans la partie Critique de livres, Babacar Sine a fait la critique de L’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane dans L’Etudiant sénégalais, (novembre-décembre 1964). Ce texte est très bien écrit. Ce livre qui aurait du être publié depuis 48 ans mérite d’être sérieusement lu et commenté par la nouvelle et la vieille génération d’étudiants africains.
Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française par Amady Aly Dieng et alii Langaa Research & Publishing CIG Mankon, Bamenda (Cameroun) 166 pages