Notes de lectureBillal par Mohamed
Notes de lecture
Billal par Mohamed BABA
L'Harmattan 2005- 187 pages
Le voile se lève sur la condition des esclaves en Mauritanie
par Amady Aly DIENG
http://www.walf.sn/culture/suite.php?rub=5&id_art=26379
L'auteur de ce livre, préfacé par un négro-mauritanien Abderrahmane N'Gaïdé, est un beidane devenu français. Il est maître de conférences à l'Ecole Nationale de Chimie de Clermond-Ferrand. En avril 2002, lors d'un voyage familial en Mauritanie, il fut arrêté et torturé par les services de la Police Politique. Une plainte pour tortures et actes de barbarie visant le commissaire Deddahi et quatre autres personnages de l'appareil répressif mauritanien, est actuellement en cours et soutenue par la Fidh (Fédération internationale des droits de l'homme). Le récit de l'auteur s'inspire largement de cette mésaventure.
Bilal est un hartani, c'est-à-dire esclave ou descendant d'esclave de Mauritanie. Arabe, noir et musulman, il était devenu français à la suite de son mariage avec Muriel, journaliste à Reporters Sans Frontières, rencontrée à Boghé où elle entamait une enquête sur l'abolition, toute récente, de l'esclavage en Mauritanie.
Son couple est au bord de la séparation. Bilal décide de renouer avec la diaspora mauritanienne, prend des contacts et finit par s'engager dans le combat, entre autres, contre l'esclavage. Il part pour la Mauritanie, en compagnie de son fils Hamza. A la traversée de la frontière avec le Sénégal, Bilal est interpellé, conduit à la Direction de la Sûreté de l'Etat où le tristement célèbre commissaire Deddahi l'envoie faire des séjours répétés au "laboratoire", lieu de torture et de sévices de la Police Politique du pays.
A sa sortie de prison, Bilal découvrira que son meilleur ami, Issa qui les avait accueillis, Hamza et lui, et véhiculés depuis Dakar, n'était pas complètement étranger à ce qui lui arrivait... L'un des apports indéniables de ce livre, selon le préfacier Abderrahmane N'Gaïdé, est de nous faire vivre une nouvelle façon d'écrire et de décrire la souffrance, mais aussi d'indexer une pratique d'un autre âge.
C'est une autobiographie née de la douleur et l'amertume. Elle s'inspire, en partie, de l'expérience de l'auteur et de la vision qu'il a de la situation des esclaves en Mauritanie. Elle se décline en tableaux qui décrivent avec dextérité les maux qui gangrènent la Mauritanie et les choix qui s'imposent à l'auteur au tournant de sa vie. Mohamed Baba brosse avec une grande subtilité la souffrance de Bilal, tiraillé entre sa condition d'esclaves et d'immigré.
Véritable alchimie. Il dénonce, tout en étant de l'autre côté de la barrière, la condition des esclaves en Mauritanie. Mohamed Baba fait un parallèle entre sa condition de prisonnier politique et la vie tumultueuse du hartani qui tente par tous les moyens possibles de renouer avec son pays. Mais des circonstances, particulièrement douloureuses le conduisent dans les mains de la police politique.
La question du patronyme finit par susciter quelques dissensions au sein du couple après que Muriel et Bilal ont cédé aux multiples pressions de leur entourage les encourageant à se marier. A ce moment là, pour les Montaigne, le mariage était un moindre mal par rapport à la situation de concubinage public dans laquelle se complaisait leur fille aînée Muriel. C'était un espoir de stabilité pour l'épanouissement du petit Hamza car ils poussaient, volontiers, Bilal à demander la nationalité française et donc à abandonner, pensaient-ils, toute tentation de retourner s'installer en Mauritanie.
Curieuse situation que celle de Bilal qui se voit privé de devenir Français pour pouvoir se marier alors que beaucoup d'autres immigrés étaient accusés de chercher à se marier pour acquérir la nationalité française ! Bilal est pris dans l'étau des coutumes régnant dans son pays. Chez les Maures, qui forment l'une des cinq communautés ethniques de Mauritanie avec les Halpoularen, les Soninkés, les Wolofs et les Bambara et contrairement à ces quatre dernières, la structure de nom-prénom n'existe pas. Ils reçoivent, une semaine après leur naissance, un nom auquel ils répondront et qui les distinguera de leurs frères et leurs sœurs.
Pour se distinguer du cousin ou d'un homonyme plus éloigné, ils pourront préciser qu'ils sont fils ou filles de un tel en rappelant le nom de leur père. Si cela ne suffit pas ils pourront remonter encore plus loin dans l'arbre généalogique. L'exemple particulier de Bilal est assez illustratif de ce fonctionnement. En effet, il s'appelle "Bilal Ould Sambe Ould Imigine". S'il s'était agi d'une fille on aurait remplacer "Ould" par "Mint". Ce modèle d'Etat civil n'est autre que celui en vigueur parmi les premières tribus de la péninsule arabique et qui devient la norme dans la plupart des pays musulmans, moyennant chez les Maures, la substitution de "ben" ou "Ibn" pas "Ould".
Ce fut l'introduction d'une complication supplémentaire héritée de la dernière influence qui marqua le mode de vie de cette partie de l'Afrique : la colonisation française et son corollaire, l'administration dite "moderne". Malgré l'indépendance, il y a maintenant plus de quarante ans, les formulaires des actes de naissance en vigueur sont toujours ceux de l'administration coloniale. Le préposé à l'Etat civil, lors de la déclaration de naissance, remplit la ligne réservée au nom dans le formulaire et renvoie ce qui reste dans la ligne dédiée au prénom. C'est ainsi que Bilal s'est retrouvé avec "Bilal Ould Sambe" comme nom de famille et "Ould Imigine" comme prénom.
Muriel, jeune journaliste de 26 ans venait de débarquer dans la vallée du fleuve Sénégal pour traiter de la question de l'esclavage qui venait d'être aboli, il y a sept ans, par décret, en Mauritanie. Elle voulait voir le pays réel. Pour aller en Mauritanie, Muriel passe par Dakar d'où elle se rendit à Kaolack, ville-résidence du chef spirituel d'une branche de la grande confrérie des Tidjanes, El Hadj Ibrahima Niasse. Ses sources lui avaient suggéré de transiter par cette ville, juste après la fin du Ramadan pour se fondre dans le flot des pèlerins de Mauritanie adeptes de cette confrérie et profiter de cette occasion pour découvrir l'une des dernières grandes congrégations soufies et aussi rentrer, sans trop de tracas, par le sud du pays.
Noir, arabe et musulman, Bilal se sentait aussi Franco-mauritanien. Il se sentait aussi Franco-mauritanien par adhésion aux valeurs de la République, au moins telles qu'elles ornaient les frontons de toutes les mairies de France, mais surtout, il se sentait Français par Hamza interposé. Quant à son identité mauritanienne, la question ne lui a jamais effleuré l'esprit.
Cette mosaïque identitaire, telle un miroir aux alouettes renvoyant des reflets dans toutes les directions, n'était point une source de repos. Jusqu'il y a quelques mois, il se considérait issu d'une famille modeste mais courageuse d'agriculteurs de la vallée du fleuve Sénégal. Il s'enorgueillissait d'avoir été celui qui avait le plus loin poussé ses études et postait à la fin de tous les mois, avec une fierté teintée d'un certain sens du devoir accompli, un mandat d'une somme de mille francs en destination d'un boutiquier de Boghé - escale en contrepartie de l'ouverture, pour ses parents, d'une ligne de crédit permanent.
De ce récit vivant, échappent des données ethnologiques et sociologiques sur les drames vécus par les esclaves en Mauritanie. Le livre mérite d'être lu par tous ceux qui cherchent à visiter les arcanes de l'esclavage d'une société multiethnique qu'est la Mauritanie.
=====