Lomé, le 5 Octobre 2002 Après sa démission du
Lomé, le 5 Octobre 2002
Après sa
démission du CAR, M. Apédo-Amah dissèque la politique togolaise et ses acteurs
Le 28 juin 2002
le 2è Secrétaire du CAR, M. Ayayi Togoata APEDO-AMAH, a démissionné . Depuis il n’a
pas eu l’occasion d’expliquer à la presse les mobiles profonds de cette
démissionné. Il s’est confié à Togoforum.com malheureusement censurée au
Togo.
Interview réalisée par Ted Hangui
TOGOFORUM : Vous étiez 2è Secrétaire National du Comité d’Action pour le renouveau (CAR), l’un des principaux partis de l’opposition à la dictature, et le 28 juin, coup de théâtre, vous démissionnez de votre parti. Les Togolais veulent bien comprendre.
Ayayi Togoata APEDO-AMAH : J’ai effectivement démissionné du CAR et comme dirigeant et comme militant le 28 juin 2002. J’aurais pu poser cet acte un ou deux ans plus tôt. Mais mon départ a été différé à cause du lâche emprisonnement d’Agboyibor par le régime illégitime qui a peur de son ombre. Je ne pouvais pas quitter le parti alors que notre président était en taule. Il y avait un défi à relever face à la répression fasciste. Mais pour remonter plus loin dans le temps, j’avais envisagé de mettre fin à toute appartenance partisane après les législatives de 1994 suite à la victoire du CAR , mais la trahison de l’UTD d’Edem Kodjo, qui donna la victoire au Rpt, modifia mes projets.
TOGOFORUM : Mais pourquoi avoir quitter le CAR maintenant ?
A-A : J’ai quitté le CAR le 28 juin 2002 pour reprendre mon indépendance d’intellectuel entré en politique. Vous savez, je n’ai pas attendu la création des partis politiques pour faire de la politique en combattant la dictature militaro-fasciste qui sévissait au Togo depuis 1967. C’est d’ailleurs pour cette raison que presque tous les partis politiques de l’opposition qui se sont créés en 1991 m’ont harcelé pour faire partie de leurs cadres dirigeants. J’ai décliné toutes ces offres de service pour créer avec des hommes et des femmes qui avaient fait leur preuve sur le terrain avant le 5 octobre 1990, le CAR, pour provoquer le changement et instaurer la démocratie dans notre pays. Au départ le CAR s’était proclamé le parti des déshérités et collait aux aspirations profondes des masses qui avaient en fait leur porte-drapeau. Mais suite aux nombreuses péripéties de la dictature pour empêcher le peuple d’exercer sa souveraineté, l’opposition dite démocratique s’est perdue dans des négociations sans lendemain qui la déshabillaient toujours un peu plus face à des autocrates qui s’en servaient comme béquilles pour reprendre la part du pouvoir que le peuple leur arrachait. Conséquence : les forces démocratiques se sont affaiblies au point de devenir impuissantes. Cette impuissance tient au fait que l’arme de l’opposition démocratique c’est le peuple. Or il se fait que toutes les négociations faites au nom du peuple se sont faites sans le peuple, sans la pression de la rue, cette rue qui fait si peur aux bourreaux du peuple togolais. Le peuple déboussolé, écarté du processus de la démocratisation par les jeux politiques , s’est totalement démobilisé, retirant tout moyen de pression au partis de l’opposition démocratique qui, après chaque échec cuisant, s’entredéchiraient comme des chiffonniers en abandonnant la proie pour l’ombre.
Pour ce qui concerne mon parti, j’ai fait un bilan critique qui a débouché sur un constat d’impuissance collectif et personnel. J’ai eu le sentiment que les masses déshéritées ne se reconnaissaient plus dans l’action du CAR dont les positions étaient devenues beaucoup plus opportunistes que raisonnées par rapport à une ligne politique. Le parti prenait des résolutions la veille qu’il violait allègrement le lendemain sans que la situation qui justifiait la résolution prise n’ait changé d’un iota. Un exemple : après la déroute électorale de juin 1998 et par la suite l’Accord Cadre de Lomé, le parti avait procédé à une autocritique salutaire en décidant de ne plus participer à une quelconque union ou regroupement politique. Eh bien, le CAR s’est empressé d’être l’initiateur d’une nouvelle union politique , le Front, avec la CDPA, l’ADDI, l’UDS-TOGO. Je précise que cette énième union bidon s’est faite après mon départ du CAR. Outre les errements de la direction du CAR, je dois avouer que je n’ai jamais été très à l’aise dans la politique politicienne et partisane en tant qu’intellectuel.
TOGOFORUM : Alors pourquoi avoir cofondé un parti de l’opposition ?
A-A : Ma participation à la vie d’un parti politique s’est inscrite dans une logique. Nous réclamions haut et fort la démocratie et le multipartisme dans les années 1980 ; alors , lorsque les partis ont été créés, nous ne pouvions que donner l’exemple par notre adhésion ; nous ne pouvions rester à l’écart. Il en a été de même pour la vie associative au niveau de la société civile avec notamment, la création de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme dont je demeure à ce jour un dirigeant.
TOGOFORUM : Vous insistez beaucoup sur votre statut d’intellectuel. Quelle doit être, selon vous, la fonction de l’intellectuel au Togo sous la dictature militaire ?
A-A : La fonction de l’intellectuel est identique sous tous les cieux et de tout temps. Il a pour devoir de dire la vérité avec courage, d’œuvrer pour la justice, l’équité, de dénoncer tous les pouvoirs oppresseurs et toutes les valeurs d’aliénation qui enchaînent mentalement le peuple. L’intellectuel doit par sa capacité d’analyse éclairer le peuple et les politiques en simplifiant ce qui semble complexe et en complexifiant ce qui semble aller de soi. L’intellectuel est celui qui défend le peuple et refuse tout compromis sur les principes. La rançon de son action c’est la marginalité parce qu’il fait peur à ceux qui aspirent accéder au pouvoir. C’est pour retrouver toute la mordacité de la pensée critique que j’ai choisi de renoncer à toute attache partisane en démissionnant du CAR pour me mettre au-dessus de la mêlée afin de mettre ma réflexion au service de toutes les forces démocratiques authentiques qui défendent l’intérêt du peuple togolais face à ses ennemis.
TOGOFORUM : Ce que vous dites de l’intellectuel est bien beau, mais on a vu tant de prétendants se mettre au service du Rpt pour s’attabler à la mangeoire nationale….
A-A : Aucun intellectuel authentique ne peut servir une dictature aussi médiocre et perverse comme la nôtre. Ces énergumènes auxquels vous faites allusion ne sont pas des intellectuel mais des intellect-tueurs, vulgaires diplômés sans envergure, sans moralité, sans dignité sinon , ils ne boufferaient pas dans l’auge des cochons. Ne mélangeons donc pas les serviettes et les torchons, s’il vous plaît ! Lorsque l’élite d’un pays érige la crapulerie, la corruption, le cynisme, le mensonge et la cancrerie en valeurs dominantes, il y a péril en la demeure . Ces élites de pacotille, véritables lampeurs de soupe, sont de pauvres types qui ne méritent que notre mépris, car leur souci n’est pas de construire le Togo mais de le charançonner comme un sac de maïs. Il suffit d’écouter les médias d’Etat pour être fixé sur la moralité plus que douteuse et les capacités intellectuelles plus limitées de ces tristes sires et autres rastaquouères.
TOGOFORUM : Que pensez-vous de l’actuelle opposition démocratique ? Incarne-t-elle toujours l’aspiration au changement ?
A-A : Les partis de l’opposition démocratique sont aujourd’hui patraques, en mal d’idées, de stratégies, incapables de remobiliser le peuple après leurs zigzagues politiques et leurs stratégies à la con. Ces partis sont victimes de leur propre turpitude, de leurs compromissions, de leurs trahisons. Comment comprendre que la dictature militaro-fasciste n’a jamais renoncé à son armée alors qu’en face, les partis ont renoncé à leur arme absolue, le peuple ? C’est aberrant et inimaginable sur le plan stratégique. Si aujourd’hui tous les observateurs avisés ont fait le constat de la désaffection du peuple, c’est que, aux yeux de celui-ci, ils n’incarnent plus ses aspirations au changement pour bouter la tyrannie du Rpt que j’ai toujours considéré comme le cache-sexe du régime militaire. Car le Rpt n’existe pas ; ce n’est pas en réalité un parti politique ; il ne survivra pas à Eyadema.
La tâche essentielle pour les partis politiques qui veulent un vrai changement et une simple alternance, est la reconquête du peuple pour faire à nouveau de lui l’acteur principal et prioritaire de la lutte contre le fascisme et l’obscurantisme primaire et primitif. L’on ne peut prétendre conquérir la démocratie quand on a peur du peuple comme les dictateurs.
La mise au rancart du peuple tient aussi au fait de l’excessive personnalisation de la lutte pour la dominance au sein des partis dits démocratiques. Trop de leadership tue le leadership. Qui peut nier que Agboyibor, Olympio, Gnininvi, Kodjo, Ayeva entre autres, ne se sont pas plus combattus qu’ils n’ont combattu Eyadema? Que de dénigrements, de mensonges, de calomnies, de rumeurs assassines ; de ruse de Sioux pour faire perdre le concurrent dans l’opinion ! Quel extraordinaire gâchis ! Ce sont là des méthodes abominables dignes du Rpt. Quatre décennies de dictature, ça laisse forcément des traces dans les esprits. Qu’on se le dise, on ne fera pas de démocratie sans démocrate ! Le risque, après le départ d’Eyadema, ce sera de faire du Rptisme sans le Rpt ou de l’éyademaisme sans Eyadema. Ce serait l’arnaque du siècle.
TOGOFORUM : Que pensez-vous de chaque leader de notre microcosme politique : Eyadema, Koffigoh, Gilchrist Olympio, Agboyibor, Ayeva et de l’archevêque à l’époque du Haut Conseil de la République (HCR) ?
A-A : Je suivrai votre ordre sans toutefois savoir ce qui le motive.
Eyadema : Eyadema est un assez bon tacticien mais un médiocre stratège politique. La preuve en est qu’il a dû, au cours du processus de démocratisation, recourir régulièrement à l’armée pour se remettre en scelle face aux forces démocratiques. Il n’a plus d’idées pour le Togo. Il est politiquement usé, sans avenir pour le Togo. Son problème, c’est que les Togolais ne veulent plus de lui. Le sachant, il s’est condamné à une fuite en avant dont l’issue ne lui sera pas favorable s’il n’a pas la sagesse de se retirer volontairement en 2003 comme l’exige la constitution. Son bilan est globalement négatif et tend même à devenir calamiteux à son image : une calamité.
Koffigoh : Ce monsieur a voulu porter des bottes trop grandes pour lui et il est tombé dedans. Il est dévoré par d’ambitions pour lui, mais pas pour son pays. Pour réaliser ses ambitions , il ne s’encombre pas de scrupules. C’est un opportuniste dangereux tant pour l’opposition que pour le parti qu’il sert aujourd’hui avec la flétrissure de la trahison sur le front. C’est d’ailleurs cet opportunisme dangereux qui l’a amené à trahir le peuple togolais pour servir Eyadema. C’est un piètre politique.
Gilchrist Olympio : L’homme a certes une grande ambition. Il est cependant trop émotif et manque de discipline pour réaliser son projet politique d’où souvent une impression de brouillon. Il a de la constance dans ses idées. Son exil loin de ses troupes nuit beaucoup à son expérience politique. En 1998, il avait ravi le leadership de l’opposition à Agboyibor au sein des masses populaires. Il donne l’impression d’être mal entouré ou de ne pas écouter les conseils.
Yaovi Agboyibor : Il est très politique, peut-être trop même. C’est une boîte à idées. Il a- une idée par semaine ; ce qui fait sa force et sa faiblesse. Ses idées, je veux dire qu’il n’est pas toujours capable de les enfiler comme des perles sur la même ficelle d’où certaines incohérences qui déroutent ses partisans et adversaires. En voulant trop peaufiner une image de leader présidentiable et responsable, il a perdu de sa spontanéité, de son naturel, qualités qui faisaient sa force auprès du peuple. Beaucoup de gens cherchent à le manipuler et il n’en est pas toujours conscient. C’est un grand bosseur qui suscite beaucoup de jalousie au sein de l’opposition.
Edem Kodjo : Il a beaucoup d’entregent. Il a incontestablement une carrure politique. Mais il donne l’impression d’être l’homme des réseaux. Les scrupules ne semblent pas l’arrêter dans son ambition présidentielle, d’où son alliance avec le Rpt pour devenir le Premier ministre otage d’Eyadema en 1994. Ce triste épisode a durablement écorné son image dans l’opinion. Autant l’homme est généreux, autant il semble avoir une rancune tenace. Il aime la ruse en politique.
Messan Gnininvi : C’est l’homme politique qui incarne le mieux la mystique de l’union de l’opposition. Mais paradoxalement, il n’a jamais été porteur d’une véritable stratégie pour réaliser ce dessein qui lui semble cher, car il a toujours été partie prenante de tous les déchirements au sein de l’opposition Il doit sûrement confondre cartésianisme et politique.
L’on ne peut unir et se désunir en même temps. Il donne de lui une image d’homme de l’ombre rusé. Il ne va pas droit à l’obstacle ; il le contourne. C’est un habile tacticien et un grand agitateur politique. Ses ambitions politiques sont desservies par un mauvais travail d’implantation de son parti , la CDPA. Les associations satellites de son parti sont très actives et ont un impact important au sein de la société civile.
Zarifou Ayeva : C’est un homme bien renseigné qui sait prendre le temps de la réflexion, mais il est trop émotif lui aussi. Son petit score à l’élection présidentielle de juin 1998, lui a paradoxalement conféré un certain poids politique qu’il a voulu exploiter au maximum. Mais il a malheureusement opté pour une stratégie opportuniste, calamiteuse en voulant au cours des négociations de l’Accord Cadre de Lomé et au sein du Comité Paritaire de Suivi, se singulariser en prenant souvent des positions allant dans le sens du Rpt. Je ne pense pas que c’est la faible implantation de son parti, le PDR , qui l’oblige à ces acrobaties politiques. Il est trop seul dans son parti. Malgré une certaine susceptibilité, il apparaît souvent comme un élément modérateur dans les déchirements des frères ennemis de l’opposition.
Mgr Philippe Fanoko Kpodzro : C’est un piètre politique. Je n’ai jamais compris pourquoi certains leaders de l’opposition en ont fait le président de la Conférence Nationale Souveraine et du Haut Conseil de la République (HCR). Il n’était vraiment pas dans son élément et semblait débarquer d’une autre planète avec une naïveté déconcertante malgré le fait qu’il était par ailleurs madré comme un paysan. Avec Kpodzro, les manipulateurs de tous les bords se sont régalés.
A son actif il faut relever qu’au moment où la plupart des leaders de l’opposition avaient fui le pays en 1993 aux cours de la grève générale illimitée qui a suivi la prise en otage du HCR en octobre 1992, il a fait preuve d’un grand courage malgré les menaces, en restant à la barre et en signant tous les documents destinés à bloquer des fonds de l’Etat déposés dans des banques étrangères. Il a laissé l’image positive d’un homme honnête, qualité rare chez un prêtre catholique.
TOGOFORUM : Vous étiez justement le Rapporteur du HCR. On peut dire qu’au lendemain de la Conférence souveraine, l’opposition avait pignon sur rue. Mais sa pugnacité s’est peu à peu étiolée. Résultat cette déliquescence de toute la classe politique. Si vous aviez à rappeler vos joies et vos déceptions de cette époque où vous étiez Rapporteur, qu’évoqueriez-vous ? A-A : Au chapitre des joies, ce qu’il y a eu de positif, c’est qu’au sein de cette institution, existaient de véritables débats démocratiques qui ont permis de jeter les bases de ce qu’aurait dû être la démocratie au Togo. Ce n’est pas par hasard que le HCR a été la bête noire de certains militaires anti-démocrates. En réalité, le coup d’Etat du 3 décembre 1991 n’était pas contre Koffigoh mais contre le HCR. Le HCR a eu le courage et le mérite de défendre le peuple togolais les mains nues. Et le peuple ne lui avait ménagé son soutien par la spontanéité avec laquelle il répondait à son appel.
Au sujet des déceptions, ce que j’ai déploré au sein du HCR, c’étaient certains comportements politiquement irresponsables de certains de ses membres qui posaient des actes en jouant les durs mais qu’ils n’osaient pas assumer. A certains moments, l’adversité entre les partis politiques de l’opposition a failli prendre le pas sur l’intérêt national parce que le président du HCR était trop politiquement naïf. Ce manque de dimension, de vision politique de Kpodzro, a véritablement desservi le HCR. Dépendant aussi du Vatican, on ne peut exclure certaines influences souterraines d’autant plus que toutes les forces politiques togolaises cherchaient à le manipuler dans leurs intérêts inavoués.
TOGOFORUM : Quel est votre sentiment sur les législatives anticipées du 27 Octobre 2002 ?
A-A : C’est un non-sens, un non-événement. Pour faire des économies, autant nommer à l’assemblée nationale tout le Comité central du Rpt, ça évitera un cirque inutile. De toutes les façons, je doute que plus de 5% des électeurs acceptent de se faire complices de cette mascarade ridicule. Le Rpt sait qu’il ne remportera aucune élection au Togo avec Eyadema au pouvoir. Vouloir organiser cette fraude électorale est un aveu d’impuissance d’un pouvoir en mal d’imagination qui ne sait plus quoi imaginer pour pallier sa tare originelle : l’illégitimité. Depuis son accession au pouvoir, par coup d’Etat militaire en 1967, Eyadema n’a jamais été élu démocratiquement au Togo. Quel cinglant désaveu !
Paradoxalement, je pense que ce sont les provocations de la dictature qui vont aider à remobiliser le peuple dont l’exaspération risque de déboucher sur une colossale surprise pour ses oppresseurs.
TOGOFORUM : Eyadema et l’échéance de 2003 : il doit normalement quitter le pouvoir ?
A-A : Ce pays a perdu sa normalité. Tout est déréglé.
35 ans d’une inique dictature, d’un général d’opérette qui plus est ubuesque, cela est une période à la charnière de trois générations : celle qui est montée au pouvoir avec lui et qui a connu des fortunes diverses selon qu’elle a servi ou décrié la monstruosité ; celle qui est née avec lui et qui aujourd’hui se cherche ; celle , enfin beaucoup plus jeune , qui vit les errements d’une piteuse fin de règne et à, laquelle on enseigne à force de motions que l’opposition c’est le père–fouettard. C’est au total l’avenir de tout le pays qui est ainsi confisqué, bafoué, nié. Ce sont 35 sinistres années, 35 douloureuses années d’un règne calamiteux. Lui-même devrait tirer les conséquences et déguerpir. Il s’agit d’une affaire de conscience qui engage l’honnêteté de la parole donnée : parole de militaire ! Par patriotisme, Eyadema doit partir sans tripatouiller la Constitution. S’il refuse de quitter le pouvoir comme tout semble l’indiquer, c’est que le pouvoir le quittera. Que peut-il encore proposer à ce pays qu’il n’a pu réaliser en trente-cinq ans de règne solitaire et catastrophique ? Il doit partir.
Le Togo doit cesser de vivre cette situation de coup d’Etat permanent et de misère politique qui semble le singulariser si négativement en Afrique. Eyadema doit offrir la chance aux Togolais d‘entrer dans une ère nouvelle placée sous le signe du développement, de la libération du peuple et de l’intelligence au pouvoir. Cette exigence est d’autant plus impérative que le personnel politique du Rpt est d’une rare médiocrité. Regardez ce qu’ils ont fait du Togo ! C’est à pleurer. L’horizon est bouché. Le mot avenir a disparu du vocabulaire de la jeunesse. Toutes les générations sacrifiées ont le cœur meurtri, aigri par une misère morale et matérielle engendrée par la corruption des politicards prébendiers et leur incompétence sans borne. L’unique mission qui doit préoccuper les forces démocratiques c’est la mise sur pied d’une stratégie qui refasse du peuple l’acteur principal du changement. Telle est la voie du salut. Eyadema doit faire preuve pour une fois, dans sa longue carrière de militaire-président, de beaucoup de courage politique en quittant librement le pouvoir.
TOGOFORUM : Comment avez-vous ressenti l’incarcération du président du CAR, Yaovi Agboyibor ?
A-A : C’est comme si j’avais reçu un coup de massue sur le crâne. J’ai été très ému mais j’ai estimé que le défi devait être relevé pour montrer aux bourreaux du peuple togolais que l’intimidation ne fera pas fléchir les combattants de la liberté. En posant cet acte scélérat, les fascistes espéraient que le CAR sans leader s’effondrerait ; seulement, ils ignoraient que Agboyibor n’était pas le CAR. C’était une vengeance mesquine et lâche contre un adversaire politique qui a subi le sort à lui infligé, avec stoïcisme et dignité émouvante. Incarcérer Agboyibor, un poids lourd signifiait vouloir intimider les autres leaders et tous les simples militants de la base. L’embastillement arbitraire des responsables de l’opposition est le résultat de la démobilisation du peuple ; sans cela, Eyadema n’aurait jamais osé poser un tel acte. De toutes les façons, enfermer les leaders et autres responsables, ne sert à rien : aucun homme politique n’ est irremplaçable. Eyadema lui-même n’est pas irremplaçable au sein de la clique dirigeante.
TOGOFORUM : Quelle analyse faites-vous de la dissidence des barons du Rpt , Agbeyome Kodjo et Dahuku Péré ?
A-A : Pour l’heure, je perçois cette dissidence comme un acte opportuniste motivé davantage par le ressentiment, l’aigreur que par une véritable conviction politique. N’oubliez pas que ces deux-là ont été nourris et ont grandi politiquement à la mamelle de la dictature. Alors ce virage à 180 ° ne me laisse pas sceptique mais me conforte dans ma conviction que la tyrannie est un mal absolu. Si des enfants gâtés du régime fasciste Rptoche en viennent à cracher dans la soupe ou à pisser contre le vent qui les portait, c’est que le système qu’ils dénoncent est vraiment pourri. Agbeyome Kodjo et Dahuku Péré ont été victimes de leur propre turpitude, de leur ventre et de leur cynisme en politique. Si aujourd’hui, ils découvrent que Eyadema ne fait plus l’affaire, que le Rpt est dictatorial, que le régime est prédateur, nous disons tant mieux s’ils peuvent aider à affaiblir la dictature.
Mais nous n’irons pas jusqu’à les embrasser sur la bouche comme le font certains naïfs imprudents. Vigilance ! Car qui nous dit que ces Rptoches en rupture de ban ne referont pas le chemin inverse demain ? Et d’ailleurs, ils n’ont pas démissionné du Rpt, ils ont été virés ! Nous ne pouvons nous permettre d’oublier en un battement de cil la sauvage campagne de Kodjo Agbeyomé dans le Yoto contre les paysans hostiles au Rpt. Qui peut oublier le son des rafales tirées dans le sexe et l’anus du brave militant du CAR de Sendome, Mathieu Koffi Kégbé par une milice se réclamant de lui. Alors wait and see !
TOGOFORUM: Les partis de l’opposition, à l’exception de l’UFC et de quelques autres partis, ont formé une sorte d’union en vue d’une prochaine candidature unique aux prochaines consultations. Cela pourrait-il vous amener à retourner au CAR d’autant plus que le président de ce Front est justement Me Agboyibor?
A-A : C’est totalement exclu. Pour l’instant, j’ai tourné la page de l’appartenance partisane. Il ne faut pas se tromper. Le peuple togolais a toujours exigé des partis politiques de l’opposition démocratique de s’entendre , c’est-à-dire de ramer dans le même sens pour opérer le changement souhaité . Mais le peuple n’a jamais fixé les modalités aux partis politiques . L’expérience a montré que toutes les unions qui ont jalonné la vie politique au sein de l’opposition ont été des unions bidons, opportunistes et sans principes . Cette situation a toujours eu pour conséquences, le fait de les voir voler en éclats au bout de quelques mois d’existence avec des guéguerres de chefs interminables et désolantes. Ces unions ont toujours été un marché de dupes dans la mesure où le les gros poissons cherchaient à avaler les petits poissons , lesquels cherchaient à leur tour à dégraisser les plus gros.
La création de ces unions a toujours aussi marqué les temps forts des déchirements au sein de l’opposition. Nous ne voulons pour exemple que les unions COD, COD2 , le G8 , l’Union CAR-PDR-UFC… Donc il m’apparaît plus sage pour les partis politique de l’opposition de travailler ensemble contre la dictature dans une bonne entente sans pour autant renoncer à leur autonomie. Parce que lorsqu’un militant adhère à un parti X , c’est parce qu’il estime qu’il ne peut plus adhérer aux partis Y ou Z. Ce qui veut dire que ces unions opportunistes mettent en danger le pluralisme , fondement de la démocratie. A la limite, l’on peut craindre le danger d’un parti unique de l’opposition. Vouloir séparer démocratie et pluralisme et multipartisme est une aberration.
TOGOFORUM : Vous êtes aussi enseignant à l’Université de Lomé donc très proche des étudiants. Partout, les étudiants constituent la catégorie des frondeurs, des contempteurs. Pouvez-vous dire la même chose des étudiants togolais ?
A-A : Au sujet de la jeunesse de notre pays, dont les étudiants, il y a une perversion des valeurs provoquée par des décennies de mensonges politiques à telle enseigne que la vertu apparaît de plus en plus dans la société togolaise comme une connerie. C’est extrêmement grave parce qu’on ne peut pas construire un pays sur des fondations comme le mensonge, et la corruption. Si vous voyez des étudiants porteurs de pancartes qui font l’âne pour avoir du foin, auprès des bourreaux du peuple togolais, c’est tout simplement parce qu’ils ont choisi la voie de la facilité et du déshonneur.
Ils ont d’ailleurs l’exemple négatif de certains de leurs enseignants qu’ils accusent eux-mêmes d’être des crapules parce qu’ils leur ont toujours dit que la dictature était une tare. Mais ils ont la surprise de voir ces enseignants lire des motions de soutien intéressées à la TVT.
Le mensonge ne résiste pas au temps.
TOGOFORUM: Nous vous remercions pour votre disponibilité