En marge de la commémoration de la mort de feu Premier ministre Patrice Emery Lumumba, le professeur et historien congolais Ndaywell è-Nziem a accordé à Radio France International une interview dans laquelle il affirme que c’est à Mzee Laurent-Désiré Kabila que revient le mérite de l’héritage idéologique de Lumumba. Voici ci-après le texte intégral de cette interview.
Qui est Lumumba pour vous : un surdoué de la politique, un idéaliste, un naïf … ?
Lumumba est d’abord pour moi, le père de l’indépendance. C’est l’homme qui a le plus donné de lui-même pour que le Congo devienne indépendant. Et ensuite, c’est quelqu’un qui a payé de sa vie. Il incarne le nationalisme congolais…
Pour vous c’est un martyr de l’indépendance ?
C’est un martyr de l’indépendance.
Alors qui a tué Lumumba : Mobutu, Tshombé, les occidentaux ?
Je pense qu’on ne va pas prendre le raccourci. On sait qu’il y a toute une coalition essentiellement occidentale avec des intermédiaires congolais.
Donc pour vous, les vrais décideurs de son assassinat sont à Washington et à Bruxelles ?
Affirmatif. Les choses sont d’autant plus claires, selon des informations plus fiables. Il y a d’autres publications intéressantes notamment l’ouvrage du belge De Witt. On a donc la confirmation. On voit plus clair de ce qui a pu se passer.
Est-ce que les Français ont joué un rôle ?
Peut-être pas directement. De toute façon, dès que la sécession katangaise est déclarée, il va y avoir du personnel français.
A l’époque, c’était la guerre froide. Est-ce qu’en se rapprochant de Moscou, Lumumba n’a pas commis quelques imprudences ?
Ce n’est pas attesté qu’il se soit vraiment rapproché de Moscou. Il avait un franc parler, pour dire que si nous n’avons pas le soutien voulu, alors nous allons nous retourner vers l’Union soviétique. Nous savons très bien que lorsqu’il a eu des problèmes lors de la mutinerie de la force publique, sa première démarche était de se tourner vers les USA.Nous savons aussi que le président Dwight David Eisenhower n’a pas voulu le recevoir. Il avait même fait le voyage des USA. Nous savons également que toutes les promesses qui avaient été faites du côté soviétique : l’envoi des avions Iliouchine…Rien n’a été fait et Lumumba s’est retrouvé seul.
Mais il y a eu cet effort, et tout de même s’il y a eu la sécession katangaise, je pense que c’est dans ce clivage, dans ce climat non seulement qu’il a trouvé la mort, mais aussi c’est grâce à son sacrifice que la sécession katangaise sera résolue, parce que cette sécession n’aura plus de bouc émissaire. L’ONU et la communauté internationale devraient bien reconnaître que, puisque le communiste n’est plus en vie, il n’y avait plus de raison pour justifier la sécession du Katanga.
Est-ce que le drame de Lumumba n’est pas qu’il soit le héros d’un pays trop grand et riche ?
Je pense qu’il en était conscient. Il a été avoyé par la guerre froide. Tout ce qui était nouveau, et la guerre froide et le fait que le Congo devienne un terrain favori de cette guerre froide, et finalement cette expérimentation de la présence des casques bleus quelque part dans le Congo.
De tous les chefs d’Etat qui se sont succédé au Congo depuis 1960, quel est celui qui a été le plus fidèle à son message ?
Bien attendu, nous devons citer Kabila, puisque c’est un projet de jeunesse. C’est quelqu’un qui a été fortement révolté. Il s’est décidé de poursuivre ce combat. Et voilà que 40 ans après, il disparait dans les mêmes conditions
Est-ce que les différents chefs d’état qui se sont succédé n’ont pas essayé de récupérer le mythe Lumumba ?
Oui. Cela me parait assez normal. Les hommes politiques cherchent toujours à avoir un point d’encrage par rapport à l’icône. Je dois dire également que les partis politiques comme l’UDPS, parti d’Etienne Tshisekedi.
Mais justement à force d’être récupéré par tant de partis politiques et d’hommes politiques, est-ce que le mythe Lumumba n’est pas en train d’être dénaturé ?
Je ne pense pas. Il y a la pensée politique de Lumumba. Il y a des éléments clé de cette pensée qui restent. Les éléments de base, notamment le primat de la fierté nationale sur tout autre démon. Ce n’est pas étonnant que nous ayons trouvé, comme chez Thomas Sankara, l’insistance à des slogans comme « la patrie ou la mort, nous vaincrons ». C’était des slogans de Lumumba. Ce qui démontre d’ailleurs que son nationalisme était à la fois congolais et africain.
MMC/RFI
(DNM/PKF)
Last edited: 17/01/2011 13:21:12