Notes de lecture de M. Amady Aly DIENG Étude
Notes de lecture de M. Amady Aly DIENG
Étude comparative entre les cosmogonies grecques et africaines
( Cheikh Moctar Bâ – L’Harmattan 2007 – 272 pages)
Comment résoudre les interrogations sur les étapes du processus existentiel?
Les cosmogonies sont des moments forts de la pensée à travers lesquels l’homme se pose des questions sur ses rapports au reste du monde, l’origine et la création. En effet, face à son angoisse existentielle, son étonnement à toutes les difficultés à maîtriser son environnement immédiat et lointain, il se pose certaines questions auxquelles ces discours tentent d’apporter des réponses.
C’est dans le sillage de celles-ci qu’il est question de relever des constantes et invariants, mais aussi des variantes. Aux interrogations sur les différentes étapes du processus existentiel, force est de noter que ces pensées grecques et africaines, bien qu’appartenant à des zones géographiques différentes, ont apporté des réponses justifiant l’usage de méthodes comparatives à travers l’étude objective de certains thèmes révélant une permanence des préoccupations de l’humanité.
Cet essai de Cheikh Moctar Bâ, docteur en philosophie, est un travail de philosophie comparative visant à montrer que les démarches de l’esprit humain sont identiques, quels que soient le peuple, la race et la zone considérés. S’interrogeant sur la question fondamentale de savoir
comment trouver l’Identité dans la Différence et l’Unité dans la Multiplicité. C’est une analyse qui transcende les barrières géographiques et les variantes locales pour saisir le bagage commun des croyances et de comportements, de réactions propres à l’humain en général, les convergences culturelles et la possibilité d’un dialogue, d’une compréhension mutuelle tout en laissant les particularités s’exprimer.
Ce livre est préfacé par Abdoulaye Elimane Kane, professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Vivant une angoisse permanente dans un étonnement lui donnant le désir de se questionner et de chercher des réponses à toutes ses sources d’inquiétude, l’homme ne cesse d’accorder une importance capitale à tout ce qui concerne les premiers moments de l’existence.
C’est ainsi que les questions du genre ‘quelle est la cause ultime de l’Etre ?’, ‘Quelles sont la ou les raisons de son existence ?’, ‘Qu’est-ce que l’Etre lui-même ?’, sont parmi tant d’autres, un ensemble de préoccupations essentielles et existentielles il éprouve le besoin de trouver des réponses.
La préoccupation fondamentale qui, parmi toutes, occupe une place de choix dans l’histoire des
Idées, est la recherche des sources de l’existence, de l’origine de l’Etre.
Qu’est-ce que l’origine de l’Etre ?
Comment s’appréhende le commencement de ce qui est ? Voilà autant d’interrogations qui se présentent comme une énigme pour l’homme et auxquelles chaque époque a tenté
de répondre. Les réponses à ces sollicitations étant multiples et variées, Cheikh Moctar Ba va essayer d’en avoir une approche des premières notamment celles présentées dans les théories cosmogoniques.
Il essaie de situer le sens de la notion d’ ’origine’ en tentant de l’appréhender de manière différentielle. André Leroi Gourhan écrit : ‘A tous les niveaux de civilisation, depuis les temps les plus reculés, l’une des préoccupations fondamentales de l’homme a été la recherche de ses origines’ (Le geste et la parole : Technique et langage, I, p.10.)
L’origine est une notion polysémique faisant l’objet de plusieurs utilisations dont sociologique, cosmogonique, logique entre autres.
Chez Emile Durkheim, l’origine se place dans le champ de l’observable et de la simplicité d’un élément considéré. Elle est un état, un fait plus simple que lointain, plutôt observable qu’à rechercher. L’origine dont il est question dans l’étude sociologique des religions telle qu’en atteste l’œuvre de Durkheim est en rapport avec une certaine conception de la notion de ‘fait social’ comme constatable et observable.
La question de l’origine est traitée dans les pensées cosmogoniques qui en font un objet central. Ce sont des formes de discours qui s’occupent du comment de
l’avènement du monde. C’est ainsi qu’’on trouve donc toujours une histoire primordiale, et cette histoire a un commencement : le mythe cosmogonique proprement dit ou un mythe qui nous présente le premier état larvaire ou germinal du Monde’ (Mircea Eliade, La nostalgie des origines Gallimard, 1971, p 156). C’est donc d’une origine au-delà ou en dehors de la temporalité.
C. M. Ba examine l’idée d’’origine’ chez Homère, Heriode, le problème de la nature du Tartare, la particularité du Chaos hésiodique, et le sens de l’’origine’ dans la cosmogonie orphique. Dans le système cosmogonique dogon, Amma est considéré comme Celui qui est avant tout autre, le premier qui s’est manifesté à l’existence ou plus exactement le premier à être. L’étude de la question de l’origine ne peut faire l’économie d’une double approche dans la pensée dogon eu égard à la manière dont l’exposé en est fait de part et d’autre des textes du Renard Pâle et du Dieu d’eau.
Dans la cosmogonie du Dieu d’eau, l’idée d’’origine ’ renvoie à une toute première forme d’existence dont l’appréhension passe par un véritable travail des origines. Ch. M. Ba pose cet aspect de la sorte car les ‘Entretiens avec Ogotemmêli’ révèlent qu’au début de l’univers, du monde, il y a à priori, le Dieu Amma qui se présente comme première forme d’apparition. Ainsi, Amma, est le premier signe existentiel.
Mais une difficulté de taille apparaît dès lors qu’il s’agit de décrire explicitement l’origine du monde. Cela en rapport au fait essentiel qu’il s’agit plus d’un exposé du ‘système du monde’, de sa décomposition que d’une explication des origines. Ainsi on est confronté au même problème qu’avec
l’analyse de la notion d’’origine ’ chez Homère. En effet, il est aussi question, dans ces Entretiens d’un monde déjà-là, qu’a pris naissance et dans lequel, le Créateur se met en place et effectue son œuvre créatrice.
Une remarque de taille est que l’’ordre ’ est présent en ce début du processus cosmogonique. Par conséquent, la cosmogonie dogon, du moins en cette phase primordiale, est plus proche du registre orphique que des œuvres homérique et hésiodique.
Au-delà des variations du Renard Pâle, ou malgré elles, une chose reste l’apanage de la pensée dogon, en général : c’est l’acception de l’existence de principe matériel (la glaise dans le Dieu d’eau et les autres clavicules dans le texte du Renard Pâle, comme principe originel de l’Etre.
S’il en est ainsi de la notion d’’origine’ dans l’optique de la pensée dogon à travers ces deux textes majeurs, comment
nous est-il possible de l’appréhender dans le registre cosmogonique de la pensée égypto-pharaonique. Dans la pensée cosmogonique égypto-pharaonique, l’idée d’’origine’ est appréhensible à travers la position du Noun. Le Noun est l’entité primordiale qui est la première forme de
l’Etre.
Une difficulté est ici appréhensible en rapport avec l’idée que Noun l’informe est contenant de quatre éléments différents les uns des autres. Mais cela nous paraît compréhensible dès lors que l’absence de forme de Noun renvoie à sa morphologie en tant qu’entité unique et indivisible mais c’est
de manière interne, dans son sens que les éléments le constituant gardent chacun son individualité. C’est de la même manière que quand Cheikh A. Diop parle du Noun en terme d’’indescriptible’ en sachant qu’il présuppose dans un passage précédent, la différenciation des éléments que sont Kouk et Nouket (les eaux primordiales et leurs opposés, les ténèbres et la lumière), Noun et Nounet (les eaux primordiales et leurs opposés, la matière et le néant) Heh et Hehet (l’infinité spatiale et son opposé, le vide et le plein) (cf Cheikh A. Diop Civilisation ou Barbarie, p. 427, p. 392).
Le caractère indescriptible du Noun renvoie donc plutôt à sa forme qu’à son fond.
Cette entité est antérieure et préexistante à toute autre forme d’existence qui émergera d’elle. Théophile Obenga rapporte dans La Philosophie Africaine de la Période Pharaonique
(L’Harmattan 1990) que ‘ le démiurge prendra conscience de lui-même par lui-même à l’existence (Kheper djes-ef) et de se mettre au travail. Ce qui veut dire que, dans la pensée
égypto-pharaonique, tout élément issu d’une création a un début, une genèse et un commencement, y compris le Dieu Créateur qui lui-même prend conscience de son être dans le Noun où il a demeuré en somnolence. C’est le lieu, l’entité dans laquelle se manifeste toute existence.
Nous dirons tout élément ‘issu d’une création’, car seule l’entité primordiale a son origine en soi et est posée en tant que telle dans son l’absoluité même’ tout en contenant en elle et en puissance les germes de la création de l’univers. Cette idée est rendue par Cheikh Anta Diop lorsqu’il souligne qu’ ’il n’a pas existé dans la cosmogonie égyptienne un instant zéro, à partir de duquel un être, la matière surgit du néant, du non être ; l’être au sens de Heidegger et J. P. Sartre, est éternel ; sa plénitude exclut a priori la possibilité même hypothétique du non-être, du néant comme absurdité suprême’ (Civilisation ou Barbarie P. 439, P. 429).
Par rapport aux positions heideggérienne et sartrienne de l’absoluité de l’existence de l’être, loin d’en faire une analyse exhaustive, Cheikh Moctar Bâ peut noter qu’elles ont en commun avec la remarque que l’être est et a toujours été. Il précise qu’une telle emprise n’est pas sa préoccupation essentielle dans son travail.
Dans une deuxième partie, Ch M. Ba aborde la définition de la ‘création’ , le sens de la ‘création dans la cosmogonie égypto-pharaonique’ . La manifestation de Râ à la fin de la création, l’idée de ‘création’ chez les Dogons, le processus de création dans le Dieu d’eau, le matérialisme du Dieu
d’eau et l’idéalisme du Renard Pâle- Il n’oublie pas de traiter de l’idée de ‘création’ dans l’œuvre homérique, de la ‘création dans le registre cosmogonique hésiodique de Zeus ou de la rupture dans la continuité de la création orphique…
Dans une troisième partie, l’auteur aborde les problèmes liés à l’Etre au Mouvement et au Devenir. L’analyse de la problématique de l’origine et de la création a permis de partager des moments forts des pensées cosmogoniques grecque et africaine prenant en charge le sens de ce qui a primordialement existé et la manière dont a lieu l’avènement des êtres créés. En effet, les cosmogonies témoignent de différents moments dont le passage des uns aux autres ainsi que ses modalités et modes d’expression ne peuvent manquer de montrer certaines interrogations. Ainsi, la question fondamentale qui se pose à ces formes de discours est de savoir, après que la distinction ait été établie entre les notions d’ ’origine ’ et de ‘création’, comment s’effectuera la relation entre les différents moments du déroulement du processus cosmogonique le passage de certains à d’autres.
Le concept de devenir est souvent opposés à la dynamique.
Cette opposition est surmontée par Alexis Kagame dans La philosophe bantu-rwandaise de l’Etre (Bruxelles 1956). Ce n’est pas sous le rapport de l’essence que se joue cette apparente opposition, selon Cheikh Moctar Bâ. C’est discutable Ce livre soulève beaucoup de problèmes qui méritent d’être examinés par les chercheurs africains. Il peut susciter des discussions intéressantes sur le plan scientifique et notamment sur la différence qu’il y a entre origine, commencement, création. Il est regrettable que l’auteur n’ait guère exprimé une quelconque critique sur les travaux de Marcel Griaule qui n’a guère appris et maîtrisé la langue des Dogons. Jack Goody, l’anthropologue anglais a commencé ce travail.
Amady Aly DIENG