5 janvier 2012
Notes de lecture - Léopold Sédar Senghor,
Notes de lecture -
Léopold Sédar Senghor, Majhemout Diop et le marxisme
par Thierno Diop l’Harmattan 2010 203 pages -
Senghor et Majhemout Diop : regards croisés sur le marxisme
Thierno Diop, l’auteur ce livre, par de subtiles analyses, instaure un dialogue critique entre de grandes figures telles que Léopold Sédar Senghor, le président poète et Majhemout Diop, ancien dirigeant du premier parti marxiste sénégalais. Il dévoile leurs divergences sur des thèmes aussi fondamentaux que l’humanisme, la lutte des classes, l’Etat, le prolétariat, le communisme, la pratique théorique, le capitalisme, la dialectique, la dictature du prolétariat, le retard de l’Afrique, l’histoire, etc.
Le marxisme africain ou le marxisme en Afrique est abordé sans complaisance, avec passion, mais objectivement, eu égard à la problématique d’une universalité ou non du marxisme que l’auteur questionne surtout à travers une lecture croisée d’un non marxiste (Senghor) et d’un marxiste (Majhemout Diop), où l’on découvre que le premier apparaît parfois, sur bien des points, beaucoup plus critique et moins dogmatique que le second, et que l’actualité du marxisme est plus que jamais patente et manifeste, comme on peut encore l’apprécier au vu des errements et de la crise du système capitaliste d’aujourd’hui.
C’est dans un contexte historique particulier que l’Afrique est entrée en contact avec le marxisme. Presque partout ; les intellectuels patriotes ont été les vecteurs de l’idéologie marxiste. En l’absence d’un capitalisme local et d’une véritable bourgeoisie dont une partie, celle des idéologues bourgeois qui se haussent jusqu’à l’intelligence théorique de l’ensemble du mouvement historique et qui rejoignent les rangs du prolétariat pour apporter à ce dernier la conscience révolutionnaire, seuls les intellectuels patriotes pouvaient s’acquitter de la tâche d’importation de la théorie marxiste. D’ailleurs, l’ambiance dans laquelle baignaient la plupart d’entre eux, les problèmes auxquels ils étaient confrontés, les préparaient mieux que toutes autres personnes à être les vecteurs du marxisme. Ce n’est pas le marxisme originel (celui de Marx et d’Engels) que les intellectuels africains ont importé, mais le marxisme tel qu’il était constitué dans la ‘formation idéologique bolchevique’ des années 30 du XXe siècle. Sclérosé, ce marxisme fonctionnait, comme l’a indiqué Charles Bettelheim, comme une grille de figures idéologiques à appliquer à la réalité.
Nonobstant cette fonction, le marxisme de la ‘formation idéologique bolchevique’ n’était pas fidèle sur bien des points au marxisme originel, parce se présentant sous la forme d’une réalité contradictoire au sein de laquelle coexistaient et s’affrontaient des éléments marxistes et non marxistes, ceux-ci par leur terminologie passant cependant pour marxistes. L’importation du marxisme par une couche particulière de la société, les intellectuels petits-bourgeois ne s’étant pas totalement suicidés pour renaître en éléments prolétariens, selon l’expression d’Amilcar Cabral, souvent coupés de leurs réalités nationales, enthousiastes et impatients, a conféré deux statuts particuliers au marxisme, selon qu’on l’acceptait ou le rejetait : celui d’être un moyen de combler imaginairement l’écart entre la situation présente non désirée, celui de voiler la réalité et à ceux à qui l’on veut faire accepter cette même réalité pour l’analyser en vue de la transformer.
La lecture senghorienne du marxisme
Dans le premier cas, le marxisme fonctionne comme idéologie, c’est-à-dire comme anticipation d’une réalité non encore advenue ; dans le second cas, il sert à présenter une réalité, non telle qu’elle est, mais telle qu’on veut qu’elle soit.
La lecture senghorienne du marxisme est l’une des mieux élaborées pour tirer profit des œuvres des fondateurs du socialisme scientifique. Les écrits de M. Diop reflètent une étape importante de la pratique théorique du marxisme au Sénégal. Cette étape, que l’auteur appelle préhistoire théorique, est une période durant laquelle on entretient avec le marxisme un rapport sentimental qui inhibe toute capacité de réflexion critique.
Dans sa lecture de l’œuvre de Marx traitant de l’humanisme, Senghor adopte une double attitude. Il décèle les aspects positifs et négatifs de l’humanisme de Marx et tente un dépassement de cet humanisme.
En dépit de la reconnaissance de l’aspect positif de l’humanisme de Marx, Senghor adresse un certain nombre de reproches à cet humanisme. Le premier, c’est de n’avoir pas poussé jusqu’à ses limites l’analyse économique, d’avoir mis l’accent sur le matérialisme et d’avoir substitué le déterminisme à la liberté. Ainsi, Marx mettait un accent de plus en plus fort sur le matérialisme et le déterminisme, la praxis et les moyens, au détriment de la dialectique et de l’éthique, pour tout dire de l’homme et de sa liberté. L’aliénation de l’Ouest africain présente un caractère particulier. Elle n’est pas d’une classe à une autre classe, elle est d’un pays dominé à un pays dominant, véritablement, d’un groupe ethnique à un autre car ici, à la domination économique, s’ajoute en la fondant une domination politique et culturelle, colorée de racisme.
La religion et la liberté font partie intégrante de l’humanisme négro-africain. Réalisé au niveau d’un territoire, l’humanisme négro-africain doit embrasser tous les peuples malgré leurs diversités. Bref, il doit déboucher sur la Civilisation de l’Universel. Devant le malianisme, le nationalisme, le pannégrisme, la Négritude, le panafricanisme, le panarabisme, Senghor proclame que le seul ‘panisme’ qui réponde aux exigences du XXe siècle est le panhumanisme, un humanisme qui embrasse tous les hommes.
Senghor est fasciné par Les Manuscrits de 1844 qui constituent l’ouvrage dans lequel Marx expose, pour la première fois, sa conception de l’homme. Ce qui est nouveau dans les thèses sur Feuerbach, c’est que Marx rompt avec la problématique feuerbachienne d’une essence universelle de l’homme conçue comme attribut des individus isolés qui en sont sujets. Dans Le Capital, Marx rompt définitivement avec l’humanisme des Manuscrits de 1844. Il passe d’une description de l’aliénation en des termes souvent spéculatifs, à une étude scientifique de ses fondements dans le régime capitaliste. Cette fascination est due à la fréquentation intellectuelle des pères de l’Eglise catholique comme le père Henri Chambre, Calvez, etc. qui insistent sur Marx l’humaniste.
L’attitude contradictoire de Senghor à l’égard du marxisme
De la reconnaissance des aspects positifs et négatifs de la dialectique marxiste, Senghor passe à l’enrichissement de celle-ci. Pour ce faire , il a recours au Révérend Père Teilhard de Chardin qui, par rapport à Marx, à ses yeux, a le double mérite d’avoir appuyé sa conception de la matière sur les dernières découvertes des physiciens et d’avoir prolongé le devenir jusqu’au plan divin.
Le Révérend Père Teilhard de Chardin n’a pas élaboré sa méthode dialectique à partir d’une lecture de Hegel. Il l’a découverte au cours de sa pratique scientifique. Quand il décrit le passage de la Biosphère à la Noosphère, il se livre, à partir de ce que la science enseigne, à une extrapolation qui le fait situer, à la pointe de l’évolution, le Point Oméga, version laïque du Dieu de la religion chrétienne.
Thierno Diop examine de façon critique l’attitude de Senghor à l’égard de la gnoséologie marxiste. Le poète président ou plutôt le président poète rejette son postulat matérialiste et l’athéisme sous-tendant ce dernier.
C’est au nom de la spécifié africaine que Senghor n’accepte pas l’existence de classes sociales. En Afrique, il y aurait tout au plus des catégories socioprofessionnelles dont les intérêts, pour divergents qu’ils soient, ne sont pas opposés. La négation des classes et de la lutte des classes va de pair, chez Senghor, avec celle de la fonction de l’Etat.
Thierno Diop traite des relations entre le marxisme, Senghor et l’histoire. L’attitude contradictoire de Senghor à l’égard du marxisme est lié à l’histoire du marxisme et au rapport de Senghor avec cette même histoire. Il existe deux marxismes : le marxisme originel et le marxisme d’après Marx.
C’est d’après les deux Guerres mondiales que date la rencontre de Senghor avec le marxisme. La première rencontre a eu lieu dans le cadre du mouvement de la Négritude, la seconde avec son entrée dans la vie politique. Senghor n’est pas entré en contact avec le marxisme originel, mais avec le marxisme sous l’aspect qu’il avait revêtu en Europe occidentale.
L’évolution de la société sénégalaise et sa structure d’ensemble
Majhemout Diop considère que le marxisme comme une théorie efficace et salutaire. Il en a besoin pour penser son action et agir sa pensée (Contribution à l’étude des problèmes politiques en Afrique noire, Paris, Présence Africaine, 1958, p. 14). Sa ‘pratique théorique’ porte sur l’étude des causes du retard de l’Afrique noire, l’évolution de la société sénégalaise et sa structure d’ensemble.
Selon Diop, le retard du continent est lié à deux grandes causes : l’isolement de l’Afrique d’une part, l’esclavage et l’action de l’impérialisme, d’autre part. L’isolement du continent est dû au milieu géographique et à la pénétration tardive en Afrique. Diop recense les facteurs géographiques du continent qui sont défavorables à son développement. Tirant les conclusions de cette situation géographique de l’Afrique par rapport aux autres continents, il note que du point de vue des contacts humains nécessaires au développement de toute civilisation, le voisinage des autres continents n’a été qu’illusoire et de bien faible apport. A la position géographique du continent comme première cause du retard de l’Afrique, succède la massivité du continent.
La pénétration tardive du continent constitue la deuxième cause de l’isolement de l’Afrique. Diop distingue deux périodes de cette pénétration ; les tentatives de pénétration et la pénétration effective.
La pratique de la traite des Noirs et l’action de l’impérialisme constituent la deuxième grande cause du retard de l’Afrique noire.
L’étude des sociétés africaines en général, sénégalaises en particulier, constitue le deuxième champ de la ‘pratique théorique’ de Diop. Cette évolution obéit dans ses grandes lignes à celle des sociétés humaines... L’humanité, dans son développement, a connu cinq systèmes économiques différents : la communauté primitive, l’esclavagisme, le système féodal, le capitalisme et le socialisme. C’est à partir de ce constat que Diop va chercher à prouver l’existence de cinq systèmes économiques se succédant dans l’histoire de l’Afrique. Cette thèse de l’évolution linéaire héritée de Staline fait l’objet d’une critique pertinente de la part de l’auteur.
L’Afrique dans le champ théorique marxiste
Thierno Diop n’a pas manqué d’examiner les relations entre Majhemout Diop, le marxisme et l’histoire. Il analyse sa rencontre avec le marxisme et le contexte théorique de cette rencontre.
On assiste à l’étrange destin d’un marxisme importé par des intellectuels petits-bourgeois souvent coupés de leurs réalités ou les méconnaissant fondamentalement et se trouvant dans une situation de sous-développement historique générateur d’une extraversion théorique. La ‘pratique théorique de Diop nous a donné l’image d’un tel marxisme’.
Dans la dernière partie du livre, Thierno Diop aborde les relations entre le marxisme et l’Afrique. Il délimite le champ théorique du marxisme avant de situer l’Afrique dans le champ théorique marxiste.
En conclusion, aujourd’hui, les échecs de ceux qui se réclament du marxisme ont créé les conditions objectives permettant le passage d’une préhistoire théorique (période de relation sentimentale avec le marxisme) à l’histoire théorique (période où il est devenu possible d’avoir un rapport objectif, c’est-à-dire critique, avec le marxisme). L’histoire théorique ne doit pas être en rupture avec le marxisme dans ce qu’il a d’universel, mais elle doit contribuer à développer cet universel à partir du particulier. Seule une telle attitude peut constituer l’amorce d’une nouvelle ère de floraison au terme de laquelle l’Afrique apportera sa contribution à une théorie qui se veut universelle.
Avec la crise actuelle du système capitaliste mondial, il y a retour à Marx qui ainsi renaît dans le monde occidental. Thierno Diop a été très bien inspiré de revisiter la pensée de Marx en s'appuyant sur une bonne connaissance des ouvrages fondamentaux de Karl Marx d’autres penseurs marxistes.
Amady Aly DIENG
Le marxisme africain ou le marxisme en Afrique est abordé sans complaisance, avec passion, mais objectivement, eu égard à la problématique d’une universalité ou non du marxisme que l’auteur questionne surtout à travers une lecture croisée d’un non marxiste (Senghor) et d’un marxiste (Majhemout Diop), où l’on découvre que le premier apparaît parfois, sur bien des points, beaucoup plus critique et moins dogmatique que le second, et que l’actualité du marxisme est plus que jamais patente et manifeste, comme on peut encore l’apprécier au vu des errements et de la crise du système capitaliste d’aujourd’hui.
C’est dans un contexte historique particulier que l’Afrique est entrée en contact avec le marxisme. Presque partout ; les intellectuels patriotes ont été les vecteurs de l’idéologie marxiste. En l’absence d’un capitalisme local et d’une véritable bourgeoisie dont une partie, celle des idéologues bourgeois qui se haussent jusqu’à l’intelligence théorique de l’ensemble du mouvement historique et qui rejoignent les rangs du prolétariat pour apporter à ce dernier la conscience révolutionnaire, seuls les intellectuels patriotes pouvaient s’acquitter de la tâche d’importation de la théorie marxiste. D’ailleurs, l’ambiance dans laquelle baignaient la plupart d’entre eux, les problèmes auxquels ils étaient confrontés, les préparaient mieux que toutes autres personnes à être les vecteurs du marxisme. Ce n’est pas le marxisme originel (celui de Marx et d’Engels) que les intellectuels africains ont importé, mais le marxisme tel qu’il était constitué dans la ‘formation idéologique bolchevique’ des années 30 du XXe siècle. Sclérosé, ce marxisme fonctionnait, comme l’a indiqué Charles Bettelheim, comme une grille de figures idéologiques à appliquer à la réalité.
Nonobstant cette fonction, le marxisme de la ‘formation idéologique bolchevique’ n’était pas fidèle sur bien des points au marxisme originel, parce se présentant sous la forme d’une réalité contradictoire au sein de laquelle coexistaient et s’affrontaient des éléments marxistes et non marxistes, ceux-ci par leur terminologie passant cependant pour marxistes. L’importation du marxisme par une couche particulière de la société, les intellectuels petits-bourgeois ne s’étant pas totalement suicidés pour renaître en éléments prolétariens, selon l’expression d’Amilcar Cabral, souvent coupés de leurs réalités nationales, enthousiastes et impatients, a conféré deux statuts particuliers au marxisme, selon qu’on l’acceptait ou le rejetait : celui d’être un moyen de combler imaginairement l’écart entre la situation présente non désirée, celui de voiler la réalité et à ceux à qui l’on veut faire accepter cette même réalité pour l’analyser en vue de la transformer.
La lecture senghorienne du marxisme
Dans le premier cas, le marxisme fonctionne comme idéologie, c’est-à-dire comme anticipation d’une réalité non encore advenue ; dans le second cas, il sert à présenter une réalité, non telle qu’elle est, mais telle qu’on veut qu’elle soit.
La lecture senghorienne du marxisme est l’une des mieux élaborées pour tirer profit des œuvres des fondateurs du socialisme scientifique. Les écrits de M. Diop reflètent une étape importante de la pratique théorique du marxisme au Sénégal. Cette étape, que l’auteur appelle préhistoire théorique, est une période durant laquelle on entretient avec le marxisme un rapport sentimental qui inhibe toute capacité de réflexion critique.
Dans sa lecture de l’œuvre de Marx traitant de l’humanisme, Senghor adopte une double attitude. Il décèle les aspects positifs et négatifs de l’humanisme de Marx et tente un dépassement de cet humanisme.
En dépit de la reconnaissance de l’aspect positif de l’humanisme de Marx, Senghor adresse un certain nombre de reproches à cet humanisme. Le premier, c’est de n’avoir pas poussé jusqu’à ses limites l’analyse économique, d’avoir mis l’accent sur le matérialisme et d’avoir substitué le déterminisme à la liberté. Ainsi, Marx mettait un accent de plus en plus fort sur le matérialisme et le déterminisme, la praxis et les moyens, au détriment de la dialectique et de l’éthique, pour tout dire de l’homme et de sa liberté. L’aliénation de l’Ouest africain présente un caractère particulier. Elle n’est pas d’une classe à une autre classe, elle est d’un pays dominé à un pays dominant, véritablement, d’un groupe ethnique à un autre car ici, à la domination économique, s’ajoute en la fondant une domination politique et culturelle, colorée de racisme.
La religion et la liberté font partie intégrante de l’humanisme négro-africain. Réalisé au niveau d’un territoire, l’humanisme négro-africain doit embrasser tous les peuples malgré leurs diversités. Bref, il doit déboucher sur la Civilisation de l’Universel. Devant le malianisme, le nationalisme, le pannégrisme, la Négritude, le panafricanisme, le panarabisme, Senghor proclame que le seul ‘panisme’ qui réponde aux exigences du XXe siècle est le panhumanisme, un humanisme qui embrasse tous les hommes.
Senghor est fasciné par Les Manuscrits de 1844 qui constituent l’ouvrage dans lequel Marx expose, pour la première fois, sa conception de l’homme. Ce qui est nouveau dans les thèses sur Feuerbach, c’est que Marx rompt avec la problématique feuerbachienne d’une essence universelle de l’homme conçue comme attribut des individus isolés qui en sont sujets. Dans Le Capital, Marx rompt définitivement avec l’humanisme des Manuscrits de 1844. Il passe d’une description de l’aliénation en des termes souvent spéculatifs, à une étude scientifique de ses fondements dans le régime capitaliste. Cette fascination est due à la fréquentation intellectuelle des pères de l’Eglise catholique comme le père Henri Chambre, Calvez, etc. qui insistent sur Marx l’humaniste.
L’attitude contradictoire de Senghor à l’égard du marxisme
De la reconnaissance des aspects positifs et négatifs de la dialectique marxiste, Senghor passe à l’enrichissement de celle-ci. Pour ce faire , il a recours au Révérend Père Teilhard de Chardin qui, par rapport à Marx, à ses yeux, a le double mérite d’avoir appuyé sa conception de la matière sur les dernières découvertes des physiciens et d’avoir prolongé le devenir jusqu’au plan divin.
Le Révérend Père Teilhard de Chardin n’a pas élaboré sa méthode dialectique à partir d’une lecture de Hegel. Il l’a découverte au cours de sa pratique scientifique. Quand il décrit le passage de la Biosphère à la Noosphère, il se livre, à partir de ce que la science enseigne, à une extrapolation qui le fait situer, à la pointe de l’évolution, le Point Oméga, version laïque du Dieu de la religion chrétienne.
Thierno Diop examine de façon critique l’attitude de Senghor à l’égard de la gnoséologie marxiste. Le poète président ou plutôt le président poète rejette son postulat matérialiste et l’athéisme sous-tendant ce dernier.
C’est au nom de la spécifié africaine que Senghor n’accepte pas l’existence de classes sociales. En Afrique, il y aurait tout au plus des catégories socioprofessionnelles dont les intérêts, pour divergents qu’ils soient, ne sont pas opposés. La négation des classes et de la lutte des classes va de pair, chez Senghor, avec celle de la fonction de l’Etat.
Thierno Diop traite des relations entre le marxisme, Senghor et l’histoire. L’attitude contradictoire de Senghor à l’égard du marxisme est lié à l’histoire du marxisme et au rapport de Senghor avec cette même histoire. Il existe deux marxismes : le marxisme originel et le marxisme d’après Marx.
C’est d’après les deux Guerres mondiales que date la rencontre de Senghor avec le marxisme. La première rencontre a eu lieu dans le cadre du mouvement de la Négritude, la seconde avec son entrée dans la vie politique. Senghor n’est pas entré en contact avec le marxisme originel, mais avec le marxisme sous l’aspect qu’il avait revêtu en Europe occidentale.
L’évolution de la société sénégalaise et sa structure d’ensemble
Majhemout Diop considère que le marxisme comme une théorie efficace et salutaire. Il en a besoin pour penser son action et agir sa pensée (Contribution à l’étude des problèmes politiques en Afrique noire, Paris, Présence Africaine, 1958, p. 14). Sa ‘pratique théorique’ porte sur l’étude des causes du retard de l’Afrique noire, l’évolution de la société sénégalaise et sa structure d’ensemble.
Selon Diop, le retard du continent est lié à deux grandes causes : l’isolement de l’Afrique d’une part, l’esclavage et l’action de l’impérialisme, d’autre part. L’isolement du continent est dû au milieu géographique et à la pénétration tardive en Afrique. Diop recense les facteurs géographiques du continent qui sont défavorables à son développement. Tirant les conclusions de cette situation géographique de l’Afrique par rapport aux autres continents, il note que du point de vue des contacts humains nécessaires au développement de toute civilisation, le voisinage des autres continents n’a été qu’illusoire et de bien faible apport. A la position géographique du continent comme première cause du retard de l’Afrique, succède la massivité du continent.
La pénétration tardive du continent constitue la deuxième cause de l’isolement de l’Afrique. Diop distingue deux périodes de cette pénétration ; les tentatives de pénétration et la pénétration effective.
La pratique de la traite des Noirs et l’action de l’impérialisme constituent la deuxième grande cause du retard de l’Afrique noire.
L’étude des sociétés africaines en général, sénégalaises en particulier, constitue le deuxième champ de la ‘pratique théorique’ de Diop. Cette évolution obéit dans ses grandes lignes à celle des sociétés humaines... L’humanité, dans son développement, a connu cinq systèmes économiques différents : la communauté primitive, l’esclavagisme, le système féodal, le capitalisme et le socialisme. C’est à partir de ce constat que Diop va chercher à prouver l’existence de cinq systèmes économiques se succédant dans l’histoire de l’Afrique. Cette thèse de l’évolution linéaire héritée de Staline fait l’objet d’une critique pertinente de la part de l’auteur.
L’Afrique dans le champ théorique marxiste
Thierno Diop n’a pas manqué d’examiner les relations entre Majhemout Diop, le marxisme et l’histoire. Il analyse sa rencontre avec le marxisme et le contexte théorique de cette rencontre.
On assiste à l’étrange destin d’un marxisme importé par des intellectuels petits-bourgeois souvent coupés de leurs réalités ou les méconnaissant fondamentalement et se trouvant dans une situation de sous-développement historique générateur d’une extraversion théorique. La ‘pratique théorique de Diop nous a donné l’image d’un tel marxisme’.
Dans la dernière partie du livre, Thierno Diop aborde les relations entre le marxisme et l’Afrique. Il délimite le champ théorique du marxisme avant de situer l’Afrique dans le champ théorique marxiste.
En conclusion, aujourd’hui, les échecs de ceux qui se réclament du marxisme ont créé les conditions objectives permettant le passage d’une préhistoire théorique (période de relation sentimentale avec le marxisme) à l’histoire théorique (période où il est devenu possible d’avoir un rapport objectif, c’est-à-dire critique, avec le marxisme). L’histoire théorique ne doit pas être en rupture avec le marxisme dans ce qu’il a d’universel, mais elle doit contribuer à développer cet universel à partir du particulier. Seule une telle attitude peut constituer l’amorce d’une nouvelle ère de floraison au terme de laquelle l’Afrique apportera sa contribution à une théorie qui se veut universelle.
Avec la crise actuelle du système capitaliste mondial, il y a retour à Marx qui ainsi renaît dans le monde occidental. Thierno Diop a été très bien inspiré de revisiter la pensée de Marx en s'appuyant sur une bonne connaissance des ouvrages fondamentaux de Karl Marx d’autres penseurs marxistes.
Amady Aly DIENG
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