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12 juin 2012

Notes de lecture - La galerie des grands hommes

Notes de lecture - La galerie des grands hommes du journaliste-écrivain Jean Daniel - Les Miens par Jean Daniel Gallimard 2010 421 pages

Le besoin d’évoquer certains des êtres qui ont illuminé le parcours de Jean Daniel le tenaille depuis qu’il a découvert qu’ils occupaient ses nuits. Il s’appuie volontiers sur eux pour conjurer la hantise devant le grand vide qui le rendra orphelin de toute protection. On connaît le merveilleux mot de Picasso à Matisse : «Le jour où l’un de nous disparaîtra, l’autre ne saura plus à qui parler de certaines choses.» Jean Daniel a trouvé le moyen, en évoquant un certain nombre de ceux qui ont compté pour lui, de continuer à leur parler. Et c’est là que réside l’ambition de son titre : qu’ils soient célèbres ou non, qu’ils soient des adversaires attentifs plutôt que des amis, ils ont contribué à faire de lui ce qu’il est tous adoptés comme les siens.

 

 

Fondateur du Nouvel Observateur, journaliste et écrivain, Jean Daniel a marqué de son empreinte la seconde moitié du XXe siècle.  Avec ce livre, il enrichit de façon originale notre connaissance des hommes et des femmes qui ont croisé sa route, qu’il s’agisse d’aînés prestigieux tels Matisse, Gide et Mauriac, d’hommes politiques tels Senghor, Mendès France et Mitterrand, où d’amis proches comme le furent Germaine  Tillion et Camus. C’est naturel : chacun de nous se tient pour l’auteur exclusif de ses attitudes, de ses convictions, de ses actes : de soi-même ; chacun de nous est porté à sous-estimer le rôle des hasards qui, par des rencontres imprévisibles, nous modèlent de l’extérieur, écrit son préfacier Milan Kundera. Pourtant, arrive un jour où nous commençons à apercevoir autour de nous un cortège clairsemé et à y reconnaître ceux sans lesquels nous ne serions pas ce que nous sommes. Jean Daniel les appelle «Les miens». Son livre, dont c’est le titre, est la galerie de leurs portraits. Peut-être est-il en même temps une autobiographie discrètement écrite sur l’envers du livre.

Les portraits sont au nombre de cinquante et un. Le premier est celui de sa mère et, par son truchement, de toute sa famille qui est juive, habite en Algérie et se considère comme française. Le «triangle identitaire». Le signe gravé sur la première pierre de sa vie et en même temps l’un des grands thèmes du livre.Le second portrait est celui de l’ami de sa prime jeunesse, Vicente, jeune fils d’une famille pauvre, qui un jour partira pour l’Espagne où il sera tué par les franquistes pendant la guerre civile. Un rêve de révolution qui restera inoublié dans la vie de Jean Daniel et deviendra   un autre grand thème de sa galerie. Ces cinquante et un personnages sont tous morts. Dans cette absence de vivants, absence inconditionnelle, il voit un sens profond  qu’élucident les vers de Guillaume Apollinaire cités en exergue dès la première page :

Rien n’est mort que ce qui n’existe pas encore

Près du passé luisant demain est incolore

Demain n’a pas d’existence réelle, demain est mort. C’est dans le passé que la vie se concentre. Le passé, il faut donc le protéger face à ceux qui survivent et qui, à leur insu, sont toujours prêts à oublier ce qu’ils étaient, ce qu’ils faisaient, ce qu’ils pensaient. André Gide est son professeur de doute. Avant la quarantaine, Gide est celui dont toute société intellectuelle et pas seulement parisienne peut citer certaines formules qui lui sont venues à l’esprit, une après l’autre, sans y réfléchir. Il a perdu son père, un professeur d’origine cévenole, à onze ans. Sa mère, protestante d’origine normande, ne lui impose que des leçons de piano, instrument dont il jouera toute sa vie. Il est l’héritier d’une grande famille provinciale, huguenote, austère et puritaine.

Son père eût-il vécu, ses origines eussent-elles été catholiques, son parcours eût été probablement très proche à Bordeaux. Il dénonce le colonialisme français au Tchad en 1927. Ce Gide-là n’est pas connu. Du moins pas assez. C’est à peine si l’on se rappelle que, dreyfusard, il signe la pétition en faveur d’Emile Zola à la suite de la publication de son «J’accuse». Simon Leys écrit tranquillement qu’on pourrait dire que Gide n’est qu’«un pédophile, un pingre et un antisémite». Gide a écrit «Corydon» qui est tout de même et d’abord une vigoureuse et précoce défense de l’homosexualité. Sa démarche anticipe sur celle de Simone de Beauvoir ; l’auteur du «Deuxième Sexe» affirmera qu’on ne naît pas femme mais on le devient. Gide proclame de même qu’on ne naît pas hétérosexuel, on le devient. Ce qui fera scandale.

Léopold Sédar Senghor

Le chantre de la négritude et de la francophonie avait l’obsession de l’étymologie et du métissage ; il pouvait très bien penser que son nom avait été imaginé à la fois par Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, et par Henri le Navigateur. Jean Daniel a entendu Senghor lire, avec la poitrine gonflée de gratitude, tout ce que Malraux avait mis dans sa bouche, tout ce qu’il ne lui avait jamais dit et qu’il trouvait pourtant d’une évidence plus lyrique que l’infidèle vérité. Senghor, chef d’Etat, rêve d’une civilisation de «négresses blondes». Il lui fallait bien, en pensée mais à regret, passer de la compagnie de Saint-John Perse à celle de Pompidou, son ancien condisciple de Kâgne à Louis-le-Grand. S’il y avait quelque chose de commun entre les jeunes Senghor et Pompidou, c’était d’être nés dans un milieu catholique, d’être des enfants de l’école républicaine et d’être socialistes. «Je ne savais pas que je cherchais Dieu dans Marx et dans Engels, je ne l’ai point trouvé», écrira plus tard le poète noir lorsqu’il découvrira le paléontologue chrétien Teilhard de Chardin. C’est au catéchisme qu’il a appris la langue française laquelle n’était pas pour lui, comme pour l’Algérien Kateb Yacine, un «butin de guerre». C’était une patrie. «Je m’exprimais en français, parce que je pense en français, parce c’est la langue qui dompte le mieux les sauvages richesses de mes racines».

Pendant vingt ans, L. S. Senghor a régné en monarque républicain sans aucun de ses sujets-citoyens ne lui fasse la moindre observation sur son mariage avec une Normande, sur la priorité qu’il donnait dans l’enseignement à l’étude du grec et du latin, sur la liberté avec laquelle il rappelait que sur l’île de Gorée les négriers étaient des Arabes, sur son refus d’établir la moindre hiérarchie entre les peuples «souffrants», qui comprenaient à ses yeux autant les Noirs que les Juifs et les Berbères. Lorsque son pays accède à l’indépendance, il interdit aux élites sénégalaises de mettre désormais leurs faiblesses et leurs lacunes sur le compte de la colonisation.

Chrétien noir, Il chante à la fois la négritude et la mixité. Patriote africain, il veut à toute force trouver des racines portugaises dans les mots Senghor et Sénégal. Partisan de l’indépendance de son pays, il est l’un des rédacteurs de Constitution de la IVe République. Président de la République du Sénégal, il acceptera d’entrer à l’académie française. Il trouve des origines communes à tous ceux qu’il aime. -Jean Daniel l’entend encore l’initier aux tableaux de Soulages - il a été l’un des premiers découvreurs de ce peintre - en soulignant l’africanité de l’abstraction dans l’utilisation de la couleur noire. Il ne croit pas qu’un étranger, si du moins on peut employer ce mot en parlant de lui, n’ait jamais compris avec autant de pénétration ce que fut le génie de la France.

Tout en conservant un culte pour Teilhard de Chardin, il a éprouvé une passion pour l’œuvre de l’Allemand Leo Frobenius, à qui il ne reprochait que de n’être pas français. Chez Michel Foucault, régnait la passion de l’insolite. Professeur en Tunisie, il écrivait «L’Archéologie du Savoir». Son autorité, depuis  «Les Mots et les Choses», s’imposait déjà dans les cénacles parisiens. Maurice Clavel avait décidé que Foucault, c’était au moins aussi important que Kant. Il avait l’habitude de travailler dès l’aube devant les grandes fenêtres de sa villa qui donnaient  sur la baie. Il était connu pour sa gourmandise à aimer et à vivre au soleil. Il était, le plus discrètement du monde, homosexuel.

Depuis Bergson, aucun philosophe ne s’est jamais autant soucié de bien écrire, et la langue de Foucault était somptueuse ; mais, de plus, la conversation avec lui avait ce don enchanteur et redoutable : elle donnait à l’interlocuteur la complète illusion de devenir intelligent. Raymond Aaron intimidait par sa capacité souveraine à discerner, à l’accompagner dans sa recherche déroutante. Avec lui, on séparait, dissociait, déconstruisait pour aborder les rives de fleuves inconnus et limpides mais dont le cours ne s’arrêtait pas. On était rassuré par Aron ; entraîné et enrichi par Foucault. Maxime Rodinson a su naviguer entre Marx et Mahomet. C’est ce même homme qui allait devenir, avec Charles-André Julien et Jacques Berque, l’un des plus grands orientalistes français et l’un des maîtres à penser de plusieurs générations d’arabisants francophones.

Philosophe, historien, anthropologue et philologue, ce fils d’immigrés juifs et ouvriers parlait en effet couramment, outre les langues européennes, l’arabe, l’hébreu, le turc et l’éthiopien ancien (le guèze). Il fut communiste comme ses parents, morts en camp de concentration. Et il a décidé qu’ils étaient morts en communistes et non en juifs. Son marxisme devait le rendre indépendant de toutes  déviations courantes chez les savants de sa discipline. Il a écrit le plus librement «Une vie de Mahomet», livre de référence longtemps interdit dans le monde arabe. Comme Bernard Lewis, pour la science duquel il avait un grand respect, Maxime Rodinson a refusé de sous-estimer l’éventualité d’une reprise du «choc des civilisations» qui a notamment opposé pendant des siècles la chrétienneté et l’islam.

Un jour de Kippour (la fête juive du Grand Pardon), en octobre 1995, Annie Cohen-Solal avait invité Jacques Derrida et Jean Daniel à faire un exposé sur leurs «aliénations respectives» à l’université de New York où elle été professeur. Ce jour-là, il n’y avait pratiquement pas d’étudiants blancs. Jean Daniel était heureux d’être à côté de Jacques Derrida dans cette ville où son prestige était déjà grand. Il a osé dire qu’il ne se sentait pas aliéné. Peut-être ses grands-parents avaient-ils eu ce sentiment jadis. Lui, il ne se trouvait plutôt à l’aise dans son identité française. Mais Jacques Derrida, à son tour, s’est exprimé. Les choses avaient été pour lui moins simples. D’abord, il avait dix ans de moins que lui et il avait subi très jeune les lois antisémites de Vichy : on l’avait refusé à l’école. Et Derrida s’est mis à parler la langue d’une manière émouvante si l’on songe qu’il devait confier plus tard son rêve de laisser une trace dans la langue française.

Il a dit que le français était sa langue maternelle et que jusqu’à quinze ans, il n’en connaissait pas d’autre. Le cours a pris fin. L’amphithéâtre s’est vidé. Jean Daniel et Jacques Derrida ont poursuivi la conversation dans un restaurant. Jacques Derrida lui a dit : «Je n’ai jamais jeûné le jour du Kippour, mais ici, dans cette ville qui observe tant les rites, je ressens comme une gêne». Il n’avait pas encore lu le livre magnifique d’Hélène Cixous sur les nouveaux rapports de Derrida avec le fait d’être né juif «Portrait de Jacques Derrida en jeune saint juif»  (Galilée, 2001). Il a vieilli dans la compagnie de ses amis dans l’Union rationaliste, de Jean-Pierre Vernant à Pierre Vidal-Naquet et à Mohamed Harbi. Ce livre bien écrit est une passionnante galerie de grands hommes que Jean Daniel a connus : Jean-Pierre Vernant, Alexandre Soljenitsyne, le faiseur d’histoire, François Furet, François Mitterrand, Jacques Berque, Kateb Yacine, Jean-Paul Sartre, André Malraux, François Mauriac, Louis Aragon, Claude Lévy-Strauss, etc.

Amady Aly DIENG

 

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