Notes de lecture - La poésie sénégalaise
L’objet de cet ouvrage de Sana Camara, professeur de langue et de littérature francophones à l’université Truman State, dans l’Etat du Missouri (Usa), est d’élucider la question de la relation entre la poésie sénégalaise d’expression française et le medium linguistique.
La littérature produite dans les langues européennes – anglais, français, portugais – a de tout temps suscité l’intérêt d’une réflexion théorique sur les rapports d’adéquation entre les idées substantielles de cette littérature et la langue véhiculaire. L’objet de cet ouvrage de Sana Camara, professeur de langue et de littérature francophones à l’université Truman State, dans l’Etat du Missouri (Usa), est d’élucider la question de la relation entre la poésie sénégalaise d’expression française et le medium linguistique. Dans un premier temps, il fixe l’attention sur les causes fondamentales de la naissance de cette poésie en mettant l’accent sur la situation coloniale. Celle-ci se révèle comme le fait marquant la genèse du paradoxe des premiers poètes sénégalais dont le recours à la langue française s’affirme comme une contrainte, mais aussi comme une arme de combat contre l’oppresseur colonial.
Dans la première partie, l’analyse des essais sur l’esthétique négro-africaine écrits par Léopold Sédar Senghor, a permis de jeter la lumière sur les modalités d’appréciation de la poésie africaine produite en français. La deuxième partie offre une analyse approfondie des recueils des poètes de la négritude et ceux de la génération post-coloniale. On note une convergence thématique et esthétique chez les poètes de la négritude dont les préférences marquées pour un retour aux sources. Les poètes de la génération post-coloniale, quant à eux, refusent de se limiter aux spécificités culturelles africaines et cherchent à explorer les sujets associés aux mutations sociopolitiques de tout notre univers.
L’idéologie coloniale était marquée par la domination et non pas l’égalité des droits et des privilèges entre les colonisateurs et les Sénégalais. Et pourtant, on s’étonne encore que les premiers écrivains sénégalais, témoins de toutes les épreuves de force découlant su système colonial, se soient penchés vers l’assimilation comme œuvre salutaire.
Du roman ‘assimilationniste’ à la poésie de la Négritude
Ahmadou Mapaté Diagne publia en 1920 Les trois volontés de Malick, le premier roman africain en langue française, dans lequel il justifiait la supériorité française. L’exhortation de Blaise Diagne à ses compatriotes de renier leurs croyances traditionnelles et de s’aligner sur les exigences de la France eut un écho dans Force Bonté (1926) du berger peulh Bakary Diallo, défenseur du système colonial. Ce tirailleur sénégalais s’attarde à louer l’humanisme de la France colonisatrice. Léopold Sédar Senghor, Birago Diop et David Diop étaient les premiers écrivains à déjouer les prévisions de la mission civilisatrice en refusant de se complaire dans l’assimilation. Ils ont reçu une éducation très poussée en français. Leurs écrits ont prouvé qu’ils avaient la maitrise totale de cette langue. Leur apprentissage depuis l’enfance et leur intégration dans le milieu français n’ont fait que renforcer cette facilité de penser dans la langue d’autrui. L’on comprend alors la sincérité du poète Senghor qui affirme : ‘Je pense en français ; je m’exprime mieux en français que dans ma langue maternelle’. (Liberté I : Négritude et humanisme Seuil, p .361).
Birago Diop (1906-1989)
Birago Diop est né le 11 décembre 1906 – la même année que Senghor – dans le quartier de Ouakam, situé sur la presqu’île du Cap-Vert. Il n’a pas connu son père, Ismaël Diop. Son frère aîné Masylla lui a balisé la voie à la création littéraire à laquelle il est parvenu par des voies multiples d’influences. En dehors de ses deux frères, il témoigne d’une grande reconnaissance aux maîtres de la parole, Amadou Koumba Ngom, Guewel Mbaye et à sa grand-mère. Son apprentissage de la poésie était plutôt livresque. Il aimait la fréquentation des bibliothèques et passait beaucoup d’heures à lire ses auteurs favoris : Charles Baudelaire, Victor Hugo, Alfred de Musset et François Villon. Il avait aussi lu des auteurs américains.
Enfin, Birago Diop s’était associé au groupe L’Etudiant noir où ses membres, à l’écoute de ses récits, lui suggéraient de les écrire. Il est mieux connu comme conteur que poète. En attendant d’entrer en force dans le développement de la théorie de la négritude, le poète était demeuré respectueux des conventions classiques, démontrant un grand attachement à la rime sous toutes ses formes. Se limitant aux conventions, Birago Diop écrit à la manière de Musset et Valéry, et adopte les valeurs françaises. Sana Camara consacre de longs développements à l’examen de ses poèmes Leurres et Lueurs.
David Diop (1927-1960)
David Mandessi Diop tient sa place parmi les illustres écrivains sénégalais de la Négritude. Plus de cinquante années sont passées après sa mort, et ‘Afrique’, demeure un hymne encore déclamé dans les salles de classe africaines. Ce poème d’appropriation Afrique mon Afrique touche profondément à la racine de la Négritude qui veut que le poète s’identifie à son terroir et à ses valeurs culturelles. Diop a atteint la maturité poétique à la publication de son recueil, Coups de pilon, en 1956. La même année, il publiait dans Présence Africaine sa Contribution au débat sur la poésie nationale. Cet article impliquait de nouveaux éléments aidant à renforcer la position de David Diop sur la poésie de la Négritude. En choisissant d’intituler son recueil Coups de pilon, il laissait deviner ses intentions d’engager une polémique acharnée contre la civilisation occidentale. En effet, à lire ses poèmes, on note qu’il se distingue par son talent de pamphlétaire, exerçant sa verve contre la philosophie occidentale. Dans Les Vautours, il s’attaque à la religion occidentale qu’il traite de religion hypocrite et barbare. L’usage du mot ‘coups’ répété deux fois de suite en association avec la civilisation et la religion occidentales montre combien l’ère tutélaire a été brutale et défavorable à l’Africain.
La génération de poètes postcoloniale
L’auteur examine la poésie de la génération postcoloniale. Parmi les écrivains sénégalais venus à la poésie, il choisit d’analyser les œuvres de Malick Fall (Reliefs), d’Ibrahima Sall (La génération spontanée) et d’Amadou Lamine Sall (Mante des Aurores et Comme un iceberg en Flammes). On rencontre des néologismes tirés du wolof dans La génération spontanée d’Ibrahima Sall. Le poète Amadou Lamine Sall chante comme les Peulhs de son groupe ethnique dans Comme un iceberg en Flammes.
Malick Fall (1920-1979)
Malick Fall, ancien ambassadeur du Sénégal, a publié son premier et unique recueil, Reliefs, en 1964 aux éditions Présence africaine. Et voilà qu’au lendemain de l’indépendance, il constate, parmi ses compatriotes devenus libres, une nouvelle tentative de subversion des valeurs culturelles sénégalaises au profit d’une idéologie étrangère. Le poète illustre bien dans Reliefs la tension qui naît des rapports entre la tradition et la modernité.
Ibrahima Sall
Ibrahima Sall, l’auteur de La génération spontanée (1975), est un poète ingénieux dont l’originalité s’annonce dans ses prétentions de changer l’orientation du mouvement poétique sénégalais. Le titre de son recueil porte à croire qu’il a pris la résolution de se démarquer de ses prédécesseurs, soit dans la formulation des lois qui gouvernent son temps par opposition à des principes révolus, ou alors par souci d’explorer de nouveaux fondements poétiques adaptés à sa génération. La génération spontanée déroule sur un tableau les expériences douloureuses de la diaspora noire, le plus souvent confrontée à la critique et à la violence systématique du monde occidental. Sall partage, dans son recueil, l’angoisse de ses frères, à qui il s’identifie intimement dans le conflit des intérêts politiques et socioculturels qui les opposent au monde blanc.
Amadou Lamine Sall
Né le 26 mars 1951 dans la ville de Kaolack, il a passé ses années d’études primaires et secondaires dans la même ville. Il est l’auteur de deux ouvrages qui contiennent chacun un long poème, Mante des aurores (1979) et Comme un iceberg en Flammes (1982). Amadou Lamine Sall est avant tout un poète romantique. Dans ces deux recueils, il s’identifie principalement comme le chantre de l’amour en rupture avec son objet de prédilection, d’où le sentiment aigu de la mélancolie.
L’invocation de la Muse parcourt de long en large les deux recueils. Dans Mante des aurores, ses assiduités amoureuses le lancent à la poursuite d’une mante religieuse qui s’est évadée dans la nuit, moment propice à la rêverie du poète. En offrant d’intituler son deuxième recueil, Comme un iceberg en Flammes, il semble annoncer l’avènement d’un désastre. L’effet surprenant est dans la construction par juxtaposition qui indique l’évaporation des rapports des deux termes. En admettant que la neige fonde au contact de la chaleur, d’où sa nature fragile entre les flammes, il est à prévoir que le poème s’articule sur une opposition d’éléments antinomiques dont l’interrelation reste problématique.Ce livre est une bonne introduction à l’étude de la poésie sénégalaise.
Amady Aly DIENG