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11 décembre 2013

Le régime arc-en-ciel discrédité Trois émeutes

Le régime arc-en-ciel discrédité

Trois émeutes par jour en Afrique du Sud

En dépit d’accusations de corruption, le président Jacob Zuma a été réélu à la direction du Congrès national africain (ANC) le 18 décembre dernier. Mais les signes de fragilisation se multiplient, comme la création du parti Agang (« Construisons ») par la célèbre militante antiapartheid Mamphela Ramphele, en vue de l’élection présidentielle de 2014. La sanglante répression de la grève des mineurs de Marikana, le 16 août 2012, a révélé l’ampleur de la crise sociale et les débats qu’elle suscite dans la nation arc-en-ciel.

par Sabine Cessou, mars 2013
Etendus sur un trottoir, dans le centre-ville du Cap, des hommes en combinaison de travail profitent de leur heure de pause au pied d’un échafaudage. Pas question d’en perdre une minute ou de faire du zèle.« On est payés au lance-pierre », sourit un maçon, dévoilant une dent en or. Pourtant, avec l’équivalent de 1 100 euros par mois, il n’est pas à plaindre. Il est vrai qu’avant la Coupe du monde de football, accueillie par l’Afrique du Sud en 2010, les syndicats de la construction ont obtenu des augmentations substantielles, de 13 à 16 %, en menaçant de ne pas finir les chantiers à temps…

Mais cette situation reste exceptionnelle. La tension sociale est palpable depuis que, le 16 août 2012, la police a tué trente-quatre mineurs en grève à Marikana, une mine de platine proche de Johannesburg (1). Pour la population, quel symbole ! Les forces d’un Etat démocratique et multiracial, dirigé depuis 1994 par le Congrès national africain (African National Congress, ANC), tiraient sur des manifestants, comme au temps de l’apartheid ; sur ces travailleurs qui constituent sa base électorale historique, l’écrasante majorité noire et démunie de l’Afrique du Sud. Dans ce pays industrialisé, seul marché émergent au sud du Sahara, les ménages pauvres, à 62 % noirs et à 33 % métis, représentent plus de vingt-cinq millions de personnes, soit la moitié de la population du pays, selon des chiffres publiés fin novembre par les institutions nationales.

L’onde de choc est comparable à celle du massacre de Sharpeville, dont les événements de Marikana ont réveillé le souvenir. Le 21 mars 1960, la police du régime d’apartheid (1948-1991) avait tué soixante-neuf manifestants noirs qui protestaient dans un township contre le passimposé aux « non-Blancs » pour se rendre en ville. Quand la nouvelle du drame était arrivée au Cap, la population de Langa, un township noir, avait réduit les bâtiments publics en cendres.

Les mêmes réactions en chaîne se produisent aujourd’hui. Dans le sillage de Marikana, les employés des secteurs des mines, des transports et de l’agriculture multiplient les grèves sauvages. Les ouvriers agricoles de la province du Cap-Occidental réclament le doublement de leur salaire, 150 rands (15 euros) par jour au lieu des 7 euros garantis par leur salaire minimum. Résultat : vignobles incendiés, magasins pillés et épreuve de force avec la police. Le tout sur fond de licenciement des grévistes et d’absence de dialogue social. En novembre, dans le village de De Doorns, à cent quatre-vingts kilomètres du Cap, deux ouvriers agricoles ont été tués lors d’une manifestation.

« On manifeste pour des lendemains qu’on est las d’attendre »

Chez Lonmin, les mineurs ont décroché, après six semaines d’action, une augmentation de 22 % et une prime de 190 euros, au lieu du triplement de leur salaire, qu’ils voulaient voir passer de 400 à 1 200 euros. Dans les fermes de De Doorns, le Congrès des syndicats sud-africains (Congress of South African Trade Unions, Cosatu) a pris le train en marche et obtenu, le 5 février, une hausse de 52 % des salaires, atteignant ainsi 105 rands (10 euros) par jour. « C’est la métastase d’un seul et même cancer, commente M. Andile Ndamase, délégué syndical dans une entreprise de ciment du Cap et membre désillusionné de l’ANC. Les émeutes ont commencé bien avant Marikana, et l’agitation n’a fait que s’aggraver depuis. On manifeste pour des lendemains meilleurs qu’on est las d’attendre… »

Le bras de fer social fait partie de l’héritage politique de l’apartheid. Les syndicats noirs du Cosatu ont été autorisés en 1985 par un régime raciste aux abois. La centrale a alors participé à un vaste front de protestation, alors que M. Nelson Mandela était encore en prison et l’ANC interdit. Ses appels à la grève générale ont contribué à paralyser l’économie du pays, frappée à partir de 1985 par des sanctions internationales.

Aujourd’hui, les syndicats noirs, forts de plus de deux millions d’adhérents, réclament au gouvernement une vraie politique sociale et de meilleures conditions de travail pour tous. Mais, particularité sud-africaine, ils sont… au pouvoir. Avec le Parti communiste sud-africain et l’ANC, ils constituent depuis 1990 une alliance tripartite « révolutionnaire » censée œuvrer à la transformation de la société. Communistes et syndicalistes représentent l’aile gauche de l’ANC, que le parti s’efforce de brider en distribuant le pouvoir. Les dirigeants communistes occupent ainsi régulièrement des postes ministériels, tandis que ceux du Cosatu siègent au comité exécutif national de l’ANC. Leur contestation de la gestion libérale de l’économie par l’ANC y perd en crédit (2).

A la gare de Khayelitsha, le plus grand township noir du Cap, la foule afflue tôt le matin pour acheter son billet de train : 8,50 rands (85 centimes d’euro) pour un aller simple vers le centre-ville. La carte mensuelle pour les transports publics coûte 10 euros, soit 5 % du salaire moyen d’un agent de sécurité privée (200 euros). Des femmes finissent leur trop courte nuit pendant le trajet. Des vendeurs ambulants proposent des chips, des boissons, des chaussettes, des boucles d’oreilles. A l’arrivée, beaucoup montent sur le toit de la gare centrale du Cap, où se trouve la gare routière. Des files de fourgonnettes, une vraie ruche de taxis collectifs, desservent les banlieues résidentielles blanches où se trouvent les emplois. Ces taxis, détenus par des opérateurs privés, pallient les lacunes des transports publics. Du matin jusqu’au soir, ils assurent l’essentiel des déplacements de l’Afrique du Sud noire et sans voiture. Au début du trajet, les pièces de 5 rands passent de main en main, pour arriver jusque dans les poches du chauffeur.

« J’ai peur que les roues ne soient en train de se détacher », soupire M. Sipho Dlamini, un passager sexagénaire, en polo et blue-jeans, évoquant par ailleurs la situation politique du pays. Il se décrit comme un unsung hero (« héros inconnu ») de la lutte contre l’apartheid. Ex-combattant de la branche armée de l’ANC, il a passé ses meilleures années à lutter pour un changement « de son vivant ». « In our lifetime » était le leitmotiv des Sud-Africains dans les années 1980, en mémoire des générations qui s’étaient battues en vain depuis la fondation de l’ANC, en 1912. La déception de M. Dlamini vient non seulement de la « corruption des élites noires », mais aussi d’un état d’insurrection permanente, « tellement banal qu’on n’y prête plus attention ». Selon les données de la police, le pays a connu trois émeutes par jour en moyenne entre 2009 et 2012. Une augmentation de 40 % par rapport à la période 2004-2009, relève le sociologue Peter Alexander (3).

L’Anglo American Platinum a annoncé la suppression de quatorze mille emplois

A Marikana, une injustice flagrante a tout déclenché : l’augmentation des salaires des contremaîtres, mais pas de ceux des mineurs. Autre motif de colère : le recours généralisé à des agences privées pour recruter des intérimaires et limiter le poids des syndicats. Une pratique que le Cosatu condamne, mais sur laquelle, dans la pratique, il ferme les yeux. La raison ? Les intérêts de ses amis de l’ANC — parmi lesquels le fils du président, M. Duduzane Zuma, à la tête de JIC Mining Services —, très présents dans cette filière.

Pour la première fois, à Marikana, le Syndicat national des mineurs (National Union of Mineworkers, NUM), affilié au Cosatu et parmi les plus importants du pays, a été débordé par un conflit social. Une nouvelle structure indépendante, le Syndicat de l’association des travailleurs des mines et de la construction (Association of Mineworkers and Construction Union, AMCU), a pris la tête de la contestation en promettant une augmentation de 300 %. En face, l’Anglo American Platinum (Amplats) a annoncé le 15 janvier 2013 la suppression de quatorze mille emplois, soit 3 % de la main-d’œuvre minière.

Facteur aggravant, le dialogue social se révèle défaillant. Même après la tragédie, la direction de Lonmin a continué de poser des ultimatums pour la reprise du travail et de brandir des menaces de licenciement. Cette brutalité n’est pas seulement une séquelle de l’apartheid. « La politisation des conflits sociaux, qui entraînent la remise en cause de l’ANC ou de ses dirigeants, fait peur aux grands groupes miniers,explique M. Thaven Govender, un jeune entrepreneur d’origine indienne, importateur et revendeur d’équipements miniers. En réalité, tout le monde sortira perdant de cette affaire, les grévistes comme les syndicats ou l’ANC. Les grandes entreprises emploient des mineurs parce que la main-d’œuvre est bon marché en Afrique du Sud. Pour éviter de nouveaux Marikana, ils vont mécaniser et licencier à tour de bras. »

Le président Jacob Zuma ne s’est déplacé que quelques jours après les faits. Et il n’a pas rencontré les mineurs, mais la direction de Lonmin. Son ennemi politique, M. Julius Malema, 31 ans, ex-président de la Ligue des jeunes de l’ANC, exclu de l’ANC en avril pour « indiscipline », en a profité pour occuper le terrain. Se faisant le porte-parole de la base déçue, il a pris le parti des grévistes. Il les a accompagnés au tribunal, où ils ont dans un premier temps été eux-mêmes accusés de meurtre, en vertu d’une ancienne loi antiémeute de l’apartheid. Cette loi permettait de retourner une accusation de meurtre contre de simples manifestants, en leur reprochant d’avoir provoqué les forces de sécurité. Au vu du tollé, le chef d’inculpation visant deux cent soixante-dix mineurs a finalement été levé et une commission d’enquête nommée. M. Malema a saisi cette occasion pour appeler une énième fois à la nationalisation des mines et pour dénoncer la collusion entre pouvoir, bourgeoisie noire, syndicats et « grand capital » (lire Un système de « corruption légalisée »).

Luttes de pouvoir... à coups de chaise ou de poing

Les observateurs se demandent qui, de l’ANC ou du Cosatu, implosera le premier sous la pression sociale. Or les dynamiques à l’œuvre, plus complexes qu’une simple opposition droite-gauche, empêchent précisément toute scission.

Ces questions n’intéressent guère M. Dumisane Goge, un born free né libre ») qui n’a pas connu l’apartheid. Ce jeune de 20 ans, crâne rasé, cicatrices sur le visage et faux diamant à l’oreille, n’a pas l’intention de faire usage de son droit de vote lors des prochaines élections générales en 2014. « Notre liberté, ce n’est que du papier,affirme-t-il. Le droit de vote, ça ne veut rien dire, quand on a le choix entre l’ANC et l’ANC. » A 16 ans, M. Goge a purgé une peine de quatre mois de prison pour avoir dévalisé un magasin de meubles en compagnie d’amis, avec lesquels il formait un petit gang. Se jurant de ne plus jamais remettre les pieds dans une cellule, il a repris des études, passé son bac et intégré une école de marketing du Cap, qu’il paie en travaillant à temps partiel dans une station-service. Il n’attend rien de ceux qu’il appelle les fat cats (« pleins aux as »), les hommes au pouvoir. « Zuma se fait construire un palace de 240 millions de rands[23 millions d’euros] à Nkandla, son village du Kwazulu-Natal, alors que dans les écoles les élèves n’ont même pas de manuels ! », s’indigne-t-il.

La bourgeoisie noire vit loin des townships, où elle ne redistribue pas — ou peu — ses richesses. Ses goûts de luxe et son opulence ont éclaté au grand jour sous la présidence de M. Thabo Mbeki (1999-2008), à la faveur de la croissance des années 2000. Mais, depuis l’arrivée au pouvoir de M. Zuma, en 2009, l’archevêque Desmond Tutu (4) et le Conseil des églises d’Afrique du Sud ne cessent de dénoncer un « déclin moral » bien plus grave que le prix mirobolant des lunettes de soleil de ceux que l’on surnomme les Gucci revolutionaries. « Les relations peuvent se tisser de manière ouvertement vénale, sourit un avocat d’affaires noir qui préfère garder l’anonymat. On parle de sexe à table, et pas seulement à propos de notre président polygame ! La corruption s’étale… » A tel point que, lorsqu’un ancien cadre de De Beers est accusé de corruption par la presse, il lance : « You get nothing for mahala… » (« On n’a rien sans rien. »)

Tout comme la rébellion des pauvres, les meurtres politiques ne font pas la « une » en Afrique du Sud. Pourtant, on s’entre-tue dans les provinces du Kwazulu-Natal, du Limpopo ou du Mpumalanga pour des positions de pouvoir qui favorisent pots-de-vin et commissions juteuses sur des marchés publics. Lydia Polgreen, journaliste au New York Times, s’est attiré les foudres de l’ANC en relatant le phénomène (5).

La montée de la violence inquiète dans ce qui reste un modèle de démocratie en Afrique. Avant leur dernier congrès, en décembre 2012, les membres de l’ANC en sont venus aux mains pour faire passer l’un ou l’autre de leurs candidats. Des chaises ont volé dans le Cap-Oriental, on s’est battu à coups de poing dans le nord-ouest du pays, et un gang armé a fait irruption lors d’une réunion de l’ANC dans les townships de l’East Rand, près de Johannesburg. Les pro-Zuma n’ont pas hésité à menacer physiquement les partisans du vice-président Kgalema Motlanthe, qui briguait la présidence du parti. Les effectifs de l’ANC ont beaucoup gonflé ces derniers mois, alimentant par ailleurs une polémique sur l’existence de « membres fantômes » qui auraient permis à M. Zuma de l’emporter face à son rival, réputé plus intègre et bien placé dans les sondages.

Une culture politique marquée par les années de clandestinité

L’ANC, parti hégémonique qui remporte les deux tiers des suffrages depuis les premières élections démocratiques de 1994, joue à la fois le rôle de majorité et d’opposition, faute de partis d’envergure capables de s’imposer dans le débat. Seule l’Alliance démocratique, dirigée par Mme Helen Zille, une femme blanche de 61 ans, ancienne maire du Cap et première ministre de la province du Cap-Occidental, parvient à se faire entendre. Cependant, elle attire l’électorat blanc et métis, mais peine à convaincre les Noirs. Avec 16,6 % des voix en 2009, sa formation ne dispose que de soixante-sept sièges au Parlement, sur un total de quatre cents, dont deux cent soixante-quatre à l’ANC.

Les années de clandestinité, de suspicion et de manœuvres d’infiltration par la branche spéciale de la police de l’apartheid ont produit une culture politique particulière au sein de l’ANC. « L’essentiel se passe dans les coulisses, et non sur la place publique », constate le politologue sud-africain William Gumede. La sacro-sainte unité demeure, même si les ennemis d’hier, les nats du Parti national afrikaner, ont disparu du paysage politique. Exposer au monde extérieur les dissensions internes relève toujours du tabou. D’où les relations tendues du pouvoir avec la presse.

Quant aux accusations de trahison portées par les militants de l’aile gauche du parti, elles sont souvent exprimées à demi-mot. En revanche, le secrétaire général du Cosatu, M. Zwelinzima Vavi, l’un des plus critiques vis-à-vis de M. Zuma, ne prend pas de gants : sur Twitter, il dénonce « la corruption, la médiocrité, les mauvaises politiques », et, dans un jeu de mots, reproche à l’ANC d’être un parti « absolument inconséquent » (« Absolutely No Consequence » : ANC), « qu’il s’agisse de vols, de manuels scolaires ou de corruption ». Il fait ainsi allusion à l’impunité qui règne au sommet du pouvoir. Il a reçu des menaces de mort, et on le soupçonne de vouloir lancer une formation politique concurrente.

Les luttes de pouvoir au sein du parti hégémonique sont à la fois sournoises et violentes. Ainsi, M. Mbeki, après avoir évincé son rival Cyril Ramaphosa dans les années 1990, avait ensuite limogé M. Zuma, son propre vice-président, poursuivi en justice à la fois pour viol et pour corruption. Celui-ci avait alors eu beau jeu de faire passer ces procès — pourtant fondés — pour un énième complot inventé par un chef d’Etat connu pour ses intrigues. Il avait ainsi pu mobiliser un vaste front en sa faveur.

Alors que M. Mbeki, technocrate formé au Royaume-Uni, était perçu comme un ancien exilé peu charismatique, coupé des masses et ne supportant pas la critique, M. Zuma campait l’authentique Zoulou, polygame comme le sont quelques chefs de village du Kwazulu-Natal — mais très peu d’hommes dans les grandes villes. Ses amis le présentaient comme un « vrai Africain », un « titan politique » sans diplômes, ayant gagné ses galons au combat. Sa victoire laissa l’ANC profondément divisée après son congrès de Polokwane, en décembre 2007. Premier acte de dissidence : en octobre 2008, M. Mosiuoa (« Terror ») Lekota, ancien ministre loyal à M. Mbeki, lançait le Congrès du peuple (COPE). Aussitôt accusé de trahison par l’ANC, il ne devait récolter que 7,42 % des voix lors des législatives de 2009.

« Il n’y a pas de crise de leadership en Afrique du Sud », répète M. Zuma depuis le massacre de Marikana. Critiqué, le président est sur la défensive, quand il ne se réfugie pas dans le déni. Il se retranche derrière des chants de lutte contre l’apartheid, Umshini Wam apportez-moi ma mitraillette ») ou Somlandela Luthuli (« nous suivrons Luthuli » — le nom du seul président de l’ANC à avoir été zoulou comme lui). Et se défend à l’aide de bilans chiffrés : nombre de maisons construites, de raccordements à l’eau et à l’électricité… mais jamais d’emplois créés ou de jeunes Noirs sortis des universités.

Le chômage frappe officiellement 25,5 % des actifs. Les inégalités sociales, persistantes, ne s’estompent que très progressivement. Les fameux black diamonds, la classe moyenne noire apparue au tournant des années 2000, sur laquelle les économistes fondent bien des espoirs, ne sont que des zircons (faux diamants industriels) aux yeux des plus critiques. Selon M. Solomon Johannes Terreblanche, économiste afrikaner de gauche, « les politiques de l’ANC ont créé une élite noire de quelque deux millions de personnes, et une classe moyenne de six millions de personnes. Le fossé entre ces huit millions de riches Noirs et les vingt à vingt-cinq millions de pauvres s’est dangereusement élargi ».

Vingt ans après la fin de l’apartheid, les Blancs gagnent toujours plus que les Noirs. Six fois plus, selon le recensement de 2011, avec des revenus moyens de 36 500 euros par an, contre 6 000 euros pour les ménages noirs. Il n’existe pas de salaire minimum national, mais des planchers variables, dans les métiers identifiés par le gouvernement comme les plus vulnérables, ceux où les syndicats sont les moins actifs et les salariés à la merci des employeurs : domestiques, ouvriers agricoles, agents de nettoyage et de sécurité privée, chauffeurs de taxi et employés de la distribution. La dernière augmentation des travailleurs domestiques remonte à décembre 2011. Leur salaire minimum était alors passé à 1 625,70 rands (environ 160 euros) par mois pour ceux travaillant plus de vingt-sept heures par semaine, et à 1 152,32 rands mensuels (environ 115 euros) pour ceux travaillant moins de vingt-sept heures.

Les aides sociales, limitées aux allocations pour les familles et les personnes âgées, constituent la seule source de revenu pour 54,7 % des ménages pauvres, selon des chiffres publiés le 27 novembre par les statistiques nationales. Selon la même enquête, un Sud-Africain sur quatre ne mange pas à sa faim. Plusieurs ministres de l’ANC se sont opposés à un Basic Income Grant (BIG), sorte de revenu minimum pour les adultes valides, chômeurs ou pas, y voyant une subvention « à l’alcoolisme et au billet de loterie ». En discussion depuis plus de dix ans, le BIG est resté à l’état de projet.

En attendant, le niveau de désespoir se voit à l’œil nu. A Khayelitsha, on noie son chagrin dans le gospel, une musique en vogue qui retentit partout, mais aussi dans la dagga (cannabis), le Mandrax ou le tik(méthamphétamine), une drogue qui ravage le township.

Sabine Cessou

Journaliste

(1) Lire Greg Marinovich, «  Une tuerie comme au temps de l’apartheid  », Le Monde diplomatique, octobre 2012.

(2) Lire Achille Mbembe, «  Le lumpen-radicalisme du président Zuma  », Manière de voir, no 108, «  Indispensable Afrique  », décembre 2009 - janvier 2010.

(3) Peter Alexander, «  A massive rebellion of the poor  », Mail and Guardian,Johannesburg, 13 avril 2012.

(4) Premier archevêque noir du Cap, M. Desmond Tutu a reçu le prix Nobel de la paix pour son action contre l’apartheid. En 1996, il a été nommé à la tête de la Commission vérité et réconciliation, chargée de faire la lumière sur les crimes du régime déchu.

(5) Lydia Polgreen, «  In South Africa, lethal battles for even smallest of political posts  », The New York Times, 1er décembre 2012.

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