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9 mars 2009

INTERVIEW

jean_marc_elaJean Marc Ela « Le Pape doit dire au Cameroun :

“Il faut que ça change ici !”»

“ A quelques jours de la visite du Pape, l’abbé Jean-Marc Ela contraint à l’exil ”. C’est en ces termes que le N°26 de “La Messagère” du 28 août 95 annonçait en exclusivité à ses lecteurs le départ forcé du Pr Jean-Marc Ela pour le Canada où il venait de demander asile, à la suite de nombreuses menaces de mort dont il était l’objet dans son pays le Cameroun. Sociologue et théologien bien connu, il dérangeait l’establishment. A en croire l’entretien exclusif que nous avons pu obtenir de lui par télécommunication, il n’a fait que changer de fusil d’épaule.

Dans cette interview – la dernière que le sociologue inhumé mercredi 28 janvier 2009 a accordée au Messager– Jean-Marc Ela formulait des souhaits à la veille de la seconde visite au Cameroun du Pape Jean-Paul II, indiquait les raisons qui l’ont poussé à l’exil, etc. 14 ans après, ses arguments restent d’une étonnante actualité alors que le successeur de Jean-Paul II au Vatican est également annoncé au Cameroun. Lisez plutôt.

On savait que vous étiez sur la liste noire comme tant d’autres intellectuels indociles. Quels sont les derniers indices objectifs qui vous ont convaincu que l’attentat contre votre vie était imminent ?
Je ne sais pas s’il faut multiplier des témoignages. D’une part, des personnes très bien placées dans les milieux de la police, de l’armée, de la haute administration et dans le système politique étaient au courant de ce qui se tramait. Ils m’en ont informé directement, les uns pour me mettre en garde, les autres dans l’espoir de protéger ma vie. Pour me tenir au courant de ce qui devait m’arriver, ils ont aussi utilisé d’autres relais : des parents, des amis, des confrères dans le clergé, des gens proches de moi à la fois par mon travail et par mon engagement. Ceux qui m’ont informé étaient d’origine ethniques différentes. Je ne vais pas révéler leurs noms, pour des raisons évidentes de sécurité. Certains m’ont avoué qu’il n’y a pas si longtemps encore, ils ne croyaient pas à ces choses. Mais aujourd’hui, un programme d’élimination des intellectuels susceptibles d’éclairer le peuple existe bel et bien au Cameroun.
D’autre part, le père Mveng n’avait pas encore été enterré que l’information circulait déjà, selon laquelle la prochaine victime serait Jean-Marc Ela. Inquiètes, des vieilles femmes de mon quartier s’étaient confiées au curé de ma paroisse à Melen à ce sujet. Des collègues à l’Université étaient au courant. L’on en parlait publiquement au ministère de l’Enseignement supérieur, dans la rue, dans les bars et dans les taxis, ainsi que dans les milieux du clergé. Un commissaire de police au moins s’est confessé.
D’ailleurs, dès mon retour de Belgique au mois de juin, beaucoup de jeunes n’ont cessé de m’entourer. Me sachant menacé, ils ne me quittaient plus. Quand je sortais de l’église après ma prédication, l’on se précipitait pour me demander si je n’avais pas peur. Plus je prêchais, plus la foule était attirée par la prédication, et plus cela ne faisait qu’aggraver le climat de tension, de méfiance et d’hostilité dont j’étais le centre. Ce climat, amplifié par la peur et d’autres formes d’intimidations et de harcèlements, était créé pour paralyser mon action, installer le vide autour de moi et plonger dans l’insécurité mon existence d’homme de foi, de sociologie et d’enseignant.

Fallait-il vraiment fuir, au risque d’être accusé de lâcheté, comme d’aucuns le font déjà ?
Je n’en veux pas à ceux qui me traitent de lâche. Ils ne connaissent pas celui dont ils parlent. Je ne vois pas qui peut s’amuser à penser que Jean-Marc Ela est lâche. Cela ne me ressemble pas. Il faudrait être ignorant pour le penser.
Faudrait-il rappeler que sous le régime de M. Ahmadou Ahidjo, j’avais été l’un des seuls Camerounais vivant au Cameroun, qui ait eu le courage de dénoncer publiquement ce que j’ai dénoncé, pendant plus d’une dizaine d’années, dans un environnement dangereux, et alors que tout le monde s’était tu ? Je n’ai pas seulement dénoncé. Pendant tout ce temps, j’ai vécu ce que j’ai prêché, au milieu de gens pauvres et sans défense, à Tokombéré dans le Nord du pays.
Que ceux qui m’accusent relisent donc mon ouvrage “ Le cri de l’homme africain ”. Quand je l’ai publié en 1980, le régime de M. Ahidjo venait de fêter “vingt ans de progrès, vingt ans de paix”. Beaucoup d’entre nous étaient muets. Très peu de gens, dans ce pays, osaient bouger ou osaient remettre en cause un système connu pour avoir été parmi les plus brutaux et les plus répressifs d’Afrique noire. Partout régnaient le silence, la peur et la compromission. Au moment où partout régnait la démission, j’ai porté témoignage, publiquement, de ce que nous vivions d’inhumain dans ce pays. Depuis dix ans que je suis revenu du Nord-Cameroun pour m’installer à Yaoundé, je n’ai cessé de dénoncer toutes les formes d’injustices et de corruption, la tragédie qui est imposée à ce peuple. Que l’on relise donc mes articles.
Que je parte aujourd’hui ne signifie donc pas que j’ai fui. J’ai été poussé, par la contrainte et sous menace, à quitter le pays. En réalité, c’est depuis 1990 que je vivais à l’ombre de la mort. Des responsables de milices ethniques financées par le gouvernement cherchaient à paralyser mon existence depuis 1990. Aujourd’hui comme hier, ils veulent réduire au silence ceux de leurs régions qui osent s’attaquer à un régime politique dont la barbarie n’a pas seulement conduit à l’effondrement de notre économie et à la perte de notre souveraineté, mais encore se trouve être à l’origine de l’humiliation de notre pays à l’extérieur.
Le père Mveng a été pour moi un frère. Ensemble, nous avons partagé le rêve d’une théologie africaine de la libération. Après sa mort, je dois continuer le travail qu’ensemble, nous avons commencé. Je ne pouvais pas le faire à l’ombre de la mort.
Vous n’abandonnez donc pas le combat pour la vérité, la justice et la liberté, mais vous changez seulement de forme de méthode ?
Toute ma vie, je me serai efforcé d’accompagner l’Afrique sur les chemins de son devenir, là où elle doit naître à la liberté, à la dignité et au repos. Je me serai efforcé d’être et de rester un militant. Ma militance se nourrit de ma conscience d’homme et de ma foi en Dieu. Etudiant en France, j’ai fait partie des groupes qui avaient pour objectif de lutter contre le colonialisme et contre toutes les formes d’humiliation et de mépris dont notre continent a souffert dans l’histoire. J’ai milité pour l’indépendance de l’Afrique. Depuis que je suis rentré au Cameroun en 1967, ma vie a été une vie d’engagement auprès des paysans, des jeunes et des “gens sans importance”.
C’est vrai qu’aujourd’hui, je ne suis plus directement sur le terrain, dans les lieux mêmes où j’ai, longtemps, trouvé foi et inspiration. Désormais, j’aurai à travailler autrement, à intervenir autrement pour construire une société nouvelle, qui repose sur les valeurs de liberté, de justice et de vérité. C’est, en réalité, ce que je faisais déjà, à travers mes livres traduits dans plusieurs langues, et qui ont eu un impact considérable auprès des mouvements sociaux, des églises et des réseaux de fraternité à travers le monde.
C’est cette tâche que je vais reprendre ici, en exil. Ma présence, je l’espère, pourra donner une visibilité plus grande à cette action, au moment même où les gens, en Occident et en Afrique, commencent à comprendre qu’on ne peut pas laisser l’Afrique s’enfoncer dans la barbarie et les ténèbres de la nuit. Ma tâche ici sera d’étendre, d’amplifier cette prise de conscience, d’aider à la création de réseaux d’action.
Ma mission, pour le temps qu’il me reste à vivre, sera de trouver des hommes et des femmes avec lesquels nous organiserons une véritable croisade contre la dictature au Cameroun et dans les autres pays d’Afrique. Ici, dans cette partie du monde où se décide l’avenir de l’humanité, notre mission sera de faire en sorte que les gens se mobilisent pour empêcher que des tyrans continuent de gérer nos sociétés par la terreur, la violence et la barbarie.

Que regrettez-vous le plus dans cette situation nouvelle à laquelle vous avez été contraint ?
Ce que je regrette le plus, c’est de ne plus me retrouver avec les jeunes, les gens du quartier, tous ceux que je rencontrais chaque jour sur le trottoir, ou qui, cherchant espoir et réconfort, venaient me voir. C’est avec eux que j’ai cheminé depuis une dizaine d’années, après mon départ de Tokombéré. Je regrette de ne plus pouvoir vivre cette expérience d’immersion avec les gens simples, pauvres, démunis, mais qui étaient devenus pour moi des compagnons de vie.
Je n’avais pas de richesses. Ma seule richesse, c’étaient mes livres et ma passion pour ces gens. C’est d’eux, de leurs misères et de leurs espoirs qu’il était question dans mon travail intellectuel et dans ma prédication. Ce monde des pauvres et des “ gens d’en-bas ”, ainsi que ma bibliothèque – qui était l’une des plus importantes en sciences sociales au Cameroun – étaient pour moi comme un réservoir de forces.
Je me trouve aujourd’hui comme un soldat qui n’a plus ses armes. Mais je sais que je reconstituerais bientôt un stock d’outils plus puissants encore que les six ouvrages laissés dans les malles à Yaoundé.

Prêtre, que savez-vous et que pensez-vous de la position de la hiérarchie ecclésiastique sur votre situation ?
Je n’en sais rien. Avec Mveng et Hebga, j’ai toujours été considéré comme un “ théologien à problèmes ”. Le pouvoir politique voulait me faire taire. Il n’est pas exclu qu’au sein de l’Eglise, nombreux soient ceux que “je dérangeais”. Il m’a par exemple été dit que je dérangeais parce qu’entre plusieurs autres raisons, je marchais à pieds. Baba Simon, mon maître spirituel, n’a fait que cela toute sa vie. Il y a des choix que l’on fait dans la vie. Le radicalisme évangélique autour duquel j’ai construit ma vie de prêtre bousculait les gens. Peut-être y en a-t-il qui vont être soulagés maintenant. En effet, je ne suis plus l’épine plantée dans les consciences.

Quelle lecture faites-vous aujourd’hui de l’assassinat du père Mveng, des autres ecclésiastiques et de nombreux Camerounais.
L’assassinat du père Mveng n’est pas le fait du hasard. Il s’inscrit dans le drame que vit notre pays depuis les luttes nationales, contre le colonialisme.
De ce long calvaire, il se trouve, plus particulièrement, que depuis le putsch manqué d’avril 1984, un système politique inhumain est construit dans notre pays sur le sang des innocents. Le sang du père Mveng, pareil au sang d’Abel tué par son frère Caïn dans la Bible, fait partie de cette tragédie de notre vie. Le sang du père Mveng crie vers nous.
Depuis 1984, nous avons affaire à un régime politique qui ne respecte plus la vie de l’être humain. Nous avons affaire à un système qui est prêt à tout acheter et à tout vendre, y compris les consciences. Nous avons affaire à un système politique qui a perdu tout sentiment de honte, et qui n’hésite plus à se construire sur la base des assassinats.
Par ailleurs, le pouvoir est tombé entre les mains des magiciens. Ils n’utilisent pas seulement l’assassinat comme moyen de gouverner. Ils organisent le trafic des organes de leurs victimes et font la chasse à l’intelligence. Le cerveau du père Mveng, par exemple, a fait l’objet de convoitise et de marchandage. S’est mis en place, au Cameroun, une sorte de pouvoir invisible qui s’organise autour des confréries mystiques et qui, dans l’espoir de durer, utilise la magie pour violenter les gens. Depuis quelque temps, ce pouvoir maléfique met fébrilement en place un régime de terreur qui annonce, si l’on n’y prend garde, la tragédie du Rwanda. Dénoncer ce travail du diable, c’est s’exposer à être tué. C’est ce qui est arrivé au père Mveng, et c’est ce qui risquait de m’arriver.

Le Pape arrive bientôt au Cameroun. Que lui diriez-vous si vous pouviez le rencontrer ?
Quatre chose. Premièrement, je lui dirais de demander au président de la République M. Paul Biya qu’il va rencontrer de faire toute la lumière sur l’assassinat du père Engelbert Mveng et sur le meurtre de tous les autres prêtres, évêques et religieuses survenu sous son règne.
Si le Pape veut vraiment défendre la vie humaine, il ne faut plus qu’il se taise. La plus grave menace qui pèse sur la vie humaine au Cameroun, celle qui défigure l’image de Dieu en l’homme, c’est la violence d’Etat mise en branle par un régime qui a perdu tout sens des limites et tout sens de la raison. A cet égard, les assassinats qui ont eu lieu chez nous annoncent une tragédie plus grave encore, et qu’il nous faut prévenir.
Deuxièmement, l’on sait que depuis le début de son pontificat, le Pape Jean-Paul II n’a cessé de marquer sa préoccupation pour la jeunesse. Que le Pape demande au président de la République de tout faire pour redonner à l’Université, aux écoles, au système éducatif en général, la place qui lui revient dans la construction du pays. L’accès au savoir, la formation des compétences, la fructification du potentiel humain ont toujours été des valeurs de nos cultures. Or, le régime de M. Paul Biya est de ceux qui, en Afrique, ont manifesté le plus de mépris pour l’intelligence et pour l’intelligentsia. Que le Pape Jean-Paul II prêche, lors de son voyage chez nous, la grandeur et la dignité de l’intelligence.
Troisièmement, que le Pape demande à l’Etat de ne pas brader notre patrimoine national en vendant tout un pays à des étrangers. En le disant, le Pape parlera au nom de l’humanité et de l’Evangile. Ce pays, le Cameroun, nous a été légué par Dieu à nos ancêtres. On ne peut pas admettre que le président de la République vende le Cameroun pour son profit personnel et celui de sa clientèle politique. De le dire, c’est cela, aujourd’hui, la mission de l’Eglise.
Enfin, l’impuissance que ce régime a manifesté pour relancer ce pays dans la voie du progrès oblige que les Camerounais se retrouvent pour définir, dans la concertation, les voies d’avenir. Plus que jamais, nous avons besoin, au Cameroun, d’une conférence nationale, prélude à l’instauration d’un véritable Etat de droit et d’institutions légitimes parce que reposant sur le consentement de tous. Que le Pape dise donc, chez nous, ce qu’il proclama autrefois à Haïti : “Il faut que ça change ici !”.



Par Entretien avec Célestin LINGO
Le 30-01-2009

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