L’histoire politique récente de notre pays écrite en lettres de larmes et de sang n’autorise guère que le combat politique se poursuive sans remise à plat des stratégies de lutte, et une indispensable capitalisation des acquis antérieurs. Et pour cause, il y a neuf mois de cela que la Résistance citoyenne a commencé dans la nuit du 4 mars 2010. Trois trimestres de mobilisation citoyenne sans précédent de toutes les filles et de tous les fils du Togo tout entier tant sur le territoire national que dans la diaspora. Cette lutte conduite par la coalition FRAC-OBUTS repose avant tout sur la vérité des urnes et des comptes publics au Togo. Que d’illusions éclatées tous ces mois durant, et que de sacrifices consentis que l’on ne saurait passer par perte et profit ! Une obligation de résultat s’impose d’autant plus que neuf mois, c’est bien le temps de la gestation dans l’espèce humaine, et que cela rime normalement avec accouchement!

S’il est bien vrai qu’il ne faut pas confondre accouchement et naissance, il convient tout de même au terme des neuf mois de Résistance citoyenne âprement menée par le Peuple togolais, d’évaluer le cheminement ensemble parcouru en vue d’œuvrer adéquatement à un aboutissement heureux de la lutte commune. Il importe donc de tirer les leçons utiles, et définir les stratégies porteuses idoines pour sortir notre peuple de la misère rampante et la pauvreté déshumanisante afin de jeter l’ancrage des fondamentaux pour la vérité des urnes et des comptes publics au Togo.

La nécessité de repenser les voies et moyens indispensables pour trouver une issue définitive, pacifique et heureuse à l’impasse politique actuelle commande de dresser un tableau synoptique des grands événements sociaux et politiques qui ont jalonné ces neuf mois de lutte. Leur interprétation dépassionnée et conséquente ne peut être que bénéfique, voire salutaire pour les populations qui attendent dans le dénuement et le doute que le Togo renaisse de ses cendres.

1. Synopsis de la situation sociale

-Inondations 2010 : 21 morts et 85 blessés (bilan du 28 octobre 2010 publié par le gouvernement togolais). Environ 82.767 personnes affectées dont près de 6.000 familles sinistrées dans la région maritime, particulièrement dans les préfectures du Golfe, des Lacs, de Yoto, et de Bas-Mono. La superficie des champs cultures dévastés avoisine 7.744,24 hectares

-Augmentation des prix du carburant variant entre + 12,6% et + 27 % selon les produits (juin 2010), de 25% du pain (novembre 2010) et prochainement de l’électricité : cherté de la vie alors que les revenus des populations n’ont pas progressé

-Césarienne gratuite : loin d’être une réalité sur toute l’étendue du territoire malgré la grande publicité du pouvoir RPT/AGO de l’avoir intégrée au budget 2010. Les parturientes togolaises confrontées à la césarienne sont autant désespérées que meurtries dans leur dénuement pendant que pour l’heure, l’Etat est dans des prévisions : prendre en charge sur une période de trois ans 73608 cas de césarienne estimés à un coût global de 7.989 milliards de FCFA

-Accès à l’eau potable : reste un chemin de croix aux populations, ce qui a entraîné une explosion des forages d’eau surtout à Lomé sans pour autant garantir la qualité d’eau potable aux populations avec l’augmentation du taux de prévalence de la fièvre typhoïde dans le pays

-La pauvreté qui est à un taux général de 62%, reste le quotidien des populations qui peinent à avoir un seul repas par jour nonobstant le dernier classement DOING BUSSINESS où le Togo est au 160eme rang contre 165eme en 2009 vu qu’il n’y a pas eu véritablement création de valeurs ajoutées

-La jeunesse reste livrée à elle-même avec un avenir hypothéqué, en témoignent les conditions de vie et d’études des étudiants dans les 2 universités du Togo, de même que la réalité actuelle de l’école dans les enseignements primaire et secondaire, et les conditions de travail des taxi-motos (zémidjans). Pour preuve, l’important taux de chômage des jeunes !

-Les zones rurales sont sinistrées et constituent autant que les zones urbaines des poches de pauvreté endémique : conséquences fâcheuses des intempéries, infrastructures sanitaires et  routières en totale déliquescence, accessibilité difficile sinon obstruée pour les microcrédits aux populations entravant ainsi le développement à la base (l’affaire REDEMARRE constitue un exemple type d’obstruction à la micro-finance), …

2. Synopsis des récents événements politiques majeurs

Nuit du 4 mars 2010 : début de la Résistance citoyenne avec l’appel à la défense de la vérité des urnes, lancé par OBUTS

Mars 2010 : recours en annulation des résultats de l’élection présidentielle déposés par les candidats du CAR, OBUTS,CDPA, PDP, et saisine à fin de constat de la Cour Constitutionnelle, par l’UFC. Le  RPT quant à lui saisit la Cour pour contester les résultats d’une préfecture.

30 mars 2010 : libération de certains prisonniers politiques dont ceux du MCA et d’OBUTS.

28 mai 2010 : accord RPT-AGO et mise en place du Gouvernement de Large Ouverture et de Grande Compétence (GLOC) pour tenter de faire échec à la Résistance citoyenne.

21 juin 2010 : violences policières et militaires meurtrières sur les populations protestant contre l’augmentation brusque et vertigineuse des prix des produits pétroliers.

25 juin 2010 : dissolution d’OBUTS par le Tribunal de Première Instance et de Première classe de Lomé

10 août 2010 : interdiction du congrès de l’UFC convoqué par les partisans de Jean Pierre Fabre, dans un contexte de violences policières et voies de fait sur les militants

12 août 2010 : scission consommée de l’UFC après le Congrès extraordinaire des AGO avec la décision d’exclusion de certains membres du Bureau national dont Jean Pierre Fabre et Patrick Lawson

19 août 2010 : proposition de Refondation de la République faite par le CAR

Août 2010 : propos négationnistes du Président de l’Assemblée Nationale, Abass Bonfoh

Début septembre 2010 : séquestration à domicile des leaders du FRAC et d’OBUTS, et répression continue des manifestations de protestation avec voies de fait sur les populations

Mi septembre : libération de prisonniers politiques dont les premiers responsables du MCA

21 septembre 2010 : la Cour d’Appel infirme la décision de dissolution d’OBUTS, et donne 60 jours au parti pour se conformer à la loi, sous peine de disparaître.

05 octobre 2010 : publication du « Pacte Républicain », une proposition de sortie de crise par la CDPA.

05 octobre 2010 : appel au rassemblement des forces de l’opposition de Gilchrist Olympio

10 octobre 2010 : naissance officielle de l’ANC, et suspension unilatérale après coup des marches et veillées de prière du FRAC par son Président, Jean Pierre Fabre

15 octobre 2010 : reconnaissance officielle d’OBUTS par le Ministère de l’Administration Territoriale, de la décentralisation et des collectivités locales (MAT) avec délivrance de son récépissé

Mi octobre 2010 : appel au dialogue des chancelleries occidentales et du PNUD entre le Pouvoir RPT/AGO, FRAC et OBUTS

04 novembre 2010 : reconnaissance officielle de l’ANC par le Ministère de l’Administration Territoriale, de la décentralisation et des collectivités locales (MAT), avec délivrance de son récépissé

12 novembre 2010 : crise ouverte à l’Assemblée Nationale sur la constitution du groupe parlementaire ANC

12 novembre 2010 : appel d’OBUTS à la constitution d’une Plateforme de la Refondation Démocratique de la République (PRDR) autour du plan de sortie de crise du CVU du 9 novembre 2010

18 novembre 2010 : suspension de la plénière de  l’Assemblée nationale consécutive à une vive altercation entre le  Président, Abass Bonfoh (RPT), et le député Ouro-Akpo Tchagnao (élu de Tchaoudjo), suite  à l’annonce de la démission de neuf députés apparentés ANC parmi lesquels figure son nom, ce qu’il ne reconnaît pas et conteste

22 novembre 2010 : décision n° E-018/10 du 22/11/2010 de la Cour constitutionnelle du Togo portant démission et pourvoi au remplacement de 9 députés de l’ANC à l’Assemblée nationale

Dès le 23 novembre 2010 : levée de bouclier des partis politiques, mouvements citoyens et organisations de défense des droits de l’homme du Togo contre la décision de la Cour constitutionnelle

26 novembre 2010 : proposition d’un Programme commun d’union nationale et de développement solidaire par le PDP (Parti Démocratique Panafricain) de Bassabi Kagbara

29 novembre 2010 : début du procès en assignation en référé devant le Tribunal de Première Instance de Lomé de MM. Gilchrist Olympio et Kokou Aholou, respectivement Président National et Président du groupe parlementaire UFC à l’Assemblée Nationale, sur saisine de dix députés ANC suite à l’exclusion du parlement de 9 des leurs le 22 novembre

01 décembre 2010 : annonce d’ouverture des discussions à l’ensemble des acteurs pour un large consensus sur les réformes institutionnelles et constitutionnelles par le comité de suivi de l’accord de gouvernement RPT-UFC présidé par Gilchrist Olympio.

3. Analyse

Même si les rapports de force entre le Pouvoir RPT/AGO et l’opposition sont inégaux, il n’en demeure pas moins vrai que d’une part, la ruse et la vision politiques ont fait défaut dans les rangs de l’opposition, et d’autre part, que les opportunités offertes à la Résistance citoyenne ont été en partie mal capitalisées par le FRAC-OBUTS. Il en découle les conséquences suivantes :

1. Trois procédures judiciaires en moins d’un semestre contre trois partis de l’opposition (OBUTS, ANC, UFC) avec un fort relent d’instrumentalisation de la justice et de déstabilisation orchestrées par le Pouvoir RPT/AGO en ce qui concerne les deux partis au devant de la Résistance citoyenne (ANC, OBUTS)

2. Limites du FRAC-OBUTS plus que jamais évidentes avec impérieuse nécessité du bilan de la Résistance citoyenne aux populations. Il s’agit d’éthique politique à un moment où le Pouvoir RPT/AGO met à mal les leaders de l’Alternance avec la crise du contrat moral articulée à la forfaiture de l’exclusion des députés ANC de l’Assemblée nationale

3. Inefficacité du GLOC et de l’accord RPT-UFC dont l’échéancier de six mois est arrivé à terme

4. Recomposition du paysage politique avec l’éclatement de l’UFC, la naissance de l’ANC, le come back politique d’OBUTS

5. Recul sans précédent de la démocratie au Togo avec les violations massives des droits constitutionnels et le retour en force de l’arbitraire et des coups de forces politico-juridiques

6. Aggravation de la crise sociopolitique avec impasse politique et désespérance accrue des populations.

De ce qui précède, il apparaît qu’à quelques nuances près se répètent les scenarii des douloureux événements des années 90, à la différence que le RPT est épaulé par l’UFC qui aujourd’hui lui sert de béquille pour le maintien du statu quo, et le retour en force de l’arbitraire et des coups de force politico-juridiques. Pire, sous le couvert d’une démocratie de façade, le Pouvoir RPT/AGO instrumentalise à outrance la justice pour venir à bout de ses difficultés, révélant par là son incapacité à dialoguer avec ses adversaires politiques.

En témoigne, la dernière aggravation de la crise politique avec le coup de force politico-juridique né de l’intrigue politico-parlementaire. Cette forfaiture de plus met en lumière la problématique de la force de la loi (Constitution et règlement intérieur de l’Assemblée Nationale) face à la loi de la force (desiderata de la coalition gouvernementale RPT/AGO) d’une part, et d’autre part celle du contrat moral face à l’engagement citoyen et patriotique au Togo. Ainsi la vertu et l’éthique semblent avoir déserté le champ de l’action politique dans le mépris total de l’exemplarité et des valeurs qui forgent l’identité et la fierté nationales, à transmettre aux générations présentes et à venir.

Il s’avère donc impérieux que l’intelligence politique mue par la maturité puisse présider les choix stratégiques de l’opposition afin d’éviter à tout prix la répétition des graves erreurs tactiques de ces dernières années. Autrement, il sera difficile de sortir de l’impasse politique actuelle, et relever de la misère et la désespérance les Togolaises et Togolais. La coupe est pleine, et il est temps d’agir efficacement dans l’intérêt supérieur du Peuple togolais.


a)      Nécessité de bilan objectif voire de remise à plat au niveau de l’opposition togolaise pour un repositionnement stratégique qui prend en compte les expériences du passé et intègre la dimension systémique de la triple crise éthique, identitaire et managériale à laquelle est gravement confronté le Togo

b)      Nécessité de moraliser la vie politique du Togo par l’adoption d’une Charte d’éthique politique pour limiter le déficit de moralité publique aussi bien du côté du Pouvoir RPT/AGO que de l’opposition

c)      Nécessité de fonder l’action politique sur de véritables alternatives constructives anticipant les pièges du Pouvoir RPT/AGO

d)      Nécessité de promouvoir la démocratie participative, et d’organiser la diaspora en partenaire de développement crédible à travers la mise en place d’un Collectif de la Diaspora Togolaise représentatif de tous les courants de pensée

e)      Nécessité de sortir du manichéisme improductif qui a tendance à perdre de vue les contrastes politiques et privilégier une vision simpliste des problèmes de la Nation. Ce qui requiert obligatoirement de l’ouverture d’esprit, une humilité d’écoute et une volonté hardie d’avoir résolument une approche systémique des problèmes qui plombent le processus démocratique au Togo

f)       Nécessité pour la génération estudiantine du mouvement contestataire de 1990 – 1991 de se constituer en force politique ou citoyenne alternative pour renforcer la Résistance citoyenne.

Conclusion

Nul doute que les limites actuelles de la stratégie initiale du FRAC-OBUTS n’ont pu faire triompher à ce jour la vérité des urnes et des comptes publics par la Résistance citoyenne. Toutefois, le fruit des neuf mois d’âpre lutte a été indubitablement la recomposition du paysage politique togolais et l’irréfutable preuve à la face du monde entier de l’incapacité du régime de Faure GNASSINGBE à promouvoir la démocratie et créer de la richesse au Togo.

Cet accouchement a le mérite d’ouvrir le chemin de la naissance d’une véritable force politique d’opposition structurée, capable de favoriser un authentique changement démocratique au Togo. Pour ce faire, l’opposition togolaise doit courageusement porter un regard critique tant sur elle-même que sur les stratégies de son éternel adversaire politique, le RPT et ses relais. Cela ne se peut sans qu’elle ne s’ouvre de toute urgence à un impératif catégorique : fédérer de façon structurée toutes les énergies de toutes les forces politiques, des organisations de la société civile et de la diaspora autour d’une Plateforme pour la Refondation Démocratique de la République (PRDR). Celle-ci doit clairement définir une feuille de route réaliste et pragmatique devant faciliter la mise en place d’institutions fortes au service du peuple en vue de la prospérité partagée. C’est bien la seule et unique alternative pacifique pour bouger les lignes de l’immobilisme politique et de la déshumanisation sur la Terre de nos Aïeux !

Rien n’est jamais acquis, et aucune situation n’est figée, encore moins en politique !

Dr Edem Atsou KWASI                                                                   Sylvestre APEDO

Secrétaire International Provisoire                                            

 

Trésorier International Provisoire