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5 janvier 2012

Notes de lectureFrantz Fanon l’homme de rupture

Notes de lecture
Frantz Fanon l’homme de rupture par Abdelkader Benarab,

éditions Alfabarre Paris 2010, 84 pages
Frantz Fanon, une profession de vérité et d’espoir 


Il s’agit d’un Algérien qui a lu de près Les Damnés de la terre aussi bien que Peau noire, masques blancs. C’est avec beaucoup de finesse qu’Abdelkader Benarab distingue ce que Fanon estime être la cause fondamentale de l’aliénation du colonisé. Il décortique avec clarté les motifs que Fanon oppose au raisonnement de Hegel concernant les rapports du maître et de l’esclave.Benarab vous laisse le plaisir de suivre sa démonstration. Il éclaire les relations ambiguës de Sartre et de Fanon, notamment à propos de la préface Des Damnés de la terre.Pourquoi Fanon homme de rupture, alors que la majorité de ses contemporains colonisés aspiraient, en dépit et au-delà de la colonisation, à ‘une rencontre bien totale’ et ‘une postulation de la fraternité’ (Césaire), au ‘rendez-vous du donner et du recevoir’ Senghor), à ‘l’humanisme universel’ (Alioune Diop, Rabemananjara, etc.) ? Benarab conforte aussi ses arguments en se référant aux travaux d’Edouard Saïd et Homi Bhabha.

 

Natif de Sétif (Algérie), il est docteur à la Sorbonne en littérature française et titulaire d’une maîtrise en littérature arabe à Paris III. Préoccupé par la question culturelle et religieuse au sein des communautés de la diaspora, il a publié de nombreux articles sur le sujet et continue à donner des conférences, en Europe et au Maghreb, sur le développement et la diffusion de la presse, de la langue et de la culture arabes et sur les thèmes de l’interculturalité, des postcolonialstudies et de la littérature africaine.

Né le 20 juillet 1925, Fanon est natif de la Martinique. A Fort-de-France, il fréquente le lycée Victor Schœlcher où précisément enseignait le futur chantre de la Négritude, Aimé Césaire et dont il fut l’élève. Très tôt, Fanon manifeste un goût pour les livres et un intérêt certain pour l’action. Mais il reste l’enfant de la petite bourgeoisie de couleur qui vivait à l’abri des besoins et loin des préoccupations comme celles qu’il connaîtra plus tard et qui changeront toute son existence.

Il apprendra la mise au banc et le refoulement systématique, par la France coloniale, des diversités ethniques stigmatisées comme une tare ; car le modèle unique de référence enrobé dans un jacobinisme intransigeant, refuse l’indivision communautaire, pour ne servir que de paravent à l’inacceptable ethnocentrisme. On aboutit à la mutilation des singularités pour les livrer à une humanité collective et abstraite, sur fond d’ostracisme dirigé contre l’altérité extra-européenne.

Quand Fanon écrivait à Senghor

Fanon a connu l’Algérie pour la première fois, lors de son premier voyage de formation d’officier en 1944 à Bougie. Pendant la guerre, il servit la France avec bravoure, fut blessé et décoré avant de retourner en Martinique à la fin des hostilités.

Peu après, il obtient une bourse d’étude au titre de combattant, part à Lyon et s’inscrit à la faculté de médecine. Les problèmes de société et de racisme ne le laissent pas indifférent, et pour les mieux comprendre il suit les cours de philosophie et de sociologie. Il va s’intéresser aux travaux d’Emmanuel Mounier et de Jean Lacroix sur le ‘désordre humain établi’, et trouve un prolongement favorable à sa pensée, en considération des paradigmes fondateurs du personnalisme communautaire, dont ces auteurs se faisaient le porte-voix. On peut dire que c’est une période de plein apprentissage pour l’étudiant en médecine qui étudie inlassablement par ailleurs la philosophie de Merleau-Ponty, Lénine, Marx, Kierkegaard et Heidegger. Il découvre la réalité de l’immigration et ses conditions d’existence, lui consacre une étude publiée initialement dans la revue Esprit et reprise dans : Pour la révolution africaine (La Découverte, 1964). Mais au contraire de beaucoup d’autres, il refuse l’assimilation. Dès cet instant, le problème du racisme et du colonialisme l’obsèdent et ne le quittent plus. Il lui fallait se frotter à la réalité.

C’est ainsi qu’il a décidé de partir pour l’Afrique afin d’assister ses frères africains en tant que médecin praticien. Il le fait savoir à Senghor, en lui écrivant une lettre mais ce dernier alors président du Sénégal, n’a jamais répondu à sa demande. Il se tourne vers d’autres horizons et saisit l’opportunité quand le gouverneur d’Algérie, Robert Lacoste, lui propose le poste de médecin chef à Blida. Il l’accepte sans hésitation. Une occasion inespérée dans un pays considéré comme le laboratoire exemplaire de la tension exercée par le colonialisme avec ses effets dévastateurs sur la population.

Fanon a 28 ans quand il arrive à Blida ; c’est un homme mûr. Il a une solide formation médicale orientée sur la connaissance psychiatrique et les problèmes de société, entre autres certaines pratiques coloniales génératrices de formes d’aliénation sui generis, le jeune psychiatre fraîchement débarqué y fait des découvertes qui le font reculer d’horreur. Une vie asilaire, une souffrance psychique indicible, des méthodes de thérapie moyenâgeuses. La pratique du camisolage, les cellules de force, l’isolement des malades enchaînés et séparés, selon qu’ils sont musulmans ou Européens.

Très vite, Fanon s’attelle à l’observation et à l’analyse sémiologique de certaines affections, à la suite de quoi il opère des comparaisons puis des classements de cas d’aliénés. Il comprend l’importance des conditions socioculturelles qu’il inclut dans les traitements de ses malades. En introduisant la thérapie sociale, des améliorations nettes ne se sont pas fait attendre et certains résultats sont probants. Il remet en cause le fondement même de la pratique psychiatrique dans le contexte colonial et conclut à la rigidité de ses méthodes souvent inopérantes dans le contexte musulman. Il continue à approfondir ses investigations sociologiques qui l’amènent à considérer l’individu algérien dans son environnement, en prise avec les pratiques sociales, le régime des coutumes et la vie religieuse au sein desquels il évolue.

L’intérêt anthropologique associé à l’exercice du praticien qu’était Fanon a porté un coup sévère aux modes pratiques d’une prophylaxie mise en œuvre suite à des préjugés de race et de religion, célébrés dans le sillage du Docteur Porot et de l’école coloniale, qui décrivaient le ‘primitivisme’ et le ‘puérilisme mental’, comme propres à l’indigène algérien.

Un cri d’affranchissement de la lourde hypothèque ‘blanche’

L’écriture de ce grand homme a d’abord été un cri. Un cri de libération subjective de la charge de mépris et de l’attitude condescendante du blanc, qui pèsent sur lui, en tant qu’individu. ‘Et puis il nous fut donné d’affronter le regard de l’homme blanc. Une lourdeur inaccoutumée nous oppressa. Le véritable monde nous disputait notre part’ (Fanon, Peau noire, masques blancs, éd. Du Seuil, 1952, p. 89).

Un cri d’affranchissement de la lourde hypothèque ‘blanche’, qui obère depuis des siècles l’émergence d’une dignité dans la société noire ; hypothèque faite de violence inouïe à l’égard de l’esclave et de l’indigène, une ‘Violence qui a présidé à l’arrangement du monde colonial, qui a rythmé inlassablement la destruction des formes sociales indigènes, démoli sans restriction les systèmes de références de l’économie, les modes d’apparence, d’habillement.’ (Les Damnés de la terre, La Découverte, 1961, p. 29)

Le reniement ontologique dépasse la problématique contentieuse du Maître et de l’Esclave, qui finit par la nier, et dont Hegel a fait sienne la réflexion, dans la Phénoménologie de l’Esprit. Les deux consciences antagoniques incluent des notions de domination, de supériorité. Par un long processus historique, dans la perspective hégélienne, l’esclave arrive à une reconnaissance, voire à une égalité avec le maître, à partir d’une progressive évolution et d’un renversement des valeurs. L’attitude fanonienne s’éloigne de ce processus dialectique en récusant les éléments qui fondent cette démonstration philosophico-didactique, faisant une lecture métahistorique des éléments de l’Histoire à partir de ses composantes particulières. Cette vision de lutte entre deux entités antagoniques, le maître libre et le sujet asservi, marquée par le passage de l’histoire, tire son historicité de la métaphysique occidentale. Hegel théorise l’effort de ce combat et généralise ses effets, posés comme éléments constitutifs de l’Histoire normative et universelle, en vue d’une réorientation ou pour dire d’une orientation réconciliatrice des deux instances ; ses limites n’ont pas tardé à se faire ressentir en considération de l‘histoire particulière de la traite et du colonialisme.

Le contexte d’élaboration de la vision hégélienne de l’humanité se rétrécit autour d’une esquisse culturelle circonscrite et pensée à l’intérieur des frontières d’une géographie et d’une histoire balisées, portant une sensibilité définie par cette territorialité même. Il s’agit d’un regard depuis le territoire du Maître et non celui de l’Esclave. Le Maître, dans ses formes et ses interventions différenciées, colon, esclavagiste, impérialiste : ‘Diffère, précise Fanon, essentiellement de celui décrit par Hegel. Chez Hegel il y a réciprocité, ici le maître se moque de la conscience de l’esclave. Il ne réclame pas la reconnaissance de ce dernier, mais son travail’ (Peau noire, p 179).

Fanon dégage deux niveaux dans la hiérarchie mentale de l’être déchu : celui qui peut être racheté par l’action de l’histoire et son propre mérite, l’esclave blanc, et celui assimilé à un produit pur dont la seule force garantit l’existence. Cette dernière catégorie est celle du Noir, qui, dans l’inconscient du Blanc est statutairement non-humain ; par conséquent son accomplissement dans l’Histoire est toujours retardé et peut-être jamais réalisable. Ce rapport unilatéral, imposé par la force du colonisateur, contredit toute possibilité de reconnaissance réciproque.

Edouard Saïd se livre à une analyse magistrale de l‘œuvre de Fanon dans son ouvrage Culture et impérialisme, (éd. Fayard, 2000, p. 301). Là se dresse de toute sa hauteur altière, cet éminent psychiatre, ce théoricien de la domination, cet universel Fanon, au caractère tranchant et à l’âme entière, pour dire aux consciences serviles et aux nuques soumises, que les maux dont ils souffrent sont la conséquence de leur résignation. Un autre penseur algérien Malek Bennabi, dans ses nombreux essais sur le phénomène de la civilisation mondiale, évoquait cette disposition morbide au joug colonial.

Fanon rejette l’idée de spécificité d’une ‘essence noire’, dépassable, dont parlait Sartre dans la préface Des Damnés de la terre. Ce dernier reste prisonnier de l’idée de réalisation d’une société humaine, nivelée dans ses contradictions, et sans race ; tout comme Marx le resta dans son utopique idéal communautaire, sans Dieu ni classe. Mais l’existence d’une particularité, ou d’une culture nègre, n’est pas liée à une essence. Elle est le produit d’une histoire.

La bible du tiers-monde

Fanon a séduit les masses colonisées plus qu’aucun autre n’a réussi à le faire en son époque. Ce n’était ni un homme politique, ni un chef de guerre. La verve politique et poétique contenue dans son œuvre explique en partie le prestige qui a auréolé sa courte carrière. Ensuite la mise en partie en théorie de violence, non pas la sienne, mais celle du colon qu’il a expliquée, amplifiée auprès des sociétés dominées, est considérée comme une référence pour comprendre la machine coloniale portée par l‘impérialisme. Son œuvre est devenue la bible du tiers-monde. Enfin, le théoricien de la violence ne s’est pas contenté de romantiques péroraisons pour parler du colonialisme. Psychiatre doublé de sociologue, il a diagnostiqué les maux de la société de l’intérieur, saisi ses causes et suggéré des solutions pour éradiquer l’exploitation et l’oppression politiques. Observateur mêlé à la foule et épousant son rythme, il a aboli cette distanciation prétendument objective, que d’aucuns érigent en discours de la méthode sur un mode péremptoire et définitif, pour se placer sur le terrain.

Fanon a sollicité de Jean-Paul Sartre une préface pour son essai : Les Damnés de la terre. Le philosophe français a accepté de le faire pour au moins deux raisons. Il était au sommet de sa gloire et régnait en maître incontesté sur la respublica literaria, avant que le structuralisme ne vienne infléchir la pensée existentialiste. L’influence d’une préface signée de sa main n’était pas négligeable, pour tout protégé se mettant sous la tutelle du parrain. L’autre raison est que l’auteur de l’œuvre préfacée, doit éviter toutes les embûches et retrancher les inévitables adversités d’une critique, souvent peu amène envers une œuvre non consacrée, et dont l’auteur reste quelquefois intellectuellement justiciable.

Le 6 décembre 1961 à Washington, décède Frantz Fanon, à l’âge de 36 ans, des suites d’une leucémie. Il est inhumé au cimetière des Chouhadas de Tunis. Son corps fut ramené de Tunisie en Algérie indépendante.

Un demi-siècle, et les résonances profondes des appels de Frantz Fanon ne cessent de nous interpeller, comme une profession de vérité et d’espoir. On est toujours saisi par l’universalité de son message à la face du monde, et de cette Europe infatuée d’elle-même.

Amady Aly DIENG

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