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12 juin 2012

Notes de lecture - Quel visage de l’Afrique ? -

Notes de lecture - Quel visage de l’Afrique ? - Variations sur l’Afrique par Rachid Benlabbah Institut des études africaines Rabat 2011 152 pages

Les variations données en titre à cet essai ignorent en vérité beaucoup de choses sur l’Afrique, une Afrique qui enchante, noire, subsaharienne, occidentale et orientale, pharaonique, blanche sur sa partie méditerranéenne, vieille et toujours actuelle. Celle qui n’en chante pas s’est malencontreusement mieux médiatisée. Il a suffi d’en exagérer la monstruosité et la souffrance facilement pour susciter l’action du cœur, l’émoi, le rejet et l’apitoiement. Ce sentiment et cet acte ne sont pas un grand mal en soi, c’est leur stéréotypie africaine qui est en cause. Rachid Benlabbah n’y échappe pas lui-même, l’Afrique régresse dans sa vision à deux images contrastées, mais qui se répercutent, celle d’un enfant sous-alimenté se maintenant à grand-peine debout entre les mains de sa mère et celle d’un solide garçon la rage aux yeux, la machette à la main ou la mitrailleuse sur l’épaule. L’écriture de cet essai aide son auteur à s’en déprendre, en découvrant de nombreuses autres séquences de la  vie, la culture et l’histoire de ce continent.

 

 

 

Les Africains n’ont jamais donné de nom à leur continent. Les Romains dit-on le leur avait attribué. Les étymologistes ont disputé de l’origine. Pour les uns, la plus probable est Ifren ou Yfren (tribu ou divinité), Afridi (tribu du temps de Carthage) ou encore Averkan (couleur noire). D’autres songent à Taferka (terre) dont le latin africanus serait une dérivation. Finalement, il y a ceux qui pensent au climat par référence au mot grec aphorike (sans froid) et latin aprica (ensoleillé). En tout cas la nomination est venue du Nord. La traite négrière a représenté un élément non négligeable de l‘économie arabe médiévale.

L’esclavage de l’homme noir a sévi dans le monde arabo-musulman jusqu’à une époque assez tardive. La dimension économique et l’enjeu financier impressionnant, que la traite négrière représentait, rendaient sa révocation impossible, tandis qu’en principe l’autorité de l’impératif coranique de l’égalité humaine aurait dû suffire à l’imposer. L’expansion de ce commerce a encore aggravé davantage la situation, elle a poussé les traqueurs du «bois d’ébène» et les marchands (Des Noirs et des Blancs) à attraper et à vendre aussi des hommes libres, et parfois même de confession musulmane.

Rachid Benlabbah donne des précisions sur l’attitude d’Ahmad Baba (1556-1627) relative à la fatwa sur l’esclavage. Dans son avis de docteur de la loi, Ahmad Baba parle en connaissance de cause, et bien que ses biographes entretiennent aujourd’hui une polémique oiseuse sur son origine et la couleur de sa peau, il descendrait en fin de compte d’un lignage ethnique africain double, Tekrour et Sanhâji. Contemporain du sultan Saâdien Al-Mansour, il a été déplacé avec sa famille à Marrakech lors de l’expédition militaire vers le Bilâd As-Sûdan. A-t-il souffert de l’humiliation d’être arraché à sa terre natale, a-t-il ressenti la détresse de l’exil, a-t-il été pris de l’élan d’empathie devant les sentiments qu’éprouveraient les esclaves ? En tout cas, après plusieurs années passées à écrire dont notamment l’essai sur la condition d’esclave, il était finalement reparti à Tombouctou.

Concernant la conversion, Ahmad Baba, étant lui-même originaire du Bilâd As-Sûdan (le pays des Noirs), défend la spontanéité de Kachen, Ghana et du Mali. Il persiste à définir la mécréance comme l’unique cause qui puisse justifier l’esclavage et le rendre licite. La question de l’origine, qui commence de nouveau à secouer avec acuité l’Afrique, portée par une frange de l’élite du vieux continent, est apparue à la veille de l’indépendance, et durant le processus de décolonisation. L’Africain postcolonial et l’homme noir américain, contemporain du discours historique de Martin Luther King, ont eu conscience de la nécessité d’être, d’avoir en quelque sorte une épaisseur ontologique. De la recherche scientifique aux expressions créatrices, l’appel des racines culturelles a occasionné une entreprise généalogique dont le but était de prouver l’existence d’une matrice africaine. L’identité n’a de sens qu’à travers l’idée d’histoire et de mémoire.

En relisant quelques romanciers africains de la période, tels Nazi Boni, Mongo Beti, Ferdinand Oyono, Cheikh Hamidou Kane, Camara Laye, le lecteur se rend compte de la permanence de la hantise identitaire qui ébranle leur vision du monde et celle de l’Afrique postcoloniale. L’impact colonial y est souvent vécu comme un effacement de la mémoire. «L’aventure ambiguë», par exemple, laisse planer la crainte du degré zéro de l’identité, ce qui explique l’itinérance initiatique à caractère géographique, spirituel et intellectuel. L’auteur africain, nord-africain, qui a relativement fondé toute sa pensée sur la question de la généalogie et de l’origine est Abdelkébir Khatibi, un romancier marocain. Dès avant «La mémoire tatouée», on pourrait surprendre le souci pour cette dimension dans sa thèse sur le roman maghrébin et ses premiers écrits dans la revue Souffles (1966).

Afrique littéraire

C’est devenu un lieu commun que d’évoquer la femme dans la littérature africaine. Sa figure tutélaire dans des récits comme «Doguicimi» (1938), du nom de l’héroïne de l’écrivain béninois Paul Hazoumé, sortie d’une fresque historique d’une rare violence que n’égale que sa fidélité et son sacrifice. Il en est de même de «Les bouts de bois de Dieu» (1971), du sénégalais Sembène Ousmane qui met en scène la grève des cheminots, dans une veine réaliste qui s’apparente au «Germinal» d’Emile Zola, avec Ramatoulaye meneuse intrépide, ou encore «Maïmouna» (1953) qui raconte l’histoire d’un corps, du corps de la femme africaine. Ce récit retrace l’itinéraire d’une belle jeune femme, rivée au soin de sa toilette et à l’écoute de ses métamorphoses charnelles.

Elle quitte le village de Louga, trop miséreux pour ses espoirs de grandeur et ses vœux d’amours et trop superstitieux pour l’attente d’une culture raffinée, en direction de Dakar, la ville européenne. Mais en même temps, elle presse une vague crainte que la fin du récit traduit en déchéance. Les déboires d’un mariage arrangé, l’échec d’accouchement, la maladie et l’enlaidissement physique achèvent de ruiner le rêve et l’illusion d’une jeune adolescente, qui retourne à la concession maternelle désormais privée de la sensation radieuse de son corps épanoui. En dehors de cette morale finale, plutôt fâcheuse et stéréotypée, le récit du Sénégalais Abdoulaye Sadji se lit selon la dimension existentielle de la vie du corps, comme ce que nous avons de plus intime, et de sa décrépitude.

En Afrique occidentale francophone, il a fallu attendre les années 1980 pour assister à une émergence féminine. Le Sénégal y a servi de locomotive. Le récit de prédilection demeure «La grève des battus» (1979) de Aminata Sow Fall, moins à cause des thèmes du désenchantement après l’indépendance, de la corruption, de la superstition dans les milieux de l’élite politique, du maraboutage, de la misère sociale et de l‘émancipation de la femme que parce qu’il transporte par sa verve, réussit sa galerie des personnages et étonne par l’économie du mot.

Au XXe siècle, le retour de la parole arrive des milieux estudiantins africains. Il se traduit par la publication de la Revue du monde noir (1931-1932), L’étudiant noir (1934-1940) et Légitime défense (1932).

L’auteur du «Cahier d’un retour au pays natal» (1939), publié en 1947 et Senghor promeuvent la Négritude comme une idéologie positive de la dignité et la fierté d’être Noir. «L’Anthologie de la poésie africaine et malgache» (1948). Toute son œuvre poétique des années quarante et cinquante véhicule cette signification, notamment «Hosties noires» (1948), «Chants d’ombre» (1945), «Ethiopiques» (1956) et «Nocturnes» (1961) qui constituent un hymne aux valeurs ancestrales et une élaboration d’un humanisme négro-africain moderne. Jusqu’au début des années cinquante, la poésie représentait le genre littéraire par excellence en Afrique. On lui octroyait le pouvoir d’exprimer la parole de combat, l’action militante, le refus, la revendication et la résistance. Par la suite, le souci de décrire la réalité coloniale à la place de la contestation abstraite fit adopter aux écrivains le genre romanesque.

Par l’amplitude, la linéarité et les variations du récit, le roman a facilité la transposition de la vie. Il a été à l’origine de nouvelles thématiques. L’une des directes a eu rapport à la récupération du legs culturel africain par sa mise en fiction. Il fallait le revivifier face à la menace de ce qui était considéré comme l’assimilationnisme colonial. Le burkinabé Nazi Boni dans «Crépuscule des temps anciens» (1962) et Camara Laye, dans «Le maître de la parole», Kouma Lafôlô Kouma (1978), où il reprend l’épopée de Soundiata, bâtisseur de l’Empire du Mali au XIIIe siècle, illustrent parfaitement ce programme politico-littéraire de refondation du héros africain et de la signification symbolique traditionnelle. Ils montrent aussi un goût prononcé pour la spiritualité et la dimension initiatique.

D’autres romanciers ont été en revanche tentés par la condition sociale et la constitution d’un Etat moderne. L’appel de l’Afrique libre créait la querelle des traditionalistes et des modernistes. Les années soixante ont malheureusement apporté leur lot de déceptions, les lendemains démocratiques semblaient hypothéqués à jamais. La déchéance d’un monde et d’un rêve se lit dans «Les soleils des indépendances» (1970) de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma, auteur obligé à l’exil. Le pessimisme noir et l’incrédibilité agressive se lisent aussi dans «Le devoir de violence» (1962), un récit iconoclaste et sombre du Malien Yambo Ouologuem dans lequel même le griot n’est plus dépositaire que d’une mémoire mortifère et morbide. Dans le chapelet de ce récit alternent la guerre, l’inceste, les intrigues, les meurtres, la traite des Noirs par des Noirs, etc.

La sensibilité dans la littérature africaine pour le récit de l’initiation a produit au moins deux grands chefs-d’œuvre, «L’enfant noir» (1953) du Guinéen Camara Laye et «L’aventure ambiguë» (1961) du Sénégalais Cheikh Hamidou Kane. Autant le premier s’insère dans une vaste fresque littéraire et tisse des affinités dans l’œuvre complète de l’auteur, avec en particulier «Le regard du roi» (1954) et «Dramouss» (1966), autant le second ressemble à un chant du cygne, tellement l’auteur sénégalais a brillé, plus tard, par son absence. Souhaite-t-il ne pas donner suite à une carrière littéraire ? La portée autobiographique des deux récits ne fait aucun doute. Dans «L’enfant noir», le récit sur soi s’arrête au moment de partir en France afin d’accomplir des études universitaires.

L’enfance en Afrique est le symbole de la continuité des traditions et de l’histoire, d’où d’ailleurs le titre énigmatique choisi par C. Laye. La ville et l’école européennes étaient honnies parce qu’elles avaient justement le pouvoir d’aliéner la continuité générationnelle et ainsi métamorphoser l’homme noir. Les Camerounais Mongo Beti dans Mission terminée (1957) et Ferdinand Oyono dans Le vieux nègre et la médaille (1972) ont transposé en fiction ce conflit pour révéler la réalité misérable de l’indigénat spatial et intellectuel. Cheikh Hamidou sacrifie Samba. Aux yeux du fou, la succession de ce dernier à Thierno, comme maître des Diallobé, est un devoir. Il le tue en réponse au refus. La fin est magistrale. La mort d’un musulman est ici transposée sur la scène des mythes africains immémoriaux. A l’instar de Kourouma, Kane reprend l’image de l’espoir que représente l’ombre. Samba voit son double qui lui fera accomplir le voyage éternel en paix et qui porte la promesse d’un nouvel enfant futur. L’Afrique est une métisse, l’unique inquiétude de Cheikh Hamidou Kane est que le métissage ne dégénère.

Rachid Benlabbah aborde plusieurs autres thèmes : le culte et le récit de création, la femme dans les contes traditionnels ou l’Eve maudite, Tertullien et les femmes, Akhenaton et le monothéisme africain, le Maroc musulman et l’art à figures, etc. Ce livre écrit dans une belle langue contient des réflexions fortes riches sur les relations entre le monde arabe et le monde noir. Mais, il demeure peu critique à l’égard des auteurs dont il a examiné les œuvres.

 

Amady Aly DIENG

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