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28 juin 2010

Notes de lecture Edgar Morin le philosophe

Notes de lecture
Edgar Morin le philosophe indiscipliné hors-série Le Monde 122 pages
Morin, pour une éthique de l’incertitude

Edgar Morin, né le 8 juillet 1921 à Paris de parents juifs séfarades originaires de Salonique, a parcouru tous les domaines du savoir. Théoricien de la connaissance et héros de la Résistance, dissident du stalinisme et infatigable promoteur du ‘principe Espérance’, anthropologue de la mort et sociologue du temps présent. Il est un omnivore culturel, un touche-à-tout universel, un penseur fraternel.

Morin est un enfant du siècle, un prophète audacieux fils de son époque, un prophète des temps futurs. Il s’est opposé aux carcans de l’esprit et à certaines formes d’engagement. Contre une raison réduite au calcul, une science sans conscience, une séparation des connaissances universitaires. Il propose de relier les savoirs. A rebours d’une certaine militance qui l’a conduit lui-même à tant d’erreurs et d’errances, il forge une éthique de l’incertitude et plaide pour une politique, une métamorphose, une symbiose des civilisations. Un mot lui est accroché, celui de ‘complexité’. Car Edgar Morin est l’artisan d’une pensée capable de lier la connaissance des parties à celle du tout. En France, Edgar Morin est pourtant longtemps resté un auteur minoré avant d’être un savant respecté et parfois même une caution recherchée.

Il saisit son époque avec sagacité, sait capter l’essence des événements, les inscrire dans la longue durée. Du phénomène ‘yé-yé’ à l’impératif écologique, il offre des repères pour nos temps déboussolés. Il montre aussi que l’Homme est pétri de contradictions et, entre raison et déraison, qu’il lui est possible d’inventer un autre destin, d’emprunter d’autres chemins.

Un intellectuel rimbaldien avant tout

Fidèle à son adolescence et marqué par ses blessures d’enfance, Edgar Morin demeure avant tout un intellectuel rimbaldien. Pensée complexe ou ‘Terre-patrie’, ce braconnier du savoir déploie une philosophie comme un antidote aux oeillères de l’esprit, une perpétuelle invitation à ‘changer la vie’.

Il y a des intellectuels chez qui la pensée tient lieu de biographie. D’autres pour qui la vie l’emporte largement sur les écrits. Edgar Morin n’a jamais séparé les deux. Il n’a cessé de penser sa vie et de vivre sa pensée. Entre contradiction et résistance, marginalité et reconnaissance, l’œuvre et la vie d’Edgar Morin n’ont cessé d’être étroitement imbriquées.

Dans son grand œuvre encyclopédique, La Méthode (1977-2006), il substituera le ‘dialogique’, qui unit deux principes antagonistes pour penser les principes organisateurs de la vie et de l’histoire humaine, à la ‘dialectique’ qui prétend dépasser les contraires.

Biologie, paléontologie, psychologie, ethnologie… Morin arpente tous les territoires, fait feu de tout bois, fait son miel de tous ces savoirs épars, établit des passerelles entre le symbolique et le politique, le poétique et l’économique.

La ‘pensée complexe’, concept forgé par Morin à partir du latin complexus, et qui vise à ‘relier ce qui est tissé ensemble’, est déjà en marche. Et elle ne s‘arrêtera pas.

Depuis son plus jeune âge, l’âme d’Edgar Morin est agonique, le siège d’un combat intérieur entre la part d’ombre lunaire et la force solaire. Edgar Morin a été, comme Rimbaud, un voleur, un peu un de ces êtres qui se sont à la fois trouvés et perdus dans la fureur et mystère de la guerre.

Chercheur autodidacte, penseur itinérant, éternel étudiant, Edgar Morin trouvera toutefois un nouveau refuge au Centre national de la recherche scientifique (Cnrs), en 1950, grâce aux bons offices du sociologue marxiste Georges Friedmann, qu’il connut à Toulouse, et aux recommandations du géographe Pierre Georges et des philosophes Vladimir Jankélévitch et à Maurice Merleau-Ponty.

Morin ‘résiste’ aussi dans le domaine du savoir. Il se moque des chapelles, se méfie des carcans disciplinaires qui cloisonnent et arraisonnent les dissidences. Habité par les deux versants de l’art, savant et populaire, Morin parvient à comprendre l’imaginaire commun des nouveaux médias et l’avènement de la génération des ‘yé-yé’.

Avec La Méthode, œuvre colossale, en six volumes, qui s’étend de 1977 à 2006, Edgar Morin s’est ni plus ni moins livré à une reconfiguration du savoir humain. La Méthode identifie trois principes : le ‘principe dialogique’, qui ‘unit deux principes ou notions antagonistes, qui apparemment devraient se repousser l’un l’autre ; le ‘principe hologramme’ qui montre que la partie est le tout à l’intérieur de la partie ; et enfin, le principe de ‘récursion organisationnelle’, ‘boucle génératrice dans laquelle les produits et les effets sont eux-mêmes producteurs et accusateurs de ce qui les produit’. Ces principes forment les trois piliers de la ‘pensée complexe’.

Les contradictions du phénomène ‘yé-yé’

Dans Autocritique (1959) Morin fait le bilan de son expérience communiste (1941-1951). Ferveur, fraternités vécues dans la Résistance, puis dérive dans le communisme d’appareil. Le livre analyse les processus qui peuvent conduire des esprits humanistes à sombrer dans le fanatisme et la justification de l’injustifiable. Le secret du stalinisme est d’avoir su infantiliser et mystifier les esprits – au double sens de tromper et de rendre mystique. C’est bien la mystique communiste, la fusion fraternelle dans un parti vécu comme principe paternel et maternel à la fois, qui constituait le piège irrésistible… Dans ce passage, Morin vient de se faire signifier, au cours d’une réunion théâtrale de comité, son exclusion du Parti.

Les Stars (1957) paraissent la même année que Mythologies de Roland Barthes. Dans les deux ouvrages, il s’agit d’analyser les mythes modernes. Mais alors que Barthes voit dans les nouveaux mythes des discours mystificateurs, Morin y voit des phénomènes révélateurs des transformations sociales.

L’Esprit du temps avait décrit, dès 1962, la montée d’une nouvelle classe d’âge : l’adolescence. Les jeunes sont épris de rythmes, d’idoles, de vitesse, de risque. Ce phénomène correspond à un affaiblissement des rites de passage entre l’enfance et l’âge adulte. Ce texte écrit pour Le Monde est un exemple d’analyse sociologique à chaud, après la ‘folle nuit de la Nation’ du 22 juin 1963, concert qui rassembla 150 000 jeunes à Paris à l’occasion du premier anniversaire de l’émission d’Europe 1 ‘Salut les copains’, et qui donna lieu à des débordements. Morin y souligne les contradictions du phénomène ‘yé-yé’ : rejet du monde adulte en même temps que préparation initiatrice à l’état de ‘salarié, marié, casé’ ; les ‘yé-yé veulent tout autant consommer que consumer leur vie.

En 1965, Edgar Morin participe à une grande enquête menée à Plozérvet (Finistère) par plusieurs équipes de sociologues. Il se consacre pour sa part à étudier l’irruption de la modernité dans cette petite commune bretonne de trois mille habitants. Il avait analysé dans L’Esprit du temps (1962) l’effet corrosif de la modernité sur les traditions : la culture industrielle ‘conquiert les faubourgs et les campagnes, chassant […] les vieux folklore, les feux de la Saint-Jean, les rites locaux, les croyance et superstitions.

Edgar Morin s’inspire du concept de ‘paradigme’ proposé par Thomas Kuhn (1922-1996), ce noyau génératif des problèmes que l’homme se pose. Mais pour l’auteur de La Méthode, le paradigme est aussi un principe d’organisation de la société. En effet, une société se structure en fonction de sa manière de définir et de vivre l’acte de connaissance.

Passer à une autre humanité

Edgar Morin a croisé plusieurs reprises le chemin de Cornélius Castoriadis (1922-1997), cofondateur avec Claude Lefort, entre autres, du groupe et de la revue Socialisme ou Barbarie (1949-1967). Ils firent tous deux partie du Centre international des intellectuels révolutionnaires soutenant la révolution hongroise en 1956.

Oui, il serait possible d’en finir avec l’histoire, mais pas au sens où l’entendait Francis Fukuyama dans son essai La Fin de l’histoire (1992). Au lieu d’un assouplissement des idéologies et du règne tranquille de la démocratie libérale, Morin en appelle à une métamorphose : il s’agit pour l’homme de passer à une autre humanité, comme la chenille fait place au papillon.

Les marranes – juifs contraints de se convertir au christianisme pour éviter la répression exercée par l’Inquisition au 15e siècle – sont les précurseurs de ceux qu’Edgar Morin nomme ‘post-marranes’ ou ‘ judéo-gentils ’. Les deux religions, judaïsme et christianisme, se sont neutralisés chez eux, produisant des esprits ouverts, tolérants, universalistes, défenseurs des persécutés. On sait que la mère de Montaigne, Antoinette de Louppe, était d’origine marrane. Montaigne (1533-1592) est une post-marrane exemplaire dans sa pratique rationnelle du scepticisme.

Il a préféré demeurer dans la dualité de ses deux dénominations : Nahoum, dit Morin, fils de Nahoum Vidal et Luna Beressi.

Des débats ont été organisés autour de ses œuvres. En 1963, dans un article cinglant, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, futurs coauteurs des Héritiers (Editions de Minuit), s’en prennent à son analyse des médias de masse qui ne fait selon eux que ‘transposer en formules savantes les idées reçues du bavardage quotidien sur le malheur des temps’. Plutôt que de leur répondre nommément, Edgar Morin préférera s’en prendre, dans divers textes, aux cohortes de ‘Trissotin’ et ‘Diaforus’ des sciences humaines qui cherchent à réduire les comportements aux seules structures et déterminations sociales, et à soutenir ‘les plus renversantes conneries, à condition qu’il y ait de la dentelle autour’.

Des hommages qui sont de véritables exercices amicaux d’admiration ont été rendus à un grand penseur sans frontières.

Amady Aly DIENG

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