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10 janvier 2011

HISTOIRE ET CULTURE

IBRAHIMA SANE, PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE :
« L’Africain ne remet pas en cause ces pratiques, son identité est en construction »

mardi 14 septembre 2010 par Inyuki 

Le professeur de sociologie à l’Université de Dakar et de Saint-Louis, Ibrahima Sané, fait partie de ces Africains qui croient encore aux pratiques ancestrales parce que permettant de construire l’identité de l’homme africain. A son avis, rien ne peut séparer les Africains de leurs croyances. Elles font partie de leur univers.

Pourquoi les Sénégalais, dont la majeure partie croit aux religions révélées, continuent de pratiquer des croyances traditionnelles ?

Il faut partir d’une histoire bien déterminée pour comprendre que les mécanismes à partir desquels les communautés de la société africaine ont mis en place un système de croyances sociales. Avant même ces religions révélées, nous avions l’habitude, en Afrique, de travailler à partir de nos traditions et coutumes. Malgré que la tradition soit un élément très ancré ou qu’elle soit le socle le plus important de la culture, les Africains continuent en temps de modernité à travailler à partir de la tradition. Voila pourquoi aujourd’hui, nous faisons souvent ce que nous appelons du syncrétisme religieux. Nous avons à la fois les religions modernes et nous avons toujours un pied dans les religions traditionnelles, et cela se vérifie un peu partout. Si vous prenez par exemple le cas de la Casamance, en particulier la basse Casamance (Oussouye), qui est un milieu de très forte religiosité où les gens sont très ancrés dans la tradition, rien n’empêche à un musulman de pratiquer à la fois sa religion mais en même temps de penser à la tradition. Pour les musulmans de ces localités, la tradition et la religion vont ensemble. Les Diolas, musulmans ou chrétiens, pratiquent le « Boucoute », qui est une grande circoncision, pourtant, ils sont musulmans ou chrétiens. Dans le bois sacré, il se passe des choses qui sont très liées à la tradition, cela veut dire que l’Africain garde non seulement sa personnalité, mais aussi son identité. C’est une identité qui est toujours en construction. Voila pourquoi l’Africain ne veut pas remettre en cause ces pratiques. Autre exemple, citons le cas des commerçants qui, avant d’ouvrir une boutique versent de l’eau, mettent des gris-gris et prennent le premier client quel que soit le prix que ce dernier décide de payer. Quand vous quittez chez vous pour voyager loin, vos parents versent de l’eau. Rien ne peut séparer les africains de ces croyances parce qu’elles font partie de notre univers et cosmogonie. Cet univers est tellement important et a un impact sur les Africains qu’aujourd’hui, nous ne perdons pas notre identité. Chaque fois que nous voyageons, nous ne mettons pas en cause cette pratique. Aujourd’hui, il y a des gens qui ne voyagent pas les jeudis, des populations qui refusent de présenter des condoléances les samedis. Ailleurs, comme à Saint-Louis, au nord du Sénégal, les condoléances sont présentées les samedis. Par contre, au sud, en Casamance on refuse de présenter les condoléances les samedis. Ce sont des tabous qui constituent chez nous des problèmes de croyances, il faut croire ou ne pas croire. D’ailleurs, nos grands parents disent que nous sommes des Européens parce que nous ne croyons plus aux choses de la tradition alors que si nous avons des problèmes, nous sommes obligés de revenir au village et de convoquer les choses de la traditions pour nous en sortir. Donc, il faut vivre ces pratiques de l’intérieur et non de l’extérieur. Il faut être en osmose avec ces pratiques pour comprendre qu’elles sont extrêmement importantes. Sans ces pratiques, peut-être la modernité ne pourrait pas s’expliquer, parce que la modernité produit, parfois, des phénomènes de non-sens ou de contre-sens, surtout dans les sociétés comme les nôtres où l’on nous propose des histoires que nous n’avons pas vécues. Voila pourquoi, même en Europe, la sorcellerie et la magie existent. En Afrique, nous n’avons que nos traditions et nous devons les garder le plus longtemps possible pour fabriquer l’homme africain. Ce sont des phénomènes qui sont encore dans nos entourages et personne ne peut les mettre en cause. Certains vivent en permanence avec des êtres que les autres ne voient pas. Nous devons tous croire à ces traditions. Personnellement, je pense qu’il faut arriver à faire la symbiose entre ce qui relève du passé et de la modernité en vue d’aller plus loin dans nos comportements et pratiques quotidiens.

Est-ce que vous pensez que ces traditions ont un avenir dans notre pays ?

Je pense que ces coutumes et traditions ont encore un avenir. Pourquoi encore l’Africain a toujours besoin de son passé et de sa tradition pour avancer ? C’est parce que cette tradition façonne, puisque c’est un problème culturel. Les Africains savent que c’est le socle culturel qui manque au développement. Nous avons vu l’élément économique, mais nous n’avons pas encore vu le développement par la culture. Donc, vous comprenez pourquoi le président Senghor chante souvent le développement par la culture. La culture est un élément important dans la vie d’un Africain. Si nous perdons notre culture ou repères, nous ne représenterons plus rien aux yeux des autres peuples. C’est pour cette raison que nous sommes arc-boutés sur notre tradition, parce que nous pensons qu’elle est importante. Certes, il y a des gens qui veulent évoluer en rejetant la tradition car, il faut aussi oser le dire, dans la tradition, tout n’est pas bon. Il faut faire un tri entre les éléments de la tradition qui collent avec la modernité et laisser tomber les éléments qui ne collent pas avec la modernité. Par contre, il y a des éléments de la tradition qui sont très utiles, parce qu’ils nous permettent d’avancer dans le bon sens.

En appliquant les enseignements des prophètes, ne pensez-vous pas que ces traditions vont disparaître ou tout simplement perdre leur place dans nos sociétés ?

Je pense que, jusqu’a preuve du contraire, nos coutumes restent et resteront ancrés dans notre société. Si ces gens appliquaient ces enseignements comme ils le disent, le « boucoute », circoncision diola, aurait disparu. Heureusement, ces traditions perdurent, même chez les musulmans, alors qu’entre ces pratiques de circoncision et la religion musulmane, il y a un fossé énorme. Pourtant, les gens continuent à aimer le « boucoute », parce qu’il permet à la fois d’éduquer et de façonner les Diolas. Ailleurs, le « kankourang » chez les Mandingues n’est pas abandonné. Chez les Wolofs et Lébous, les traditions sont aussi restées intactes. Mais pour les Européens ce sont des pratiques qui ne sont pas de notre âge et qu’il faut dépasser. Si nous dépassons ces cultures ou laissons tomber ces pratiques, nous ne serions rien devant les autres peuples, parce que nous aurions perdu beaucoup de choses dans la société, alors que le social et la culture sont le fort de la société africaine. C’est aussi la richesse de l’homme africain.

Certaines croyances ne retardent-elles pas les sociétés africaines ?

Non, ce n’est pas un impact négatif, parce que ce sont des pratiques que les gens ont vérifié. Pour l’Africain, ce sont des éléments qui sont importants. Quand, je sors de chez moi et que je rencontre une fille, cela sous-entend que ma journée sera mauvaise. Je suis obligé de faire attention pour éviter d’avoir des problèmes avec des gens. Nous ne pouvons pas nous départir de tous les éléments de la tradition, parce qu’il ya de grandes personnalités de ce pays qui continuent de pratiquer les marabouts en faisant des sacrifices pour se maintenir à un poste, alors que c’est interdit par la religion. Pourtant, ces gens, qu’ils soient musulmans ou catholiques, continuent de fréquenter les marabouts et le bois sacré qui constituent pour eux une source de protection. Le jour où nous allons perdre ces éléments, nos problèmes vont remonter en surface. Nous devons faire le pont entre les éléments du passé et les éléments du futur si nous voulons continuer à vivre aisément. On ne peut pas faire une rupture totale, car ce sera l’absence de la culture. Alors que l’absence de la culture, comme le dit le prince Um Talla, est synonyme de l’équation du développement sans sens. Vous comprenez que la culture ne résume pas le nombre de bibliothèques et de voitures. La culture, c’est ce qui est ancrée dans la tête de l’être Africain, car c’est son fort.

Tous les jours, nous donnons la charité et tuons un animal pour sacrifier à un rite ou à une pratique qui est là, bien ancrée. Parce que sans ces pratiques ou ces éléments, nous allons rencontrer des problèmes en cours de journée. Voila pourquoi nos parents nous en veulent souvent en nous qualifiant d’Européens, car ils estiment que nous nous sommes plus collés à la modernité. Ces croyances ne seront pas une chose facile à éliminer. Peut-être, avec le temps, certains vont disparaître progressivement d’elles mêmes.

Donc vous pensez que les religions révélées doivent revoir leur position par rapport à ces traditions ?

Les religions musulmane et chrétienne ont intérêt à faire un tri, parce qu’il y a de très bons éléments dans la tradition. Dans nos églises, il y a des chorales mais dans les pays européens il n’en existe pas. Dans ces pays, les gens viennent prier quand ils sont vieux, après ils disparaissent de l’église. Mais chez nous, la chorale permet d’animer une messe et de mettre en symbiose la partie de la religion avec notre univers. Cela veut dire que c’est une pratique traditionnelle ajoutée dans l’église, mais qui est aujourd’hui ancrée dans notre culture. Cette pratique spécifique à notre église n’existe nulle part au monde. Elle permet de construire notre identité, car ce sont des valeurs particulières que nous partageons avec les autres et nous-mêmes.

Comment se fait-il que les Africains sacralisent toujours ces pratiques ?

Le contexte et le sacré sont très importants chez l’Africain. Je vous renvoie à l’excellente thèse du professeur Moustapha Tamba qui a écrit sur les rapports au sacré des Sénégalais, c’était entre 1995-1996, à Lyon II. Dans cette thèse, il a montré que le sacré est très important chez l’Africain. Pour faire un rituel, nous devons obligatoirement verser du sang. Chez les Lébous ou Diolas, on verse du sang, et même chez les musulmans on verse du sang en égorgeant des animaux. Le sang versé, c’est pour lutter contre l’impureté. Mais un Occidental ne peut pas comprendre cela. Ces sacrifices sont très importants chez nous, parce qu’ils nous épargnent des malheurs.

Entretien réalisé par Eugène KALY Source Le Soleil

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