Paris a livré une guerre totale aux indépendantistes camerounais, aujourd'hui dénoncée par le livre-enquête « Kamerun ! »
C'était la guerre. Une guerre avec des dizaines de milliers de morts, à 5 000 km de la métropole, loin du regard d'une opinion fascinée par les « événements » d'Algérie. Et pourtant, cette vraie boucherie s'inscrit dans la lignée des pires conflits coloniaux, Algérie et Indochine.
Aujourd'hui encore, peu de Français savent que leur armée fut engagée sept ans au Cameroun, de 1955 à 1962, pour éradiquer l'UPC, un mouvement « rebelle ». Sept années de guerre totale.
Cette patiente et longue enquête menée par un groupe de journalistes et d'historiens franco-camerounais devrait enfin faire sauter le couvercle.
"Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971)" de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsisa.« Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971) » de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, confronte des dizaines de témoins retrouvés dans les deux camps et des milliers de pages d'archives (diplomatiques et militaires) pour arriver à une conclusion limpide : la France a fait la guerre au Cameroun pendant sept ans.
Une guerre totale, pour reprendre l'expression des théoriciens de la doctrine de la guerre révolutionnaire (DGR), radicale et sans merci. La fameuse guerre des cœurs et des esprits, avec l'arsenal d'un exceptionnel dispositif de renseignement fondé sur :
* le regroupement forcé de villages,
* le quadrillage de la population,
* l'action psychologique à grande échelle,
* la chasse aux maquis clandestins,
* l'exécution ciblée des dirigeants de la rébellion,
* la torture érigée en arme de terreur massive.
Bilan : de 20 000 à 120 000 morts
Au Cameroun, pas une famille qui n'ait échappé à cette violence, surtout en Sanaga maritime (entre Douala et Yaoundé) et en pays Bamiléké (dans l'ouest). A l'époque, chacun est sommé de choisir son camp :
* soit celui des rebelles de l'UPC, Union des populations du Cameroun, mouvement réclamant l'indépendance du territoire à partir de 1948 ;
* soit celui de la France, administrateur de cet état sous tutelle des Nations unies, qui tient à garder le contrôle de son pré-carré.
Le conflit éclate au printemps 1955 par des émeutes dans les grandes villes. Sévèrement réprimées, elles poussent les militants de l'UPC à prendre le chemin de la clandestinité.
Décembre 57 : Paris décide de déployer la zone de pacification du Cameroun (Zopac), réplique du dispositif de la bataille d'Alger conduite par Massu, mais dans un cadre rural. Un certain Pierre Messmer, Haut-commissaire du territoire, est à la manœuvre. En métropole, personne n'est au courant, décrypte Manuel Domergue. (Voir la vidéo)