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5 janvier 2012

Note de lecture L’Occident décroche Enquêtes sur

Note de lecture
L’Occident décroche
Enquêtes sur les postcolonialismes par Jean-Loup Amselle Stock 2008 - 320 pages
Les déconstructeurs de la pensée européenne

De la critique postcoloniale, on retient surtout la remise en cause de l’universalité de la raison occidentale exportant partout les Lumières. Pour Jean-Loup Amselle, cette opposition entre l’Ouest et le reste est simplificatrice : elle ignore les interférences réciproques, oublie des philosophies concurrentes de la pensée occidentale élaborée en Europe même et enfin méconnaît les réflexions et controverses venues d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Centre ou du Sud. Pour y voir clair, il a donc entrepris une vaste enquête à travers continents et théories.

Le renouveau d’une certaine pensée juive à l’indigenisation du mouvement zapatiste, en passant par la défense des savoirs endogènes africains ou l’affirmation d’une temporalité indienne spécifique, il analyse les divers ‘décrochages’ par rapport à l’Occident et les dangers qu’ils recèlent. Chemin faisant, il revient aussi sur la figure titulaire de Gramsci pour montrer combien l’hommage rituel dont celui-ci fait l’objet dans les études postcoloniales repose sur une lecture infidèle. Ce vaste parcours, solidement documenté et argumenté nous ramène finalement dans la France d’aujourd’hui où le postcolonialisme arrive tardivement au moment où la crise des deux modèles d’intelligibilité de la société, celui de la lutte des classes et celui de la République, favorise l’ethnicisation des rapports sociaux.

Jean-Loup Amselle, anthropologue est directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales. Il a notamment publié Au cœur de l’ethnie avec E. M’bokolo (1985), Logiques métisses (1990), Vers un multiculturalisme français (1996), Branchements (2001) et L’Art de la friche (2005).

Heidegger semble occuper une place à part dans le phénomène de mise à distance de la pensée occidentale. Sa haine du modernisme et de la civilisation, son côté paysan de la Forêt-noire, en un mot sa pensée ethnologique font de lui le père tout trouvé des philosophes de la déconstruction ou le compagnon de penseurs qui sont en gros contemporains comme l’ethnologue Marcel Griaule ou le président poète Léopold Sédar Senghor- tous ceux qui ont à cœur de relativiser la suprématie de la pensée européenne, y compris dans ses formes les plus contestataires (Marx), peuvent en effet se retrouver dans la philosophie de ce contempteur de la science et de la technique, de ce chantre écologiste avant la lettre, de la nature.

C’est donc dans la conjoncture de l’après-guerre qu’a fermenté la mise en cause radicale de grands systèmes d’explication du monde, lesquels sont vus désormais comme le moyen pour l’Europe d’imposer ses vues au reste du monde. L’ontologie phénoménologique de Sartre, bien qu’elle se combine avec une posture universaliste et marxiste dans ‘Orphée noir’ notamment peut servir de fondement à un retour à la pensée et à la religion juive comme chez Benny Léii par exemple ou être vue rétrospectivement à travers l’œuvre de Fanon et du soutien qu’il lui a apporté comme une anticipation du postcolonialisme.

Derrida est l’exemple paradigmatique de la déconstruction de la métaphysique occidentale et de son logocentrisme à la lumière de la philosophie heideggérienne. En étendant démesurément le périmètre du texte et de l’écriture au point d’aboutir à une espèce de pangraphisme, Derrida a véritablement ruiné les fondements de la philosophie occidentale.

Foucault, enfin, est un autre exemple de déconstruction postmoderne de la pensée européenne. Il oppose Jérusalem à Rome. Ainsi un modèle indo-européen est menacé par un modèle sémitique qui peut lui-même, bien que Foucault n’en soit pas conscient , s’ouvrir à d’autres aires culturelles, l’Afrique par exemple.

Au total bien avant les subalternistes indiens, les philosophes français, tous plus ou moins exposés aux idées de Heidegger et au-delà à celle de Nietzsche, ont fait de l’Europe une aire culturelle comme une autre, c’est-à-dire ont culturalisé la pensée. Ce que l’on a appelé la pensée 68, tout autant et sinon plus qu’une contestation politique a été une contestation d’ordre philosophique, celle du Kantisme, de l’Hégelianisme et du marxisme, principalement, c’est-à-dire de toutes les formes de pensée qui prétendent s’appliquer en tout temps, en tout lieu et à toute personne. De la fascination de bon nombre de philosophes contemporains pour l’ethnologie, la culturalisme, le populisme. Il n’y a plus de place désormais pour une forme de pensée quelconque jusque et y compris le structuralisme de Lévi-Strauss, qui prétendrait s’appliquer à l’ensemble des cultures de la planète puisque cette prétention est vue comme la manifestation d’un impérialisme culturel sous-jacent.

Michel Foucault est l’un des inspirateurs majeurs du postcolonialisme et du subalternisme. Ses recherches sur les relations entre savoir et pouvoir ont très tôt irrigué les travaux des précurseurs français et anglais du postcolonialisme, puis ultérieurement l’œuvre d’Edward Saïd. Dans L’orientalisme, Saïd ne fait pour ainsi dire qu’appliquer la relation dyadique foucauldienne entre savoir et pouvoir. Il s’emploie à montrer que l’orientalisme, ce savoir européen ou occidental sur l’Orient, n’est rien d’autre qu’un savoir intéressé destiné à assujettir les peuples du Proche et du Moyen-Orient, et qu’il existe donc une relation très étroite entre science (sociale), d’une part et colonialisme et impérialisme, d’autre part . A dix ans d’existence, le philosophe zaïrois Valentin Mudimb , s’appuyant sur l’œuvre de Foucault, a montré dans the Invention of Africa (1988) que notre perception de l’Afrique était étroitement liée à l’existence d’une ‘bibliothèque coloniale’, c’est-à-dire à toute une série de textes produits par les missionnaires, les administrateurs coloniaux et les ethnologues, bref par tous les auteurs qui se sont employés pour assujettir l’Afrique. Mais là encore, comme chez Saïd l’utilisation du couple savoir/pouvoir a entraîné, par une sorte d’effet boomerang, l’invention seconde d’une Europe parée de tous les maux. Conscient du piège que recelait cette problématique, Mudimbé a été amené, dans un second temps en suivant un chemin parallèle à celui emprunté par Saïd, à substituer à la thématique de l’’invention de la tradition’ celle de la ‘raison métisse’.

Les historiens indiens reprennent l’idée que l’historiographie de l’Inde est calquée sur l’hIstoriographie occidentale ( y compris dans sa variante marxiste) et fait la part belle à la vision de l’élite alors qu’il convient d’accorder toute sa place à ceux qui sont au bas de l’échelle sociale (basses castes, parias, etc) à l’instar de l’attention portée par Foucault aux marginaux, aux fous et aux criminels.

La pensée de Foucault est exclusivement européocentrée il faut le souligner. Jamais Foucault n’a pris en compte ni ne s’est intéressé aux réalités extra européennes, sauf pour s’exprimer publiquement en aveur de Khomeiny et du régime des mollahs iraniens. A cet égard, son séjour d’enseignant en Tunisie de 1966 à 1968 est particulièrement révélateur. Se consacrant à la rédaction de l’un de ses ouvrages majeurs L’Archéologie du savoir, il ne laisse rien transparaître dans ce livre de sa vie dans un pays non européen et des expériences diverses qui ont pu être les siennes.

Les propos de Jacques Derrida ne peuvent être compris que si on les mesure à l’aune du multiculturalisme de la société nord américaine. J L Amselle préfère montrer comment la pensée et la figure de ce philosophe se sont construites en interaction avec les propos et les attentes d’une élite intellectuelle africaine américaine ou tricontinentale, principalement indienne, présente sur le sol américain.

Derrida, juif pied-noir d’Algérie, a fait ses études secondaires à Alger puis a poursuivi ses études supérieures en France ; à l’Ecole normale supérieure pour y devenir ensuite caïman, c’est-à-dire agrégé préparateur. C’est la figure de la déconstruction qui demeure associée à son nom.

Si Gilles Deleuze est un philosophe universitaire très classique, nul autre que lui n’a pu identifier autant sa pensée ni autant asseoir sa réputation sur une conception nomade de la pensée et de la philosophie. A cet égard, on ne peut qu’être surpris par le contraste qui existe chez lui entre la figure du penseur sédentaire et celle de la pensée ‘rhizomique’ à laquelle il a, en compagnie de Felix Guattari, associé son nom.

Pour mener à bien le processus d’exposition d’une pensée ‘rhizomique’, affranchie des rigidités d’un discours défini de façon symétrique et inverse comme une pensée ‘racine’. Deleuze et Guattari ont puisé dans une littérature ethnologique éminemment datée, quand elle ne charriait pas avec elle les pires poncifs de la vulgate coloniale. En outre, et c’est une difficulté que l’on rencontre chez un de leurs disciples postscoloniaux les plus en vue Edouard Glissant, l’identité–relation où la créolisation, pour exister comme telles supposent leur catégorie opposée, celle de racine, ce qui peut conduire à postuler l’existence de cultures ou de sociétés closes au principe de l’humanité et donc à reconduire un couple d’opposition émanant de l’anthropologie la plus figée (Edouard Glissant, Traité du tout monde, Poétique IV, Paris Gallimard, 1997).

Le post-colonialisme et le subalternisme connaissent des impasses. Ils constituent une pensée européocentrée y compris dans sa déconstruction, qui a fourni à la théorie postcoloniale ses principales idées. Dans le cadre de la globalisation, la ‘french theory’ aux postcolonialistes et aux subalternistes à définir les concepts d’hybridité et de créolisation afin de rendre compte de l’état d’interprétation des différentes cultures de l’oikumenê ainsi que la situation d’exil diasporique des peuples du Sud émigrés en Occident et condamnés ainsi à une sorte de ‘parodie’ (minicry) de la culture occidentale.

J L Amselle détermine clairement les enjeux d’une déconstruction de l’Occident. L’Europe est-elle la mère de la démocratie et des droits de l’homme ou bien n’est-elle qu’une aire culturelle comme une autre, à ce titre infondée à propager ses valeurs à l’ensemble de la planète. Telle est la question posée à la philosophie politique (occidentale) par deux courants critiques de la pensée contemporaine : le postmodernisme d’une part et le post-colonialisme de l’autre.

C’est incontestablement en Hannah Arendt qu’il faut voir l’ancêtre fondateur du postcolonialisme. S’inspirant d’Edmund Burke et de sa critique radicale de la Révolution française (L’impérialisme ; les origines du totalitarisme , Fayard 1982) n’a cessé de défendre les droits des peuples au dépens des droits de l’homme et a vu la première dans les entreprises coloniales, fussent-elles animées comme les Français par l’esprit des Lumières, les prémisses de la révolution finale.

Le subalternisme indien s’inspire des travaux de Gramsci, de Foucault et d’E. P Thompson. Il consiste à privilégier le recueil de l’expression des gens d’en bas, des opprimés, des dominés , des subordonnés, des hors castes, en un mot des subalternes - au détriment des idées et des points de vue de l’élite.

L’ensemble du courant subalterniste est parfaitement représenté par le projet de Dispreh Chakrabarty qui consiste à ‘provincialiser l’Europe’, c’est-à- dire à faire ravaler sa superbe à l’Occident tout en se défendant d’œuvrer dans un débat relativiste ou indigéniste.

Les Africains et les Afro-américains se sont réappropriés le subalternisme. L’ anthologie de la pensé subalterniste , telle qu’elle a été réalisée par l’historien sénégalais Mamadou Diouf, n’est pas seulement un hommage rendu à ses confrères indiens. Il s’agit d’un manifeste revendiquant la possibilité pour les Africains de s’exprimer indépendamment des cadres de pensée européens et d’affirmer leurs positions face aux tenants du ‘tout-colonial’, notamment à la thématique de l’invention de l’ ’Afrique’ chère à Valentin Mudimbé. Mais en réalité, la réaction à la prise en considération exclusive de l’omniprésence du savoir colonial sur les énoncées africains n’est pas nouvelle. Elle avait déjà commencé à se produire chez certains auteurs africains de la génération précédente comme Archie Mafèje récemment décédé et Paulin Hountondji . Au sein du Codesria est crée un Institut de recherche basé à Dakar et dont Mamadou Diouf fut l’un des piliers.

La réflexion sur le post colonialisme et le subalternisme, loin d’être l’œuvre des seuls intellectuel du Nord est également entretenue par des chercheurs et des artistes qui revendiquent une identité tiers-mondiste. Tel est le cas de Rasheed Araeen. (Ces deux courant de pensée cherchent à emprutter les voies nouvelles de l’universalisme ( Cf Kwasi Wiredu). Bien qu’il penche en faveur de Heidegger plutôt que de Marx, c’est également en direction de l’universalisme que vont les préférences du chantre de la provincialisation de l’Europe Dipesh Chakrabarty.

Jean-Loup Amselle, lui-même juif, lit le décrochage juif à la lumière du postcolonialisme et du postoccidentalisme. Cela lui permet de suivre le fil rouge qui unit sa biographie personnelle à sa carrière d’anthropologue africain.

Dans un chapitre : A la recherche d’un paradigme africain dans les sciences sociales J. L Amselle se met à esquisser le Codesria, à préciser son orientation et à mettre en lumière les différentes tendances de la période de Samir Amin son créateur à la période d’Achille Mbembe. Il tente d’écrire l’histoire intellectuelle du Codesria. Il passe en revue les productions d’Archie Mafèje, Paulin Hountondji ; Mahmood Mamdani, Thandika Mkandawire, Paul Tiyambe Zeleza, Achille Mbembe, Mamadou Diouf, Ousmane Kane, Souleymane Bachir Diagne, Ayesh M. Iman, Amina Mama et Fatou Sow.

L’auteur aborde des thèmes très intéressants : les scènes intellectuelles, la voix des ‘sans voix’. De l’inde aux Amériques, Gramsci : un sujet postscolonial ? La fracture postscoloniale. Cet ouvrage riche en informations et analyses pertinentes mérite d’être lu et discuté par les chercheurs africains en sciences sociales. On peut regretter que l’auteur n’ait consacré aucun développement sérieux aux intellectuels et chercheurs du Maghreb et Maqrech. De même, il n’a pas parlé du rôle joué par Bujra qui a été le secrétaire exécutif du Codesria. Cela est dû peut-être au fait qu’il ait très peu écrit.

Amady Aly Dieng

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