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5 janvier 2012

Notes de lecture- Il était une fois la

Notes de lecture-
Il était une fois la Méditerranée par Jacques Huntzinger Cnrs éditions 2010 273 pages-
Géographie de l’esprit, histoire des cultures autour de la Méditerranée

La Méditerranée est le lieu où l’intelligence est sœur de la dure lumière’, disait Albert Camus. Guerre et paix, frontière et migration, tradition et progrès, identité et pluralité, choc ou dialogue des civilisations : aujourd’hui comme hier, l’avenir du mode se joue sur les rives de cette mer au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et du Moyen-Orient, qui, depuis trois mille ans, est un laboratoire de l’humanité.

De Moïse et Homère à Braudel, de Jésus et Mahomet à Huntington, mais aussi d’Hérodote à Nasser et Ben Gourion, voici la grande chronique, historique, culturelle et politique, de la Mare Nostrum où le passé vient éclairer le présent. Une chronique qui rend justice au génie des peuples qui l’ont façonné, phéniciens, juifs, grecs, berbères, romains, persans, arabes, turcs, italiens, espagnols ou français. Une chronique qui montre comment les affrontements des cités, des royaumes, des empires, des colonisations et des décolonisations n’ont pas empêché le commerce des hommes, des formes, des idées. Une chronique, enfin et surtout, placée sous le signe de la confluence du soleil et de l’olivier, de la convergence de l’Agora et de la Médina.
Justice, démocratie, place de la femme dans la société, relation à la transcendance, traditions philosophiques, littéraires, artistiques : quels sont, d’une rive à l’autre, les facteurs qui divisent la Méditerranée ou, à l’inverse, l’unifient ?

En répondant à cette question et à beaucoup d’autres, en décryptant les grands débats et ses commentaires majeurs de la pensée méditerranéenne, Jacques Huntzinger, ancien ambassadeur de France, en un panorama magistral, passionné et lucide, nous exhorte à ne pas céder devant la fatalité.

Cet essai est celui d’un ‘méditerranéiste’, c’est-à-dire d’un amoureux de cette ‘fosse liquide’ bordée de plaines littorales et de montagnes, unique par son climat et ses cités, marquée par les beautés, les passions, les richesses, l’art de vivre. Un méditerranéiste qui a découvert la Méditerranée à l’âge de l’adolescence, tout à la fois dans le monde israélien et le monde arabe, en allant vivre dans un kibboutz israélien et, quelques mois après, en partant vers les rivages de l’Algérie, et qui est toujours resté aussi lié à la terre d’Israël qu’au monde arabe. Un méditerranéiste qui, dans les différents parcours de sa vie universitaire, politique et diplomatique, quarante années durant, a toujours cru en la Méditerranée, voulu la Méditerranée. Un méditerranéiste observateur de l’éruption permanente et du choc des plaques qui constituent le soubassement terrestre de cette région, et constamment engagé dans les projets de construction d’un espace méditerranéen.

Cet essai est aussi celui d’un méditerranéiste de raison qui n’est habité ni par la compassion, ni par la repentance, et s’efforce de rester lucide et mesuré. Cet essai est celui d’un méditerranéiste qui n’est pas méditerranéen mais du Septentrion, et qui est profondément européen et sereinement occidental, tout en étant conscient des turpitudes de l’Occident et des frilosités de l’Europe.

Dialoguer, c’est d’abord essayer d’aller à l’essentiel

Le dialogue des cultures a-t-il une utilité, une fonction à remplir, ou plutôt, ne faut-il pas rejoindre l’interrogation sceptique exprimée par Régis Debray à Séville en ouverture à la seconde rencontre des Ateliers ? En fait, si le dialogue des cultures est nécessaire, c’est qu’il y a des cultures et des conflits de cultures. Il y a des ‘cultures’, au sens des paramètres d’Hérodote. Les quatre traits caractéristiques que sont la nation, la langue, la religion et la culture, ces quatre paramètres d’Hérodote , sont toujours les ‘supports d’identité’, les bases des différentes civilisations. D’Hérodote à Samuel Huntington en passant par Braudel, Régis Debray et le juriste tunisien Yadh Ben Achour, c’est le même constat de la ‘réalité profonde’ des identités culturelles qui nous habitent tous. Hérodote a vu le premier choc de civilisations de l’histoire dans les rapports entre les Grecs et les Perses. Fernand Braudel les a observés dans son histoire des civilisations méditerranéennes. Régis Debray en a parlé dans ses analyses sur le choc entre la mondialisation et les identités, la dialectique de la créolisation et de la tribalisation. Yadh Ben Achour en a fait le point de départ de ses analyses sur les grandes civilisations et leur caractère réactif. Ce n’est pas faire du ‘culturalisme’ ni de l’’essentialisme’ que de rappeler ces réalités déjà prises en compte par les premiers historiens de l’humanité.

Dialoguer, c’est d’abord essayer d’aller à l’essentiel. Et, en matière culturelle, l’essentiel, ce sont les identités culturelles et leurs chocs.

S’interroger sur les cultures et sur la notion conjointe des ‘civilisations’, c’est d’abord retrouver Fernand Braudel.

Chaque civilisation niche en son sein une culture ou des cultures. Le philosophie Jean-François Mattèi, faisant sienne l’analyse de Fernand Braudel sur le rapport entre civilisation et culture, vient rappeler que, pour ce dernier, la civilisation est la scène matérielle alors que la culture est l’intrigue narrative qui anime les acteurs sans qu’ils ne connaissent jamais le dénouement, ce qui revient à dire que l’aire de la culture s’inscrit dans l’aire de la civilisation correspondante. Les civilisations relèvent de la géographie de l’esprit, les cultures relèvent de son histoire.

Ce pluriel des civilisations pose la question de leur cohabitation et de leur choc, ce qui nous conduit à nous intéresser à la pensée de Samuel Huntington.

Huntington a écrit sa théorie en réponse à Fukuyama et à la thèse de ce dernier sur la ‘Fin de l’histoire’, liée à la défaite du totalitarisme et au triomphe généralisé du capitalisme et de la démocratie libérale. Non, vient affirmer Samuel Huntington, l’histoire n’est pas finie car les civilisations demeurent, elles résistent et s’affrontent. L’idéologique est morte, mais les identités culturelles demeurent plus vivantes que jamais. L’ouvrage d’Huntington, écrit en 1996, a pour titre Le Choc des civilisations et la reconstruction d’un ordre mondial. Ce titre, différent de celui de son article de 1993 intitulé simplement Le Choc des civilisations est intéressant à relever car le passage de l’une à l’autre n’a rien d’anodin. L’analyse de l’universitaire d’Harvard est tout à fois et complexe.

L’élément humain est essentiel dans le ‘patrimoine méditerranéen’

Jacques Huntzinger va tenter d’analyser la réalité de Méditerranée actuelle, à la lumière des analyses d’Huntington, mais également au-delà de ses analyses.

Parler de la Méditerranée en termes de patrimoine et d’identité c’est inscrire ses pas dans ceux de Fernand Braudel, de Paul Valéry, de Baltasar Porcel, de Franco Cassano. Y a-t-il en Méditerranée des éléments de base d’une même culture, les invariants d’une identité commune ?

Oui et non. Il y a une Méditerranée braudélienne unie par l’olivier, la vigne, le blé, le climat, la géographie, tous éléments d’une identité ‘immobile’.

L’espace méditerranéen est marqué non seulement par son climat, ses paysages, mais aussi ses traditions, sa vie quotidienne, son unité culturelle à l’intérieur des cultures méditerranéennes si diverses, sa ‘gastrosophie’, selon la formule d’Edgar Morin, c’est-à-dire son acclimatation des fruitiers d’Extrême-Orient, de la tomate et du maïs venus d’extrême Occident .

L’élément humain est essentiel dans ce ‘patrimoine méditerranéen’. La Méditerranée est devenue un lac, alors qu’aux origines elle était une immense liquide infranchissable aux yeux des peuples qui habitaient ses bords. Il a fallu l’histoire des ‘peuples de la mer’, et surtout les extraordinaires épopées crétoise et phénicienne pour que les rivages de la Méditerranée se rapprochent. La Méditerranée est alors devenue un carrefour circulatoire, croisement des routes de l’échange à partir duquel s’est créé un ‘espace humain’.

Il est un autre élément important du patrimoine méditerranéen qui est la ville. La Méditerranée est restée rurale, mais elle est avant tout littorale et urbaine. Il y a la Méditerranée des zones montagneuses et celle des déserts, la Méditerranée du nomadisme et de la transhumance, mais il est essentiellement la Méditerranée des villes.

La ville méditerranéenne, à toute époque et en tout lieu, au Nord, au Sud et à l’Est du bassin, a été le lieu du commerce et de culture, du loisir et de l’échange, du spectacle et de prière.L’agora, le temple, le forum, la place, l’église, le corso et le paseo, la mosquée et sa cour expriment cette civilisation citadine, la permanence et l’importance du saltus. Entre les villes, par les routes terrestres construites par Rome et par les routes maritimes, la Méditerranée est un espace de circulation interurbain dont l’apogée sera l’époque vénitienne du 14e au 16e siècles.

Après avoir fait l’histoire de cette mer intérieure à partir des plaques méditerranéennes, l’auteur retrace les figures de l’altérité entre l’Europe et l’Islam. Il constate que la Méditerranée actuelle est complexe.

La Méditerranée a toujours été emplie de religieux et de religions. Il n’a pas de discours inaugurant une conférence méditerranéenne qui ne fasse référence à la formule convenue de ‘la Méditerranée, berceau des trois monothéismes’. Elle s’est forgée à partir du religieux.

La dialectique de la tradition et de la modernité, qui est au cœur même de la problématique méditerranéenne, est effectivement à l’œuvre de façons diverses en terre d’Islam pour ce qui est du politique, dans les trois plaques turque, perses et arabe. La thèse commune, nourrie entre autres par un Montesquieu comme par Marx, selon laquelle l’Islam et le despotisme ont partie liée de façon consubstantielle est contre-battue par les réalités que l’on observe.

A première vue, il est évident qu’il y a un fossé politique entre une rive Sud marquée par diverses formes de despotisme et la rive Nord tout entière convertie à l’Etat de droit, aux libertés publiques et aux principes démocratiques. La mondialisation de la démocratie politique cible ‘l’exception arabo-islamique’. Cette exception arabo-islamique, en quelque sorte, était légitimée par un discours produit tant par le Nord que par le Sud de la Méditerranée. Ce double discours est le suivant : la démocratie serait dangereuse pour la stabilité des Etats arabes en cours de développement, la démocratie n’est pas un système universel mais un système propre à l’Occident, très éloigné de la culture et de l’histoire du monde arabe. Ce raisonnement, tenu tant par les réalistes que par les orientalistes, demeurent très présent.

Il faut d’abord relever que, si ‘exception’ il y a, il s’agit d’une exception arabe et non islamique. La Turquie, l’Indonésie, la Malaisie, le Pakistan, tous grands pays musulmans pratiquent de façons diverses la démocratie politique.

La nouvelle complexité méditerranéenne, on la trouve également dans un domaine essentiel qu’est celui du droit et, plus particulièrement, celui du statut personnel et du statut de la femme. Il n’est pas facile de bâtir une relation de ‘dialogue’ nourri entre un monde islamique qui avance pas à pas dans la modernité tout en restant fidèle à sa tradition et un monde européen qui accélère sa course dans une postmodernité en se vidant en partie de sa culture.

En guise de conclusion, Jacques Huntzinger se prononce en faveur d’une praxéologie méditerranéenne. On dit que la Méditerranée est une géographie qui est devenue une histoire. Edgar Morin. est habité par cette interrogation et il est l’un des rares intellectuels contemporains à problématiser de façon explicite le concept de ‘Méditerranée’ sous l’angle d’un système multicivilisationnel.

Ce livre bien écrit est un véritable hymne à la gloire de la Méditerranée qui charrie d’énormes pans de réflexions pertinentes sur l’histoire de la plus grande mer intérieure calme et sans tempête, comme le faisait remarquer Adam Smith, ‘père de l’économie politique’ et auteur de La Richesse des Nations (1776).

Amady Aly DIENG

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