5 janvier 2012
Notes de lecture - Africaines et diplômées à
Notes de lecture -
Africaines et diplômées à l’époque coloniale (1918-1959)
par Pascale Barthélémy Presses universitaires de Rennes 344 pages -
La fabrique de l’élite féminine dans les colonies françaises
Ce livre, à travers l’analyse de la fabrique et du devenir d’un groupe social, de la ‘mission civilisatrice’ et de son impact sexuellement différencié, interroge la notion de modernité, éclaire autrement le rythme et l’ampleur des changements à l’œuvre dans les sociétés d’Afrique de l’Ouest entre la Première Guerre mondiale et les années cinquante.
De la Première Guerre mondiale aux indépendances des pays d’Afrique occidentale française (Aof), elles ne furent pas plus d’un mille à obtenir leur diplôme de sage-femme, d’infirmière-visiteuse ou d’institutrice. Une poignée d’entre elles vit encore aujourd’hui au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Mali, au Niger, au Sénégal, ou au Togo. A partir d’archives inédites et de près de cent témoignages recueillis auprès de ces femmes dans cinq pays différents, ce livre de Pascale Barthélemy, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l‘Ecole normale supérieure de Lyon, raconte leur histoire, inconnue jusqu’ici.
Formées au sein de l’Ecole de médecine et de l’Ecole normale de jeunes filles de l’Aof, ces premières diplômées africaines ont occupé une place tout à fait singulière dans leurs sociétés respectives. Quelles furent leurs origines sociales, familiales et géographiques ? Dans quelles conditions ont-elles été scolarisées ? De quelle façon ont-elles exercé leur métier et réinvesti leur capital scolaire dans le champ social, voire politique ? Quelles ont été les conséquences de leur professionnalisation dans leur vie personnelle ? Telles sont les questions auxquelles répond cet ouvrage.
Femmes savantes et demoiselles frigidaires
A travers l’étude de la composition et de la constitution de ce groupe, par l’analyse de la place de ces figures de ‘l’entre-deux’ dans des sociétés en pleine mutation, il aborde sous un angle renouvelé la politique coloniale française. Instruites et salariées, agents auxiliaire de l’action éducative et sanitaire, ces premières diplômées ont incarné de ‘nouvelles’ femmes africaines, susceptibles de fonder avec leurs homologues masculins des ‘ménages d’évolués’. Centré sur la période coloniale, l’ouvrage prolonge au-delà des indépendances l’analyse des transformations induites par la professionnalisation de ces femmes.
Au croisement de l’histoire des femmes, de l’Afrique et de la colonisation, ce livre contribue à montrer la complexité des rapports de domination en contexte colonial, qui ne peuvent se comprendre que par la confrontation des discours et des politiques de la métropole avec la réalité des expériences vécues.
Devenues romancières, journalistes, universitaires, diplomates, artistes, députés, ministres, directrices d’école ou de centre de protection maternelle et infantile, elles furent aussi les premières Africaines à jouer au tennis ou au basket, à enfourcher des bicyclettes et à conduire leur propre voiture en Afrique occidentale française. Si les noms de certaines d’entre elles sont aujourd’hui connus comme ceux de femmes d’exception dans leurs pays respectifs, leur histoire ne l’est guère. A l’époque coloniale, elles furent à la fois admirées et décriées par leurs contemporains. Qualifiées de ‘femmes savantes’, de ‘demoiselles frigidaires’, - l’expression, très ambiguë, dénonçant leur goût du ‘luxe’ et leurs exigences en matière d’équipement électroménager - ou, de façon plus radicale, de ‘marionnettes nègres’, elles appartenaient alors à la catégorie mouvante des ‘évoluées’. Le terme, issu de la ‘bibliothèque coloniale’, signalait leur différence. Il désignait celles - et ceux - qui avaient fréquenté l’école française et adopté, plus largement, des comportements et des goûts identifiés à la modernité occidentale.
Au cœur de la politique éducative et sanitaire des autorités coloniales prend place la fondation de l’Ecole de médecine en 1918 à Dakar et de l’Ecole normale de jeunes filles en 1938 à Rufisque jusqu’en 1928, la section sages-femmes est la seule institution à produire, après trois ans d’internat, des fonctionnaires africaines. Une première promotion d’infirmières-visiteuses vient compléter les contingents de 1930 mais cette deuxième filière ne fonctionne que jusqu’en 1938. Au total, 1286 candidates sont admises entre 1918 et 1956 ; 990 obtiennent un diplôme dont 633 sages-femmes et 63 infirmières-visiteuses pour 294 enseignantes.
L’Ecole de médecine et l’Ecole normale de jeunes filles recrutent en théorie leurs élèves dans tous les territoires de l‘Aof. Mais cela pose des problèmes en raison de l’inégale scolarisation des territoires fédérés.
La première partie du livre est consacrée à l‘étude des ‘grandes écoles’ de filles en Afrique occidentale française.
L’Assistance médicale indigène (AMI) a connu quelques balbutiements. En 1890, trente médecins militaires français tout au plus exercent en Aof, surtout au Sénégal et au Soudan. Ils s’occupent en priorité des Français et coûtent cher à la métropole. Un corps d’infirmiers africains est créé, puis un service d’Assistance médicale indigène organisé en 1905 sur le modèle de celui de Madagascar. En 1898, des ‘accoucheuses woloffes’ sont signalées pour la première fois comme d’éventuelles concurrentes pour les sages-femmes françaises.
‘C’était à la mode d’être sage-femme’
Une école de médecine est créée et officialisée par décret le 14 janvier 1918. A l’automne 1918, alors que la formation des premiers médecins africains commence, une section ‘sages-femmes’ est également inaugurée. Le rôle des sages-femmes africaines était de ’sauvegarder la race’ à moindre coût.
Des écoles de médecine ont été créées dans d’autres colonies. Une école de médecine a été créée à Pondichéry, un comptoir indien français, en 1863. A Madagascar, des sages-femmes sont formées au sein de l’Ecole de médecine de Tananarive depuis 1896. L’Ecole de médecine publique a ouvert en 1904 à Hanoï au Tonkin.
Les filles ont été les oubliées de l’école coloniale. En 1922, 2 500 filles sont recensées dans les écoles privées et publiques de la fédération, soit deux filles pour mille en âge d’être scolarisées. Plus de la moitié d’entre elles sont inscrites dans des établissements du Dahomey et du Sénégal, elles sont une poignée dans les autres colonies, aucune fille ne va à l’école en Mauritanie.
Deux institutrices Denise Moran Savineau et Germaine Le Goff ont joué un grand rôle dans la création d’écoles normales de jeunes filles destinées à former des institutrices. Pascal Barthélémy donne des informations précieuses sur la carrière de cette institutrice d’origine bretonne, Germaine Le Goff qui a été directrice de l’Ecole normale des jeunes filles de Rufisque.
Entre 1918 et 1957, 898 jeunes filles intègrent l’Ecole de médecine quand 388 entrent à l’Ecole normale. Destinées à devenir les emblèmes de la femme africaine ‘évoluée’, elles sont très rigoureusement choisies par l’administration et la direction des établissements.
Prévues pour être complémentaires, les deux filières, l‘Ecole de médecine et l’Ecole normale, deviennent concurrentes. La formation de sages-femmes se révèle plus attractive : ‘C’était à la mode d’être sage-femme’.
Du fait de leur ascendance paternelle, les métisses entrent presque systématiquement à l’école française. Elles sont nombreuses en provenance du Soudan, mais aussi des côtes du Sénégal, et des pays situés en bordure du Golf de Guinée. Prises en charge au sein d’orphelinats publics ou privés, elles sont les premières à préparer le concours de l’Ecole de médecine et le réussissent dans bon nombre de cas. Si leurs rangs s’éclaircissent dans les années quarante du fait de la présence de femmes européennes en plus grand nombre et de la raréfaction des unions mixtes, elles n’en constituent pas moins un groupe toujours remarquable parmi les normaliennes.
Les jeunes filles dont le patronyme européen signale une ascendance le plus souvent française, mais allemande ou anglaise, représentent un cinquième des admises dans les écoles fédérales sur l’ensemble de la période, mais plus du tiers des effectifs dans l’entre-deux-guerres et 8% des normaliennes. Les filles Béraud, Blondin, Chodaton, Durand, Fabre, Grange, Grimaud, Lainé, Larbat, Martin, Turpin… sont parmi les plus nombreuses : deux Togolaises, Paula Winckel et Annie Boehm, sont diplômées en 1930 et 1933, Anna Schultz et Agathe Wolbert du Dahomey en 1926 et 1940.
Les premières jeunes filles noires se livrent à une véritable marche forcée pour aller à l’école. Par contre, les Eurafricaines considèrent l’école comme une pratique intégrée.
Pascale Barthélémy fait la sociologie du recrutement des parents des filles scolarisées (instituteurs, petits fonctionnaires, employés et ouvriers, etc.). Elle fait la géographie du recrutement des filles. ‘Elles venaient du Dahomey, du Togo, de la Côte d’Ivoire, de Guinée, du Sénégal, de Dakar. Le Soudan était représenté par une unité. Le lointain Niger attendra trois ans avant de prendre part au concours’. (Germaine Le Goff, L’Education des filles en Aof). Dès les lendemains de la Première Guerre mondiale à l’indépendance des colonies, la supériorité numérique des Dahoméennes est constante. Le Dahomey est un ‘Quartier latin’ au féminin. L’expression est employée par Emmanuel Mounier pour rendre compte du développement de la scolarisation au Dahomey qu’il visite au printemps 1947 (L’Eveil de l’Afrique noire, Seuil, 1948).
Les futures sages-femmes et institutrices font partie des ‘privilégiés de la ville coloniale’ où se concentrent le pouvoir et l’activité économique, lieu de vie de la majorité des Européens. Elles sont de la côte et du chemin de fer.
Chateaubriand et Molière concurrencent difficilement la nonchalance africaine.
A l’Ecole de médecine, les formations techniques et morales sont pensées de concert, la première étant d’autant plus limitée, concrète et pratique que la priorité est accordée au rôle social des praticiennes. Germaine Le Goff puis Yvonne Paquet qui dirigent successivement l’Ecole normale des jeunes filles de Rufisque appliquent les directives officielles mais impriment aussi la marque pédagogique. Le projet éducatif de G. Le Goff imprégné d’un féminisme français volontiers maternaliste, prend forme pendant la Seconde Guerre mondiale. A partir de 1946, Y. Paquet renforce les exigences intellectuelles et la formation professionnelle. L’objectif est d’éduquer et d’instruire. Emmanuel Mounier ne manque pas de souligner les difficultés inhérentes à ce projet colonial en écrivant : ’Il n’est pas commode de dompter cette force sauvage. Il a fallu leur apprendre, un à un, chaque geste de civilité. Chateaubriand et Molière concurrencent difficilement la nonchalance africaine’.
Créer chez ces êtres encore souples des réflexes nouveaux et en faire des Africaines en short grâce à la pratique de l’éducation physique. A la tête de l’Ecole normale, G. Le Goff associe un discours culturaliste à des exercices concrets visant à enraciner les normaliennes dans une ‘africanité’ dont elle définit elle-même le contenu.
L’internat est un tout petit monde pour ces jeunes filles. Elle est aussi une triste caserne ou ‘maison de poupées’. Mme Le Goff est considérée comme une maman et une bonne mère. Avec le recul, les témoignages attribuent au célibat de Mlle Paquet son insatisfaction et sa mauvaise humeur.
Les institutrices et les sages-femmes étaient des agents doubles au féminin : elles étaient ‘Toubabesses’ ou ‘sœurs de race’.
La médicalisation de la maternité en Afrique avait pour objectif la transformation des pratiques liées à la grossesse, à l’accouchement et aux soins à donner aux nourrissons, conformément à des normes élaborées en Europe et constamment précisées en fonction des connaissances en matière d’obstétrique et de puériculture.
‘Elles se marieront […] mais à qui ?’ s’inquiète G. Le Goff à propos de ses élèves. Volontiers affublées du sobriquet de ‘demoiselles frigidaires’ – en référence à leur goût supposé du luxe et au fait qu’elles auraient exigé de leurs maris cet appareil électroménager– ‘d’intellectuelles’, de ‘femmes savantes’ ou de ‘précieuses ridicules’, les normaliennes suscitent les critiques mais aussi l’admiration et la convoitise.
Gardiennes de la tradition et pionnières du progrès
Les femmes diplômées se considèrent comme gardiennes de la tradition et pionnières du progrès. Elles se définissent rarement comme féministes, jugeant le plus souvent le terme inadapté à leur combat.
Au Sénégal, l’hebdomadaire L’Afrique nouvelle publie une rubrique ‘Nous, les femmes’ qui sert de tribune à Marie-Anne Sambou-Sohaï, de la même promotion que Jeanne Chapman, député à l’Assemblée nationale sous trois législatures, et qui réclame une ‘vraie place’ pour les femmes. En 1975, Caroline Diop, diplômée de l’Ecole normale en 1947, accorde à La Gazette de la femme une interview intitulée ‘Gardienne de la tradition, pionnière du progrès’.
L’Inter-syndicat des femmes travailleuses défend les intérêts professionnels féminins et fait partie de L’Union des femmes du Soudan (Ufs), dont l’existence éphémère en 1958-1959 prépare la création de L’Union des femmes de l’Ouest africain à Bamako au mois de juillet 1959. Pascale Barthélémy donne des informations précieuses sur la participation des femmes diplômées aux activités politiques.
Ce livre est une mine de renseignements sur la politique de scolarisation des jeunes filles mise en œuvre par les autorités coloniales.Les chercheurs africains devraient étudier l’histoire des ‘Grandes Ecoles’ fédérales comme l’Ecole de médecine et pharmacie de Dakar, les Ecoles normales de Saint-Louis, Gorée, Sébikhotane, Katibougou, l’Ecole Pinet-Laprade de Dakar, etc…
Amady Aly DIENG
De la Première Guerre mondiale aux indépendances des pays d’Afrique occidentale française (Aof), elles ne furent pas plus d’un mille à obtenir leur diplôme de sage-femme, d’infirmière-visiteuse ou d’institutrice. Une poignée d’entre elles vit encore aujourd’hui au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Mali, au Niger, au Sénégal, ou au Togo. A partir d’archives inédites et de près de cent témoignages recueillis auprès de ces femmes dans cinq pays différents, ce livre de Pascale Barthélemy, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l‘Ecole normale supérieure de Lyon, raconte leur histoire, inconnue jusqu’ici.
Formées au sein de l’Ecole de médecine et de l’Ecole normale de jeunes filles de l’Aof, ces premières diplômées africaines ont occupé une place tout à fait singulière dans leurs sociétés respectives. Quelles furent leurs origines sociales, familiales et géographiques ? Dans quelles conditions ont-elles été scolarisées ? De quelle façon ont-elles exercé leur métier et réinvesti leur capital scolaire dans le champ social, voire politique ? Quelles ont été les conséquences de leur professionnalisation dans leur vie personnelle ? Telles sont les questions auxquelles répond cet ouvrage.
Femmes savantes et demoiselles frigidaires
A travers l’étude de la composition et de la constitution de ce groupe, par l’analyse de la place de ces figures de ‘l’entre-deux’ dans des sociétés en pleine mutation, il aborde sous un angle renouvelé la politique coloniale française. Instruites et salariées, agents auxiliaire de l’action éducative et sanitaire, ces premières diplômées ont incarné de ‘nouvelles’ femmes africaines, susceptibles de fonder avec leurs homologues masculins des ‘ménages d’évolués’. Centré sur la période coloniale, l’ouvrage prolonge au-delà des indépendances l’analyse des transformations induites par la professionnalisation de ces femmes.
Au croisement de l’histoire des femmes, de l’Afrique et de la colonisation, ce livre contribue à montrer la complexité des rapports de domination en contexte colonial, qui ne peuvent se comprendre que par la confrontation des discours et des politiques de la métropole avec la réalité des expériences vécues.
Devenues romancières, journalistes, universitaires, diplomates, artistes, députés, ministres, directrices d’école ou de centre de protection maternelle et infantile, elles furent aussi les premières Africaines à jouer au tennis ou au basket, à enfourcher des bicyclettes et à conduire leur propre voiture en Afrique occidentale française. Si les noms de certaines d’entre elles sont aujourd’hui connus comme ceux de femmes d’exception dans leurs pays respectifs, leur histoire ne l’est guère. A l’époque coloniale, elles furent à la fois admirées et décriées par leurs contemporains. Qualifiées de ‘femmes savantes’, de ‘demoiselles frigidaires’, - l’expression, très ambiguë, dénonçant leur goût du ‘luxe’ et leurs exigences en matière d’équipement électroménager - ou, de façon plus radicale, de ‘marionnettes nègres’, elles appartenaient alors à la catégorie mouvante des ‘évoluées’. Le terme, issu de la ‘bibliothèque coloniale’, signalait leur différence. Il désignait celles - et ceux - qui avaient fréquenté l’école française et adopté, plus largement, des comportements et des goûts identifiés à la modernité occidentale.
Au cœur de la politique éducative et sanitaire des autorités coloniales prend place la fondation de l’Ecole de médecine en 1918 à Dakar et de l’Ecole normale de jeunes filles en 1938 à Rufisque jusqu’en 1928, la section sages-femmes est la seule institution à produire, après trois ans d’internat, des fonctionnaires africaines. Une première promotion d’infirmières-visiteuses vient compléter les contingents de 1930 mais cette deuxième filière ne fonctionne que jusqu’en 1938. Au total, 1286 candidates sont admises entre 1918 et 1956 ; 990 obtiennent un diplôme dont 633 sages-femmes et 63 infirmières-visiteuses pour 294 enseignantes.
L’Ecole de médecine et l’Ecole normale de jeunes filles recrutent en théorie leurs élèves dans tous les territoires de l‘Aof. Mais cela pose des problèmes en raison de l’inégale scolarisation des territoires fédérés.
La première partie du livre est consacrée à l‘étude des ‘grandes écoles’ de filles en Afrique occidentale française.
L’Assistance médicale indigène (AMI) a connu quelques balbutiements. En 1890, trente médecins militaires français tout au plus exercent en Aof, surtout au Sénégal et au Soudan. Ils s’occupent en priorité des Français et coûtent cher à la métropole. Un corps d’infirmiers africains est créé, puis un service d’Assistance médicale indigène organisé en 1905 sur le modèle de celui de Madagascar. En 1898, des ‘accoucheuses woloffes’ sont signalées pour la première fois comme d’éventuelles concurrentes pour les sages-femmes françaises.
‘C’était à la mode d’être sage-femme’
Une école de médecine est créée et officialisée par décret le 14 janvier 1918. A l’automne 1918, alors que la formation des premiers médecins africains commence, une section ‘sages-femmes’ est également inaugurée. Le rôle des sages-femmes africaines était de ’sauvegarder la race’ à moindre coût.
Des écoles de médecine ont été créées dans d’autres colonies. Une école de médecine a été créée à Pondichéry, un comptoir indien français, en 1863. A Madagascar, des sages-femmes sont formées au sein de l’Ecole de médecine de Tananarive depuis 1896. L’Ecole de médecine publique a ouvert en 1904 à Hanoï au Tonkin.
Les filles ont été les oubliées de l’école coloniale. En 1922, 2 500 filles sont recensées dans les écoles privées et publiques de la fédération, soit deux filles pour mille en âge d’être scolarisées. Plus de la moitié d’entre elles sont inscrites dans des établissements du Dahomey et du Sénégal, elles sont une poignée dans les autres colonies, aucune fille ne va à l’école en Mauritanie.
Deux institutrices Denise Moran Savineau et Germaine Le Goff ont joué un grand rôle dans la création d’écoles normales de jeunes filles destinées à former des institutrices. Pascal Barthélémy donne des informations précieuses sur la carrière de cette institutrice d’origine bretonne, Germaine Le Goff qui a été directrice de l’Ecole normale des jeunes filles de Rufisque.
Entre 1918 et 1957, 898 jeunes filles intègrent l’Ecole de médecine quand 388 entrent à l’Ecole normale. Destinées à devenir les emblèmes de la femme africaine ‘évoluée’, elles sont très rigoureusement choisies par l’administration et la direction des établissements.
Prévues pour être complémentaires, les deux filières, l‘Ecole de médecine et l’Ecole normale, deviennent concurrentes. La formation de sages-femmes se révèle plus attractive : ‘C’était à la mode d’être sage-femme’.
Du fait de leur ascendance paternelle, les métisses entrent presque systématiquement à l’école française. Elles sont nombreuses en provenance du Soudan, mais aussi des côtes du Sénégal, et des pays situés en bordure du Golf de Guinée. Prises en charge au sein d’orphelinats publics ou privés, elles sont les premières à préparer le concours de l’Ecole de médecine et le réussissent dans bon nombre de cas. Si leurs rangs s’éclaircissent dans les années quarante du fait de la présence de femmes européennes en plus grand nombre et de la raréfaction des unions mixtes, elles n’en constituent pas moins un groupe toujours remarquable parmi les normaliennes.
Les jeunes filles dont le patronyme européen signale une ascendance le plus souvent française, mais allemande ou anglaise, représentent un cinquième des admises dans les écoles fédérales sur l’ensemble de la période, mais plus du tiers des effectifs dans l’entre-deux-guerres et 8% des normaliennes. Les filles Béraud, Blondin, Chodaton, Durand, Fabre, Grange, Grimaud, Lainé, Larbat, Martin, Turpin… sont parmi les plus nombreuses : deux Togolaises, Paula Winckel et Annie Boehm, sont diplômées en 1930 et 1933, Anna Schultz et Agathe Wolbert du Dahomey en 1926 et 1940.
Les premières jeunes filles noires se livrent à une véritable marche forcée pour aller à l’école. Par contre, les Eurafricaines considèrent l’école comme une pratique intégrée.
Pascale Barthélémy fait la sociologie du recrutement des parents des filles scolarisées (instituteurs, petits fonctionnaires, employés et ouvriers, etc.). Elle fait la géographie du recrutement des filles. ‘Elles venaient du Dahomey, du Togo, de la Côte d’Ivoire, de Guinée, du Sénégal, de Dakar. Le Soudan était représenté par une unité. Le lointain Niger attendra trois ans avant de prendre part au concours’. (Germaine Le Goff, L’Education des filles en Aof). Dès les lendemains de la Première Guerre mondiale à l’indépendance des colonies, la supériorité numérique des Dahoméennes est constante. Le Dahomey est un ‘Quartier latin’ au féminin. L’expression est employée par Emmanuel Mounier pour rendre compte du développement de la scolarisation au Dahomey qu’il visite au printemps 1947 (L’Eveil de l’Afrique noire, Seuil, 1948).
Les futures sages-femmes et institutrices font partie des ‘privilégiés de la ville coloniale’ où se concentrent le pouvoir et l’activité économique, lieu de vie de la majorité des Européens. Elles sont de la côte et du chemin de fer.
Chateaubriand et Molière concurrencent difficilement la nonchalance africaine.
A l’Ecole de médecine, les formations techniques et morales sont pensées de concert, la première étant d’autant plus limitée, concrète et pratique que la priorité est accordée au rôle social des praticiennes. Germaine Le Goff puis Yvonne Paquet qui dirigent successivement l’Ecole normale des jeunes filles de Rufisque appliquent les directives officielles mais impriment aussi la marque pédagogique. Le projet éducatif de G. Le Goff imprégné d’un féminisme français volontiers maternaliste, prend forme pendant la Seconde Guerre mondiale. A partir de 1946, Y. Paquet renforce les exigences intellectuelles et la formation professionnelle. L’objectif est d’éduquer et d’instruire. Emmanuel Mounier ne manque pas de souligner les difficultés inhérentes à ce projet colonial en écrivant : ’Il n’est pas commode de dompter cette force sauvage. Il a fallu leur apprendre, un à un, chaque geste de civilité. Chateaubriand et Molière concurrencent difficilement la nonchalance africaine’.
Créer chez ces êtres encore souples des réflexes nouveaux et en faire des Africaines en short grâce à la pratique de l’éducation physique. A la tête de l’Ecole normale, G. Le Goff associe un discours culturaliste à des exercices concrets visant à enraciner les normaliennes dans une ‘africanité’ dont elle définit elle-même le contenu.
L’internat est un tout petit monde pour ces jeunes filles. Elle est aussi une triste caserne ou ‘maison de poupées’. Mme Le Goff est considérée comme une maman et une bonne mère. Avec le recul, les témoignages attribuent au célibat de Mlle Paquet son insatisfaction et sa mauvaise humeur.
Les institutrices et les sages-femmes étaient des agents doubles au féminin : elles étaient ‘Toubabesses’ ou ‘sœurs de race’.
La médicalisation de la maternité en Afrique avait pour objectif la transformation des pratiques liées à la grossesse, à l’accouchement et aux soins à donner aux nourrissons, conformément à des normes élaborées en Europe et constamment précisées en fonction des connaissances en matière d’obstétrique et de puériculture.
‘Elles se marieront […] mais à qui ?’ s’inquiète G. Le Goff à propos de ses élèves. Volontiers affublées du sobriquet de ‘demoiselles frigidaires’ – en référence à leur goût supposé du luxe et au fait qu’elles auraient exigé de leurs maris cet appareil électroménager– ‘d’intellectuelles’, de ‘femmes savantes’ ou de ‘précieuses ridicules’, les normaliennes suscitent les critiques mais aussi l’admiration et la convoitise.
Gardiennes de la tradition et pionnières du progrès
Les femmes diplômées se considèrent comme gardiennes de la tradition et pionnières du progrès. Elles se définissent rarement comme féministes, jugeant le plus souvent le terme inadapté à leur combat.
Au Sénégal, l’hebdomadaire L’Afrique nouvelle publie une rubrique ‘Nous, les femmes’ qui sert de tribune à Marie-Anne Sambou-Sohaï, de la même promotion que Jeanne Chapman, député à l’Assemblée nationale sous trois législatures, et qui réclame une ‘vraie place’ pour les femmes. En 1975, Caroline Diop, diplômée de l’Ecole normale en 1947, accorde à La Gazette de la femme une interview intitulée ‘Gardienne de la tradition, pionnière du progrès’.
L’Inter-syndicat des femmes travailleuses défend les intérêts professionnels féminins et fait partie de L’Union des femmes du Soudan (Ufs), dont l’existence éphémère en 1958-1959 prépare la création de L’Union des femmes de l’Ouest africain à Bamako au mois de juillet 1959. Pascale Barthélémy donne des informations précieuses sur la participation des femmes diplômées aux activités politiques.
Ce livre est une mine de renseignements sur la politique de scolarisation des jeunes filles mise en œuvre par les autorités coloniales.Les chercheurs africains devraient étudier l’histoire des ‘Grandes Ecoles’ fédérales comme l’Ecole de médecine et pharmacie de Dakar, les Ecoles normales de Saint-Louis, Gorée, Sébikhotane, Katibougou, l’Ecole Pinet-Laprade de Dakar, etc…
Amady Aly DIENG
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