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12 juin 2012

Notes de lecture Bergson : le cordon liant

Notes de lecture Bergson :
le cordon liant Senghor et Iqbal Bergson postcolonial l’élan vital dans la pensée de Léopold Sédar Senghor et Mohamed Iqbal par Souleymane Bachir Diagne Cnrs éditons Paris 2011 126 pages

 

Mohamed Iqbal et Léopold Sédar Senghor, meilleurs disciples de Bergson ? Ou comment le philosophe du Rire a marqué de son empreinte les penseurs de la décolonisation. Le grand retour de Bergson, à l’orée du XXIe siècle, s’est accompagné d’un regain d’intérêt pour l’influence exercée en dehors de la France par le philosophe de la morale et de la religion. Influence évidemment présente en Europe, mais aussi en Inde et en Afrique, comme en témoignent deux figures majeures de la lutte anticoloniale, le musulman Mohamed Iqbal et le catholique Léopold Sédar Senghor. A la fois poètes, penseurs et hommes d’Etat, tous deux ont joué un rôle intellectuel et politique essentiel dans l’indépendance de leur pays, et trouvé dans le bergsonisme de quoi soutenir leur philosophie : celle d’une reconstruction de la pensée religieuse de l’islam pour le premier, d’une désaliénation du devenir africain pour le second. 

 

Dans cet essai qui cerne au plus près le rayonnement international du philosophe de «Matière et mémoire», Souleymane Bachir Diagne décrit la triple rencontre et le devenir des notions bergsoniennes de vie, d’élan, de nouveauté, de durée ou d’intuition dans la pensée de Léopold Sédar Senghor et de Mohamed Iqbal. Le 29 mars 1984, dans sa réponse au discours de réception de Léopold Sédar Senghor que l’Académie recevait parmi ses membres, Edgar Faure évoqua à deux reprises, à propos du poète-président dont il faisait l’éloge, un autre homme d’Etat, lui aussi poète et philosophe : l’Indien Mohamed Iqbal. Edgar Faure aura perçu ce qu’ont en commun ces deux philosophes, poètes et hommes d’Etat qui ont pensé l’indépendance de leur pays colonisé et ont contribué à la réaliser même si Iqbal, l’Indien, est mort près de dix ans avant les accessions séparées de l’Inde et du Pakistan à la souveraineté. Leur communauté de pensée est réelle, plus profonde encore que ces ressemblances qui appelèrent la comparaison faite par Edgar Faure : elle a nom bergsonisme.

Qu’il s’agisse «Négritude» de Léopold Sédar Senghor (1906-2001) ou du projet de Mohamed Iqbal (1877-1938) d’une «Reconstruction de la pensée religieuse de l’Islam» (C’est le titre de son principal ouvrage en prose), au cœur de ces projets se trouve la pensée du philosophe Henri Bergson (1859-1941). La révolution bergsonienne et les principaux concepts dans lesquels elle s’incarne - le vitalisme, le temps comme durée, l’intuition comme autre approche du réel, celle qui s’exprime tout particulièrement dans l’art - auront donc ainsi exercé une influence considérable sur la pensée de Léopold Sédar Senghor et de Mohamed Iqbal. Cette influence qui fait l’objet de quatre chapitres.

Pourquoi ces deux personnalités du monde colonisé furent-elles des bergsoniens ? Pour quelles raisons des entreprises aussi différentes que la Négritude senghorienne ou le réformisme islamique iqbalien ont-elles trouvé à prendre appui sur le bergsonisme ? Il y a d’abord, bien sûr, qu’aux moments où s’élaborèrent leurs philosophies, de la fin des années 1910 à celle des années 1920 pour Iqbal, et les années 1930 pour Senghor, il était pratiquement inévitable qu’elles fussent en dialogue avec la philosophie de Bergson.

«Engouement» décrit bien le rapport de Senghor au bergsonisme : pour souligner l’importance considérable qu’a eue dans l’histoire de la philosophie cette pensée, le poète sénégalais a parlé de «la révolution de 1889», cette date  de 1889 étant celle de la publication du premier ouvrage de Bergson qui fut d’abord sa thèse de doctorat : «Essai sur les données immédiates de la conscience». Quant à Mohamed Iqbal, il affirme que le bergsonisme est le surgissement, dans l’histoire de la philosophie en Occident, d’une nouveauté radicale, qui est le concept de temps pur ou de durée : lui aussi, eût pu parler de la révolution que le premier livre de Bergson a créée en 1889. Dans cet ouvrage, le philosophe présente sa pensée comme celle qui vient dissiper l’erreur de prendre le temps «pour un milieu homogène», qui donc ne sera pensée que comme espace (par exemple comme l’intervalle qui sépare un événement d’un autre) ; au lieu, dit-il, que la véritable durée, ou temps non sériel, «se compose de moments  intérieurs les uns aux autres».

De cette durée nous ne pouvons pas avoir une connaissance du type que produit notre intelligence analytique et mécanicienne, celle qui sépare le sujet de l’objet et décompose celui-ci en parties : au contraire elle nous est donnée dans la connaissance vitale que nous en avons, dans l’intuition qui nous installe d’emblée au coeur de l’objet saisi comme une totalité organique. Ce que ces grandes figures lisent chez Bergson, c’est la manière dont il ouvre de nouvelles possibilités de penser hors d’une tradition philosophique qui, à un moment de l’histoire, a pris un tournant où ce qui était le logos, que l’on peut entendre comme la compréhension de l’unité de vie, s’est vu distendre en ratio ou, en d’autres termes, une intelligence qui, pour connaître son objet, le détache de soi et le divise en parties mécaniquement reliées : bref, qui l’étale en espace.

Ainsi, Senghor suivra-t-il Bergson pour entreprendre la tâche de retrouver une approche compréhensive du réel hors du cours de la pensée philosophique tel  qu’il a été orienté par Aristote et tel qu’il a culminé avec la pensée mécanicienne de Descartes et le positivisme scientiste. Cette approche non mécanicienne lui apparaît être la signification même que porte  l’art africain où il voit la manifestation d’une connaissance vitale du réel, qu’il entend comme un accès à la sous-réalité des choses visibles.

II le suivra également pour prolonger sa pensée, avec cet autre bergsonien qu’est le Père Pierre Teilhard de Chardin, en celle d’une cosmologie émergente, d’une cosmogénèse qui voit la vie se libérer des aliénations qui l’entravent. C’est sous un éclairage, bergsonien et teilhardien, que Senghor entreprend de lire et de proposer une doctrine de qu’il appelle «socialisme africain». Pour Mohamed Iqbal également, il s’agit, avec Bergson, de sortir du cadre où la tradition philosophique après les présocratiques a enfermé la pensée. Pour Iqbal, la révolution de Bergson en philosophie aide à une reconstruction de la pensée islamique en lui rappelant que la vie est innovation et changement.

Le bergsonisme dans la pensée de L. S. Senghor

Le poète sénégalais a, dans ses réflexions, fait figurer plusieurs noms où se donne à lire ce qu’il a présenté comme sa généalogie littéraire et intellectuelle. Parmi eux figurent ceux d’Arthur Rimbaud ou de Paul Claudel ou encore de Baudelaire (il explique que malgré les rapprochements qui furent établis entre sa poésie et celle de Saint-John Perse, il n’a découvert cette dernière qu’assez tard dans sa carrière) ; du côté de l’Afrique il y a celle qu’il appelle ses Trois Grâces, parfois ses muses, trois poétesses du terroir, compositrices inspirées de chants gymniques en l’honneur des lutteurs d’ethnie sérère à laquelle Senghor appartenait ; et pour ce qui est de la philosophie, il y a le Père Teilhard de Chardin, Karl Marx bien sûr, Jacques Maritain, Gaston Berger, Nietzsche parfois, et Bergson toujours. Il n’a jamais manqué une occasion d’indiquer que sa pensée est fille de ce qu’il a appelé «la Révolution de 1889».

Il s’agit de  rendre audible la langue de l’intelligence-qui-comprend ; il faudrait ajouter ; «de nouveau». Car l’helléniste et le catholique soucieux des choses de la foi en Senghor ne manque jamais de rappeler qu’avant le tour pris par la pensée engagée dans la voie de l’analytique qu’il voit comme étant celle de la ratio, il y eut la réalité de ce qu’en poète il appelle un logos «humide et vibratoire» qui s’est, pour ainsi dire, desséché ensuite. Ratio donc d’une part et Logos de l’autre. C’est ainsi que Senghor emploie deux manières de traduire ce qui est ultimement quasiment une même chose, sauf qu’elle est dite en latin dans un cas, en Grec dans l’autre, pour exprimer la réalité d’une double approche possible du réel. Il parlera aussi, plus clairement peut-être, de la différence entre une «raison-œil» et une «raison- étreinte».

Souleymane Bachir Diagne s’attaque au prétendu lévy-bruhlisme de L. S. Senghor qui a constitué l’une des deux critiques majeures adressées à sa pensée. Il évoque d’abord, avant d’y revenir, rapidement, l’autre critique, celle qui impute au poète le péché rédhibitoire d’essentialisme. Il est indéniable que le langage de Senghor, le plus souvent, et un langage essentialiste. Et Sartre a en partie raison dans «Orphée noir» : il y a au principe du mouvement qui s’est baptisé «négritude» ce que Gayatri Chakravorty Spivak appellerait un «essentialisme stratégique», c’est-à-dire de réponse et de résistance. Mais ce langage est aussi miné par celui de l’hybridité et des identités fluides et l’on aura garde, en particulier, d’oublier qu’avant d’être poète de la Négritude, Senghor est penseur d’un métissage conçu, non pas comme accident biologique (ce qui arrive à l’essence ou plutôt à des essences du fait de leur rencontre), mais comme un horizon et une norme : c’est ainsi qu’il déclare que «chacun doit être métis à sa façon».

L’un des principaux représentants de la critique contre Senghor lévy-bruhlien, indéfiniment reprise, est le philosophe béninois Stanislas Adotévi qui a écrit un pamphlet célèbre, «Négritude et négrologues», pour dénoncer la présence subreptice, masquée, chez Senghor, et cela «jusqu’au plagiat», écrit-il, de l’auteur de «La Mentalité primitive». Il est regrettable que Stanislas n’ait pas cru devoir simplement lire les textes mêmes de Senghor avant de l’accuser de faire du Lévy-Bruhl sans le dire. Souleymane Bachir Diagne prend la défense de Senghor en entreprenant la critique des critiques formulées par S. Adotévi.

Le socialisme africain de L. S. Senghor

La philosophie politique de L. S. Senghor s’inscrit dans la continuité de sa pensée vitaliste, née de la rencontre, qu’il organise, entre la philosophie de l’auteur de «L’Evolution créatrice» et la vision du monde qu’il lit dans les religions africaines endogènes. Elle exprime ce que l’homme politique sénégalais a appelé «socialisme africain» ou «voie africaine du socialisme». Pour éclairer cette doctrine politique, il faut d’abord rappeler quel fut l’engagement socialiste de Senghor dès ses premières années d’études en France à la fin des années 1920. Il faut ensuite examiner ce qu’est sa conception d’une lecture «africaine» de l’œuvre de Karl Marx, qui exprime le socialisme spiritualiste qui devint sa philosophie lorsqu’en même temps que les textes marxiens il découvre la pensée du Père Pierre Teilhard de Chardin. Il faut enfin voir comment cette philosophie a été  articulée par l’homme politique qu’il est devenu lorsqu’il a fallu, à l’aube des indépendances africaines et devant la tâche de construction de pays devenus souverains, penser les notions de fédéralisme, de nation, d’Etat, de planification…

Souleymane Bachir Diagne consacre des développements intéressants aux relations qui existent entre Bergson, Iqbal et le concept d’ijihad. Il examine la position de Leibniz sur le fatum mahumetanum avant d’étudier la question du fatalisme dans la pensée islamique et dans la philosophie iqbalienne. Ce livre de Souleymane Bachir Diagne, professeur dans les départements de Français et de Philosophie Columbia University à New York, est une contribution majeure au renouveau des études bergsoniennes. On peut regretter que son auteur n’ait pas abordé systématiquement les relations qui existent entre Lévy Brühl et Léopold Sédar Senghor.

Il s’est arrêté à l’analyse de «La mentalité primitive et des Carnets». Il a ignoré «Les Fonctions mentales dans les sociétés inférieures (1910)». Il aurait pu se reporter, pour ses lecteurs, à un guide sûr, le texte de Cazeneuve, Lucien Lévy-Bruhl. «Sa vie, son œuvre avec un exposé de sa philosophie», Paris, PUF, 1963). Il aurait du nous donner plus d’informations sur les relations qui ont pu exister entre Bergson et Lévy-Bruhl.  Bergson met en cause de façon explicite les hypothèses de la pensée de la participation de Lévy-Bruhl. Et cela malgré la longue amitié qui le liait à l’auteur de «La Mentalité primitive». Comme nous l’apprend sa correspondance (voir les lettres de Bergson à Lévy-Bruhl du 12 décembre 1909 – d’où il ressort que Bergson avait eu l’occasion de lire «Les Fonctions mentales dans les sociétés inférieures» avant sa parution- et du 8 mars 1935, ibid., p. 484 et 487). (Lire Lévy-Bruhl. «La différence et l’archaïque» par Mariapaola Fimiani L’Harmattan 2000).

Amady Aly DIENG

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