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12 juin 2012

Notes de lecture - Genèse d’une philosophie

Notes de lecture -
Genèse d’une philosophie africaine - La philosophie africaine du pourquoi au comment par Ibrahima Sow Ifan Ch. A. Diop
2010 360 pages

 

L’ouvrage d’Ibrahima Sow, Docteur d’Etat en Philosophie et Chercheur à l’Ifan Cheikh Anta Diop, est divisé en cinq parties. L’auteur, pour apporter sa contribution au fécond débat sur la philosophie africaine, propose quelques repères pour susciter des pistes pour l’orientation d’une nouvelle problématique philosophique négro-africaine. Comme on le sait, la question de l’existence d’une philosophie africaine agite, périodiquement, les milieux universitaires et divise les intellectuels dans les débats, congrès, tables rondes, séminaires et journées de réflexion… Il reste vrai que c’est un sujet qui préoccupe le grand public et intéresse beaucoup les étudiants africains, très soucieux de quelque reconnaissance identitaire, même si d’aucuns estiment, à tors ou à raison, que ce sujet est dépassé. Mais peut-on, en philosophie, renoncer à revisiter, pour mieux les questionner selon l’air du temps, les concepts et les vieilles thématiques sous le prétexte bien naïf que tout a été déjà dit à leur sujet ?

 

 

L’idée de philosophie africaine, liée à la revendication de la Raison - affirmée ou niée - chez les Négro-africains, s’inscrit dans l’interrogation de la valorisation d’une identité philosophique spécifique qui en articule l’idéologie et, finalement, en justifie la problématique et en légitime l’usage, voire le sens. C’est ce que l’auteur appelle la question du «pourquoi». Dans ce débat, si la question de la spécificité et de l’identité est agitée, son principal intérêt, qui est plus théorique que pragmatique, réside encore davantage dans la manière dont cette philosophie-là se définit, se conçoit et se positionne en tant que telle comme philosophie. C’est ce que l’auteur appelle la question du «comment». Construit autour du double questionnement du pourquoi et du comment qui en articule et en oriente non seulement les thématiques, mais en fonde la problématique, l’ouvrage s’institue dans l’obsédante question qui, comme un leitmotiv, la traverse de part en part et le nourrit en profondeur : «Qu’est-ce que la philosophie ?».

L’examen de cette question n’est nullement, comme on le croit généralement, l’examen d’une simple définition du concept de philosophie, mais cela requiert, pour nous tenir dans la proximité de la question qui nous interpelle, que nous nous mettions en chemin ; que nous philosophions, en étant «dedans mais non en restant dehors» ou en retrait. C’est en cela que cette question est une question de fond. La question est certes centrale et ne saurait être éludée, en ce qu’elle nous interpelle avec insistance, nous autres Négro-Africains qui parlons de philosophie, en la réclamant et en la revendiquant, serait-ce en la substituant à des valeurs propres de civilisation (mythes, contes, légendes, proverbes), serait-ce en lui donnant une origine négro-africaine où elle aurait lieu (Egypte antique), serait-ce à l’encontre d’un certain héritage historique duquel elle proviendrait et dont elle doit son sens d’être (Grèce antique).

La première partie de l’ouvrage est intitulée : Des dénégations à la réhabilitation. L’auteur cherche  à examiner à partir de dénégation ethnocentrique, avec les tenants de l’anthropologie raciste (Comte Arthur Gobineau entre autres), des dénégations historicistes (F.W. Hegel, D. Hume) et avec le théoricien  de la mentalité primitive des sociétés archaïques (Lucien Lévy-Bruhl), comment l’idée de «philosophie africaine» a vu le jour, en partant des prédécesseurs. C’est ce qui constituera la période des réhabilitations.

L’histoire des pensées africaines est une partie intégrante de l’histoire générale des idées, de l’histoire globale de l’Afrique et de l’histoire mondiale tout court. Ignorées, méconnues, niées et méprisées par les hégémonies occidentales, les cultures et les pensées africaines, dans leur richesse et dans leur diversité, furent longtemps inscrites dans l’absence de l’Histoire et de la Raison, ce qui, du même coup, était un prétexte pour reléguer les Négro-Africains hors de l’Humanité. Le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy s’inscrit dans cette mouvance de pensée. (…).

Hegel a suscité au Sénégal, dans les années 80, des débats passionnés avec des philosophes comme Jean-Pierre Faye, qui estime que Hegel est raciste, Abib Mbaye, qui, lui, pense le contraire, et Marie-Louise Diouf, qui dit que «Hegel soit raciste […], cela est sans conteste». Le débat, avec des intensités plus ou moins vies, des ruptures plus ou moins longues dans le temps, continue encore aujourd’hui d’alimenter polémiques, querelles et disputes de tout bord que synthétise l’économiste et philosophe Amady Aly Dieng dans l’ouvrage paru en 2006 : «Hegel et l’Afrique noire, qui a comme sous-titre Hegel était-il raciste ?».

Amady Aly Dieng fait le point des débats sur la question du racisme de Hegel. Il avoue avoir été «assez prudent» pour n’avoir jamais utilisé le terme de «raciste» pour qualifier Hegel. Il a été piégé pour plusieurs raisons qu’il cite : d’abord son insuffisante appropriation de la philosophie hégélienne, ensuite sa confiance exagérée à une «spécialiste» de Hegel, Marie-Louise Diouf, et enfin son impossibilité d’accéder aux travaux de Karl Ritter, géographe, une des principales sources de Hegel.

Le troisième philosophe à avoir influencé les nouvelles positions d’Amady Aly Dieng, «pour réhabiliter Hegel en Afrique noire», est Dibi Kouadio Augustin. Ce philosophe ivoirien s’appuie, selon Dieng, sur deux ouvrages fondamentaux de Hegel pour affirmer que ce dernier n’était pas raciste : le premier est «La phénoménologie de l‘esprit», (Aubier, Paris 1941) et le second, «La science de la logique» (Paris, Aubier, 1976). Ibrahima Sow s’étonne du fait qu’au lieu de m’appuyer sur l’ouvrage qui traite de l’Afrique, «La raison dans l’histoire», j’aille chercher des raisons ailleurs pour «blanchir» Hegel.

Selon ce philosophe, en critiquant la phrénologie et en attribuant même à un Noir, le Docteur Kingera, la découverte de la quinine, Hegel s’élève contre le racisme dont on l’accuserait, car la manière dont il conçoit l’esprit «comme universalité libre » est en soi une «réfutation pour dire que Hegel n’était pas raciste ?» Nous ne pouvons pas discuter sérieusement des positions d’Ibrahima Sow. Nous l’invitons à lire les ouvrages de Karl Ritter, du Gabonais Gilbert Zué-Nguéma. «Africanités hégéliennes. Alertes à une nouvelle marginalisation». L’Harmattan, 20006), la Thèse de Pierre Franklin Tavarès et notre communication présentée à l’occasion de l’hommage rendu à Georges Labica (Georges Labica. «Un philosophe en colère» Editions du Cnrpah, Alger, 2012).

Lucien Lévy Brühl (1857-1939) et mentalité prélogique

Ibrahima Sow consacre des pages très intéressantes aux thèses de Lévy-Bruhl qui est malmené par les penseurs africains. «Ces derniers quelle soit leur idéologie ou leur philosophie rencontrent fatalement Lucien Lévy-Bruhl, le théoricien des sociétés primitives, non pas par l’intérêt ou même pour l’importance de ses travaux, qu’on ne fait la plupart du temps que survoler, extirpant çà et là quelques citations, mais  par les réactions passionnées que suscite cet auteur, par le positionnement qu’il conditionne, par les sympathies même qu’il peut parfois occasionner. La résonance, plus affective que rationnelle, que suscitent les vocables de «sociétés primitives», de «mentalité prélogique», qu’il a popularisé et vulgarisés, contribue de beaucoup à l’intérêt qu’on lui témoigne, même l’avoir lu. De ce fait, L. Lévy-Bruhl demeure incontournable, autant que le Révérend Père Tempels, pour comprendre une certaine orientation de pensée négro-africaine moderne, voire de la philosophie africaine.

Ibrahima Sow fustige les chercheurs africains qui se gargarisent davantage de citations tirées de leur contexte que de tenter d’analyser et de comprendre une pensée qui cherche sans cesse à affiner son matériel technique et son répertoire  conceptuel qui n’ont pu s’affranchir de  ceux de son époque. Malgré toutes ses précautions de langage, l’œuvre de Lévy-Bruhl est parquée par l’ethnocentrisme conquérant et racial, voire raciste, fonctionnant comme idéologie de la supériorité, et de la domination des cultures et des sociétés occidentales. Ibrahima Sow pense, de ce point de vue, être en accord avec Paulin Hountondji. Il considère que  son autocritique tardive «Les Carnets» est loin d’être aussi radicale, puisqu’elle maintient une notion aussi centrale que la notion de «primitif».

Ibrahima Sow passe en revue les travaux d’un certain nombre de chercheurs comme Le Comte Volney,  François Champollion, Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga, Kocc Barma Fall, Antoine Guillaume Amo, Edward Wilmot Blyden, Antênor Firmin, Leo Frobenius, Maurice Delafosse, le Baron Roger, etc. Le Révérend Père Tempels avec sa «Philosophie bantoue» est véritablement perçu comme un précurseur d’une certaine orientation prise par la philosophie africaine et dont l’œuvre apparaît comme  un repère incontournable dans la problématique actuelle, même si Mamoussé Diagne relativise quelque peu cette influence en considérant l’œuvre de Tempels comme un «prétexte». Le philosophe sénégalais écrit à propos du débat sur  la philosophie africaine :

«On s’attachera ici  à privilégier la figure du missionnaire belge Tempels. En effet, il peut fonctionner comme le paradigme de l’origine, origine comprise non pas dans le sens chronologique, mais au sens théorique et philosophique. Disant cela, nous sommes en parfait accord avec Bidima, pour reconnaître que la philosophie bantoue du révérend père était postérieure de dix ans aux premiers  grands textes de la négritude, on doit considérer que le texte de Tempels a été  comme un «prétexte». Il convient donc de «relativiser» l’importance de cet auteur dans ce qui a eu lieu. Mais […] On ne saurait passer sous silence le fait que les discussions sur l’existence ou la non-existence d’une philosophie africaine renvoient souvent à son œuvre comme à une référence incontournable. Par cela même il fait figure d’ancêtre théorique».

Cette œuvre a connu un franc et vif succès dès sa parution aux éditions Présence Africaine et a fait l’admiration d’authentiques philosophes occidentaux dont Gaston Bachelard, Gabriel Marcel, Louis Lavelle, Jean Wahl, sans compter l’admiration de l’intelligentsia africaine dont Senghor et Alioune Diop, entre autres. Mais cette œuvre n’a pas manqué non plus de fervents adversaires et a connu des prises de positions passionnées contre sa signification propre, ses intentions et sa perspective. Parmi les critiques, on peut citer, entre autres, Aimé Césaire, Paulin Hountondji, Marcien Towa, Eboussi Bboulaga. Qu’en est-il donc - mais brièvement - de  R.P. Tempels, «La philosophie bantoue». Cette philosophie est une œuvre inaugurale qui véritablement apparaît comme le premier ouvrage à revendiquer expressément son intention philosophique à la fois comme point de départ et comme méthode d’analyse axés sur l’Afrique, bien qu’elle soit relative à une ethnie et circonscrite dans l’aire culturelle bantoue. Il serait intéressant d’étudier plus à fond cette histoire de la philosophie africaine pour remarquer que ses précurseurs, ses auteurs sont surtout pour la plupart des ecclésiastiques.

Ce livre ne peut être résumé. Bien documenté, il mérite d’être sérieusement lu. Il peut être le point de départ de nouvelles discussions autour des problèmes liés à la philosophie africaine. Les passions se sont tues. C’est pourquoi nous invitons Ibrahima Sow à élargir sa documentation en lisant des  ouvrages comme «Histoire de la philosophie africaine» (en 4 volumes par Grégoire Biyogo, L’Harmattan 1990), «La naissance du Panafricanisme. Les racines caraïbes, américaines et africaines du mouvement au XIXe siècle» par Onuno D. Lara, Maisonneuve & Larose.

Amady Aly Dieng

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